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Comment les jeunes Québécois d’origine haïtienne réussissent à l'école… envers et contre tout !

Ils vivent des situations difficiles, parfois à la maison, souvent à l'école. Objets de commentaires désobligeants, de préjugés, ils sont aussi partagés entre leurs deux cultures.

Comment ces jeunes issus de la deuxième génération de l’immigration haïtienne au Québec, sont-ils parvenus à réussir à l’école malgré un contexte de vie qui aurait pu les prédestiner à un décrochage scolaire ?

C'est ce que ma recherche m'a permis de découvrir.

D'emblée, il faut savoir que le taux de décrochage est plus élevé chez certains groupes immigrants confrontés à d’importantes difficultés linguistiques, culturelles et économiques, en particulier chez les enfants haïtiens, première et seconde générations confondues.

Les parents des jeunes d'origine haïtienne d'aujourd'hui font partie de la deuxième vague d'immigration. Installés au Québec depuis le milieu des années 70, ils sont pour la plupart issus de couches populaires et rurales, peu ou pas scolarisées et maîtrisant peu le français. Leur niveau socio-économique était, à leur arrivée, plus faible que celui de la première vague d’immigration, car elle a coïncidé avec une morosité du marché du travail dans la province.

Des membres de la communauté haïtienne, au Pavillon d'Haïti, à Expo 67, à Montréal. La première vague d'immigrants fuyaient alors le régime Duvalier. La seconde vague, dans les années 70, ont davantage immigré pour des raisons économiques. Ville de Montréal

Une biculturalité conflictuelle

Ces jeunes rencontrent un double défi souvent décrit par les études comme étant conflictuel : l’un qui les lie à leur culture et à leurs valeurs familiales, et l’autre qui les intègre dans la société d’accueil.

Ces conditions de vie dites « biculturelles » sont présentées comme une source potentielle de déséquilibre et de dysfonctionnement. Malgré ce constat, comparativement aux autres Canadiens, les jeunes âgés entre 15 et 24 ans d’origine haïtienne (première et deuxième générations confondues) sont plus nombreux à fréquenter l’école que l'ensemble de la population du même âge (66% contre 57%) et à avoir suivi ou terminé une formation postsecondaire, non universitaire (20% contre 18%), selon Statistique Canada (2007).

Ces pourcentages pourraient refléter la réussite scolaire de cette population.

Pourtant, le portrait rapporté par les études est souvent pessimiste. Je me suis alors interrogée sur la façon dont ces jeunes sont parvenus à réussir à l’école alors qu’ils étaient confrontés à différents obstacles. Au Québec, aucune donnée n’est disponible sur les caractéristiques de ces jeunes adultes, de même que sur les stratégies déployées pour soutenir cette réussite.

Le but de ma recherche était d’identifier les contextes de vies éprouvants dans lesquels ces jeunes ont évolué, pour explorer par la suite l’influence de leurs caractéristiques personnelles dans la mise en place des actions favorables à leur réussite.

Pour ce faire, j’ai interrogé 16 jeunes d’origine haïtienne (que j’ai recruté au travers de rencontres spontanées et aléatoires à l’UQAM et via le réseau social Facebook) et qui ont raconté leur compréhension de leur réussite scolaire.

Les difficultés rencontrées

Les jeunes de l’étude ont traversé des moments difficiles qui ont perturbé leur fonctionnement scolaire, social et familial. Cela a généré chez eux des fragilités au plan de la santé mentale (détresse psychologique, sentiment d’incompétence, fatalisme), avec pour résultat une démotivation et une contre-performance scolaires.

Voici quelques témoignages recueillis:

« Je voulais être comme les autres […] Je voulais être blanche et blonde et tout ça, mais je ne voulais pas être noire, je ne voulais pas être haïtienne. Je ne voulais pas avoir ma vie. Je voulais être différente ». _

« Au sec 2, début de boulimie […] Au secondaire 4, je suis devenue la méchante fille, pas très gentille […] Je n’étais pas méchante avec les autres, j’étais méchante avec moi-même […] J’ai essayé de me tuer deux fois »

Ces moments qui ont menacé leurs chances de réussite sont liés au contexte familial (rigidité éducative, conditions socioéconomiques précaires, monoparentalité, responsabilités diverses) et scolaire (relations interpersonnelles difficiles, rejet, préjugés discriminatoires, exclusion sociale). Le groupe majoritaire leur a renvoyé une image dévalorisante.

« On m’a souvent traitée de bourgeoise Oréo : ‘’pour qui elle se prend! […] elle n’est pas comme nous‘’»

« les Haïtiens vous êtes tous lents »

« ah les filles, c’est pas qu’on n’aime pas que vous soyez toujours ensemble [à la recréation], mais c’est juste que vous avez l’air d’une gang de rue […] »

Ces situations de vie éprouvantes auraient pu inciter les jeunes à abandonner l’école. Cependant, cela ne fut pas le cas. Comment ont-ils fait?

