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Comment la cause animale a investi les tribunaux

Le 23 mars dernier, des militants de l’association L. 214 manifestent devant le tribunal d’Alès où est jugée l’affaire de l’abattoir du Vigan. Sylvain Thomas/AFP

La tenue en mars 2017 du procès de l’abattoir du Vigan au tribunal correctionnel d’Alès (Gard) – dont la décision a été rendue le 28 avril dernier – a mis en lumière le rôle que jouent les associations de défense des animaux dans l’engagement de procédures judiciaires.

Ce rôle était ici indirect : l’association L. 214 a rendu publics des faits sans saisir elle-même la justice. C’est le ministère public qui, après la mise en ligne des vidéos par l’association, a décidé l’engagement de poursuites – la couverture médiatique de ces vidéos n’ayant pu qu’inciter à le faire – à l’encontre des auteurs d’actes de maltraitance au sein de l’abattoir. L’association n’a ainsi pas porté plainte mais ses révélations ont suscité le déclenchement des poursuites.

Du pénal aux juridictions administratives

Il arrive que le rôle contentieux des organisations de défense des animaux prenne un tour plus direct. Elles saisissent alors elles-mêmes la justice pour y défendre leurs idées et leurs valeurs.

Pendant longtemps, ce mode d’action s’est limité à la matière pénale, les associations de défense animale se constituant partie civile lors de procès relatifs à des actes de maltraitance ou de cruauté.

Il s’est par la suite étendu à la contestation d’arrêtés ministériels et préfectoraux fixant les périodes de chasse. On ne compte plus, à cet égard, le nombre d’arrêtés annulés ou suspendus par la juridiction administrative à l’initiative de la LPO, de l’Association pour la protection des animaux sauvages ou de l’association Vie et nature pour une écologie radicale.

Encore très récemment, un recours formé par la LPO a conduit à la suspension de la décision de la ministre de l’Environnement ordonnant à l’administration chargée de la police de la chasse de ne pas verbaliser les chasseurs tirant les oies cendrées.

En France, des recours de plus en plus fréquents

La nouveauté de ces dernières années tient à ce que le recours au juge comme moyen d’action militante tend à devenir plus fréquent et plus visible que par le passé.

Cet engouement pour la procédure contentieuse s’accompagne en outre d’un double changement. D’une part, il ne se limite plus aux animaux de compagnie et aux animaux sauvages mais concerne aussi les animaux de ferme. D’autre part, la saisine du tribunal ne vise plus seulement à défendre les animaux mais, plus largement, à faire évoluer le droit et la société en leur faveur.

Un tel mouvement est clairement à l’œuvre en France. Des actions en justice ont par exemple été menées contre les projets de fermes géantes, notamment devant le tribunal administratif de Limoges.

Sur recours du collectif LPEA (Lumière sur les pratiques d’élevage et d’abattage), le tribunal « a enjoint au préfet de la Creuse de constater la caducité » de l’arrêté autorisant l’exploitation d’une ferme des « mille veaux ».

De même, la décision d’inscrire la corrida au titre du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France a-t-elle été contestée devant les juridictions administratives par différentes organisations de défense des animaux : la Fondation Franz Weber, l’association « Robin des bois », les associations « Comité radicalement anti-corrida Europe » (CRAC) et « Droit des animaux ».

Le juge n’a pas eu à statuer sur leur demande, l’inscription de la corrida au PCI ayant entre-temps été abrogée (voir l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, confirmé par le Conseil d’État).

En revanche, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le CRAC a elle été jugée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 21 septembre 2012. Cette décision, en déclarant l’exception pénale en matière de corrida conforme à la Constitution, montre d’ailleurs l’effet boomerang que peut avoir une action contentieuse.

Le CRAC critiquait en l’espèce la constitutionnalité de la corrida, plus exactement le fait qu’elle soit interdite en tant qu’acte de cruauté dans presque toute la France mais autorisée malgré ce caractère dans les localités de traditions tauromachiques. Toutefois, le juge n’a pas seulement refusé de faire droit à sa demande ; il a donné à la corrida une onction de constitutionnalité en indiquant qu’elle était conforme à la Constitution. Difficile de faire pire scénario comme résultat d’une action en justice, qu’un gain donné à ses adversaires…

Les États-Unis en première ligne

Le même phénomène d’un droit et d’une justice saisis par les associations se retrouvent à l’étranger.

