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Comment le surf fabrique des stéréotypes de genre

Dans l'imaginaire du surf, les femmes sont souvent hypersexualisées et correspondent à des normes esthétiques bien précises. Unsplash / Jeremy Bishop, CC BY-SA

Depuis des années, le surf s'est imposé dans le sud aquitain, devenu le berceau de la discipline au niveau européen. L’odeur de menthe des mojitos se confond avec le parfum de la wax et du monoï. Les animations socioculturelles célèbrent la culture surf à travers des expositions, des festivals, des compétitions sportives, des actions de prévention liées aux menaces d’ordre écologique qui affectent l’intégrité environnementale des océans. La musique résonne et les surfeurs professionnels enchaînent, au cœur de décors paradisiaques, les tubes et les aérials sur les écrans de télévision des surf shops ou des établissements de nuit. Les stations balnéaires du littoral sud aquitain ont toutes revêtu leur costume californien.

Mais en marge des stéréotypes socioculturels liés à la mise en tourisme du surf qui constituent le paysage idyllique véhiculé sur les cartes postales et dans la plupart des médias nationaux – qui, chaque été, consacrent un reportage au surf sur la côte atlantique – quelles sont les limites de ce développement touristique articulé autour de la promotion d’une activité sportive ? En d’autres termes, quel est le revers de la médaille d’une discipline sportive désormais inscrite au panthéon des jeux olympiques ?

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Les recherches en sciences sociales sur le surf se multiplient depuis les travaux précurseurs initiés en 1994 par Jean-Pierre Augustin, professeur de géographie à l’Université Bordeaux Montaigne, décédé à Lacanau en juin 2022 et auquel il s’agit ici de rendre un vibrant hommage. Même si elles n’embrassent pas les mêmes cadres paradigmatiques, ces recherches scientifiques mettent en exergue, dans une féconde complémentarité, le fait que la pratique du surf et les cultures sportives qui leur sont associées sont beaucoup plus complexes que la manière dont elles sont scénarisées dans les médias.

Un sport esthétisé à l’extrême

Le surf est une pratique sportive exigeante. Elle requiert une excellente condition physique, patience, abnégation, et une connaissance fine du milieu océanique. Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire accomplir un ride sur la vague, le surfeur doit entrer en syntonisation avec la vague, s’immerger dans le mouvement provoqué par la houle, être placé au bon endroit ; au bon moment. Le surf est une rencontre, une « opportunité opportune » avec la vague. C’est ce que mettent en scène les vidéos consacrées au surf où les surfeurs atteignent une forme d’excellence tant sportive, qu’esthétique.


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Cette esthétisation de la performance sportive suscite la fascination et le désir mimétique chez une grande partie des néo-pratiquants qui s’inscrivent auprès des écoles de surf pour prendre des cours. En revanche, les accomplissements éprouvés lors des leçons sont parfois loin de correspondre aux fantasmes qu’ils nourrissent.

En effet, en période estivale, les nouveaux pratiquants ne pourront s’initier que dans des vagues de bord, dans les mousses, qui atteignent rarement une taille qui va au-delà de leurs épaules. Ils n’ont pas les ressources physiques et la connaissance du milieu océanique nécessaire, et les moniteurs sont les garants de leur intégrité physique et psychologique. Ils seront également confrontés à la cohabitation avec d’autres néophytes, ainsi exposés à la surfréquentation des spots induite par la démocratisation du surf qui se caractérise par une très forte densité d’écoles de surf sur les spots les plus emblématiques comme à la côte des basques à Biarritz ou à la plage du Santocha à Capbreton.

En d’autres termes, rares seront celles et ceux qui parviendront à expérimenter la glisse dans toute son intensité, goûteront les joies de reproduire les performances sportives accomplies par les professionnels dont ils s’abreuvent sur les réseaux sociaux. À défaut de vivre la glisse dans sa déclinaison sportive, ces néophytes, non sans manifester une frustration légitime auprès des moniteurs, se rattrapent, la nuit tombée, dans une tribalisation des interactions sociales établies dans un contexte festif où la culture surf occupe une place hégémonique.

Surfeur apollinien et surfeuse amphitrite

Plus problématique encore, la mise en tourisme et la médiatisation du surf véhiculent des stéréotypes de genre. En effet, la mise en scène de l’excellence sportive est essentiellement réservée à la gent masculine. Elle s’orchestre par le biais des réseaux sociaux ou des spots publicitaires.