Des conditions de vie difficiles peuvent inciter des jeunes à abandonner l'école. Mais plusieurs les transforment en moteur de changement et de réussite. Shutterstock

La culture, un pivot de la réussite scolaire des jeunes

L’intériorisation et l’affiliation à certaines dimensions de leur héritage parental et culturel (sentiment de fierté, valeurs de respect et de politesse, lutte contre les préjugés, le racisme, valeur accordée aux études, à la discipline, à l’effort, à la persévérance, etc.) ont réussi à contrebalancer les facteurs défavorables.

Les jeunes ont ainsi transformé des situations de vie difficiles en moteur de changement et de réussite scolaire.

Par exemple, pour tous les jeunes de mon étude, le discours parental sur la valeur accordée à l’effort et à la persévérance a été percutant. Cela a catalysé leur motivation scolaire dans les moments plus fragiles.

« Les Haïtiens sont vraiment très résilients. Si quelque chose arrive, on ne va pas s’abattre. On est très résistants, on ne se décourage pas. C’est quelque chose que je retiens de ma culture. »

Ce résultat à la fois surprenant et inattendu de mon étude apporte un regard nouveau sur l’héritage du capital culturel sur la performance scolaire des élèves : alors que l’accent est surtout mis par les sociologues sur la facette déstabilisante de ce capital et le handicap qu’elle peut susciter chez l’élève, notre étude démontre un effet inverse: le jeune répond mieux aux exigences scolaires en investissant les éléments de sa culture auxquels il s’identifie.

En d’autres termes, un jeune qui a une identité ethnique assumée est plus à même de mettre en place des conditions de réussite.

Un jeune qui a une identité ethnique assumée est plus à même de mettre en place des conditions de réussite scolaire. Shutterstock

La personnalité joue aussi un rôle primordial

Par ailleurs, les résultats de mon étude montrent le rôle majeur de la personnalité des jeunes dans leur réussite scolaire. De façon inattendue, les participants évoquent la contribution de leurs caractéristiques personnelles: capacité d’introspection, à prendre le contrôle de leur vie, à gérer leurs émotions, à se démarquer de leurs pairs par leur confiance en soi, autodiscipline, détermination et persévérance, reconnaissance face aux sacrifices parentaux.


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« Je veux pouvoir me regarder dans le miroir et dire j’ai quand même fait des bons choix […].’ »

Ces jeunes considèrent leur personnalité comme un outil de référence, comme le meilleur instrument à exploiter pour accéder à la réussite. Elle leur a permis de défier les facteurs socio-économiques et de réussir envers et contre tout.

Ma recherche permet de reconsidérer la dimension de l’effort personnel du jeune et de sa participation active pendant son parcours scolaire. Il devient acteur de sa réussite. Il a le pouvoir d'agir sur son environnement et, sur lui-même.

Des pistes d’intervention

Ma recherche apporte ainsi un regard novateur sur les programmes de prévention qui peuvent être mis en place pour lutter contre le décrochage scolaire et favoriser la réussite scolaire des jeunes. De mon point de vue, les stratégies d'intervention devraient être orientées autour des trois axes suivants :

1) Permettre l’expression de la singularité de soi et la culture d'origine: pour un intervenant, il s’agit de cerner le potentiel du jeune, et de lui faire tabler sur celui-ci pour développer ses actions et stratégies. Aussi, il s’agit de prendre en compte l’héritage culturel transmis au jeune par sa famille, à la fois ce qui est rejeté et ce qui est conservé. De telles attitudes éducatives permettront au jeune d’apprendre à avoir confiance aussi bien en ses compétences qu’en son potentiel, suscitant en lui un sentiment de satisfaction.

2) Soutenir plutôt que d’invalider les pratiques éducatives des parents : s’intéresser aux valeurs qui s’avèrent être importantes à leurs yeux et les soutenir dans leur rôle éducatif. Au lieu de leur montrer comment être de « bons parents » en invalidant leurs enseignements lorsque ceux-ci dérogent de la culture majoritaire, y accorder de l’intérêt et les soutenir procureraient à leurs enfants une stabilité favorable à leur réussite scolaire.

3) Apprivoiser les moments de « crise » comme des portes d’entrée pour comprendre la souffrance du jeune. Durant les moments de tensions, au cours desquels le jeune peut manifester des réticences envers l’école ou avoir des conduites provoquantes envers son entourage, il serait possible d’aider les parents, les enseignants et les jeunes eux-mêmes en les amenant à considérer ces « crises » comme des occasions de changement.

En parvenant à retourner les difficultés en leur faveur, les jeunes de l'étude m’amènent à porter un regard optimiste sur la notion « d’obstacles », rappelant le potentiel de croissance qu’elle peut receler.

La difficulté peut certes nous intimider et nous inciter à l’éviter tant elle est porteuse d’une charge émotionnelle éprouvante. Mais c’est en acceptant de la confronter qu’il est possible de constater que dans l’adversité, se trouve une facilité et se cache un potentiel de développement.

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