En Israël, par exemple, Noah (la Fédération israélienne des organisations de protection des animaux) a obtenu de la Cour suprême l’interdiction de la production du foie gras dans une décision du 11 août 2013. Les juges ont considéré que le gavage des oies et des canards était contraire aux dispositions de la loi sur la protection des animaux interdisant la torture, la cruauté et la maltraitance envers les animaux. Ils ont, en conséquence, annulé le règlement administratif qui autorisait ce procédé.

Aux États-Unis, de multiples actions ont également été menées devant les cours. Nombre d’entre elles, introduites au nom et pour le compte d’animaux détenus en captivité, ont eu pour objet d’obtenir leur libération.

Les organisations PETA et Next Friends ont ainsi demandé que plusieurs orques détenus par SeaWorld, en Californie, soient reconnus comme devant bénéficier du 13e Amendement à la Constitution américaine interdisant l’esclavage et le placement en servitude. Un juge de district de San Diego a rejeté leur recours par une décision du 2 février 2012.

La démarche la plus aboutie dans ce processus est sans conteste celle de Steven Wise. Ce professeur de droit américain s’est entouré d’une équipe composée de juristes, de psychologues et de sociologues afin de déterminer la « case » qui pourrait convaincre un tribunal d’étendre aux animaux le droit d’utiliser la procédure d’habeas corpus (procédure qui, rappelons-le, permet à quiconque de saisir un juge en vue de vérifier qu’il ne se trouve pas indûment privé de liberté).

À la recherche de cette affaire idoine, son équipe s’efforce de trouver l’animal, les circonstances et le juge qui seraient le plus favorables à un changement de jurisprudence. Cette démarche n’a pour l’heure pas été couronnée de succès, tant elle est audacieuse ; elle retient néanmoins l’attention par son caractère professionnel et rationalisé (voir les explications fournies par le groupement dans l’espace « litigation » du Nonhuman Rights Project).

Elle illustre en outre parfaitement ce mouvement, à l’œuvre un peu partout, de judiciarisation de la cause animale.

Conférence TED de Steven Wise sur les droits des animaux (2015).

Des actions efficaces appelées à se développer

Pour les organisations animalistes, le recours au juge est complémentaire à d’autres formes d’action plus classiques que sont l’information du public, le lobbying, l’appel au boycott ou l’organisation de manifestations. Nul doute qu’il est appelé à poursuivre son développement, tant il est de nature à produire un résultat efficace.

Il permet en effet, ni plus ni moins, de changer le droit, et souvent de façon durable. Un procédé préjudiciable aux animaux est autorisé (le gavage, la chasse) ; par l’intervention du juge, il devient interdit. Le droit change ainsi par le recours au tribunal, sans passer par la voie législative ni l’action administrative.

De façon plus spécifique (et ancienne), l’utilisation de la voie judiciaire participe à l’effectivité des dispositions pénales incriminant les actes de cruauté ou de maltraitance. Les associations assurent en effet une mission de vigilance sur les personnes utilisant des animaux, tels les exploitants agricoles et les laboratoires. En ayant le pouvoir, à tout moment, de porter plainte ou de se constituer partie civile, elles les obligent à un respect scrupuleux de la réglementation.

On relèvera, pour terminer, que la possibilité de saisir le juge pour assurer la défense d’animaux n’est plus seulement le fait d’individus ou de groupements. De telles actions peuvent aussi être mises en œuvre par un État mettant en cause les pratiques commises par un autre État. Ceci s’est produit, à une reprise au moins, à propos de la chasse à la baleine. L’Australie a en effet saisi la Cour internationale de justice en 2010 pour faire constater que le Japon violait le moratoire de 1982 l’ayant interdit. Dans une décision rendue le 31 mars 2014, la Cour a reconnu la violation du moratoire et rappelé au Japon ses obligations.

Ce précédent a toutefois vocation à demeurer isolé car, d’un point de vue diplomatique, il demeure délicat pour un État d’attaquer en justice un autre État. La judiciarisation de la cause animale demeurera l’affaire de groupements privés et non d’acteurs étatiques.

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