Dans ce contexte, le surfeur se doit d’être performant, de répondre aux diktats de la réussite sportive. Il endosse ainsi les attributs de l’héroïsme sportif. L’Ulysse de la glisse doit se montrer courageux, fort, être musclé et développer une aptitude à affronter les éléments naturels. Il s’agit pour ce surfeur de fracasser, de déchirer la vague. Comme dans la plupart des univers sportifs, le monde du surf se fait ainsi l’écho de l’apologie d’une domination masculine où les faibles, les mélancoliques, les romantiques n’ont pas leur place. Dans ce contexte, les pratiques de surf se radicalisent. Les figures réalisées sur la vague se doivent d’illustrer l’animalité masculine alors, qu’originellement, le surf est une cosmogonie c’est-à-dire une consécration de la vague accomplie dans une perspective ontologique. Ainsi, plusieurs styles de pratiques du surf se superposent c’est-à-dire que certains surfeurs, inscrits dans une perspective méditative, privilégient la contemplation océanique, là où d’autres s’emploient à affronter la vague dans une approche compétitive et sportive.


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A ce rythme, les affrontements et les accidents se multiplient sur les spots. Les plus enclins à répondre à cette injonction lancinante à incarner une forme de suprématie sur la nature et sur les autres ne partagent pas la moindre vague, se montrent agressifs, s’évertuent à « scorer » toutes les vagues.

Et si ce que les médias rangent derrière le terme de localisme était l’expression d’un mal être existentiel de surfeurs masculins pris au piège de leur stéréotype de genre, pas encore assurés qu’il existe d’autres espaces d’expression, plus sensibles, plus pacifiques, pour incarner la figure du mâle ?

Quant aux surfeuses, elles sont circonscrites dans un périmètre au sein duquel seul leur capital érotique compte. Au risque de verser dans un registre plus trivial, la plupart des surfeuses sont successivement passées du rôle de muse à celui de fille facile, hypersexualisée. En effet, là encore, la médiatisation du surf féminin met en scène les attributs corporels de celles qui répondent aux canons esthétiques de la beauté non sans convoquer des imaginaires érotiques. Pour toutes celles qui n’entrent pas dans ces standards de beauté, et malgré le fait qu’elles accomplissent des performances sportives remarquables, il est très difficile d’occuper une place sur la scène médiatique ou bien encore d’obtenir un soutien financier de la part des principaux sponsors qui gravitent dans l’économie du surfwear.

Des corps discriminés

Là encore, les observations ethnographiques engagées sur les plages de la côte atlantique mettent en évidence que ce processus d’érotisation de la surfeuse trouve une résonance dans les sociabilités plagiques, c’est-à-dire que, par mimétisme, de manière insidieuse, sont plébiscitées une sensualité et une érotisation des corps dont sont exclus toutes celles et tous ceux dont l’apparence physique pose la question de la légitimité de leur présence sur la plage. Dans ce contexte, les stéréotypes de genre véhiculés dans le monde du surf fondés sur la célébration d’un surfeur apollinien et sur la sexualisation d’une amphitrite contemporaine à la merci du désir masculin introduit des processus discriminatoires au cœur des logiques sociales propres à l’univers de la plage initialement établies sur l’émergence, au dix-neuvième siècle, du désir de rivage, sur la contemplation, la rêverie, le romantisme. Or, ces dispositions sociales initiales des usages de la plage sont situées aux antipodes d’un paradigme érotico-sportif des espaces maritimes qui traduit aujourd’hui l’incapacité de ceux qui se considèrent comme habilités à jouir de l’océan à dépasser l’appropriation nombriliste de leurs territoires de pratique.

Le surf est donc peut-être devenu une discipline sportive à part entière dans la mesure où il dispose d’un pouvoir d’aliénation des masses confrontées à une réelle difficulté quant au fait d’élaborer des logiques d’émancipation vis-à-vis des normes de la bicatégorisation sexuée. Et si le potentiel réenchantement du caractère contre-culturel du surf résidait, et aussi paradoxal que ce choix sémantique puisse le laisser entendre, dans l’émergence d’une glisse plus « terrienne » pour reprendre une expression latourienne, c’est-à-dire davantage située dans la connivence océanique afin que le surf puisse renouer avec sa puissance de transformation de l’être-au-monde ?

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