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Comment les neurosciences et les neurotechnologies peuvent nous aider à surmonter la crise sanitaire

Comment notre cerveau gère-t-il cette crise ? Macrovector/Freepik, CC BY-SA

Le tournant que la crise sanitaire du Covid-19 nous invite à réfléchir sur notre condition humaine et à prendre conscience que l'homme est vulnérable. Les réflexions sur les enjeux bioéthiques et neuroéthiques nous permettent de prendre ce tournant d'une manière ajustée, centré sur la bienveillance et le bien commun.

Le confinement que nous vivons est une vraie épreuve psychologique, pouvant parfois entrainer des états d'angoisses, de dépressions ou d'addictions très graves. Il est probable que nous ressentions différemment le temps qui passe, que nous ayons du mal à dormir, à réorganiser notre temps, à prioriser les choses. Notre cerveau doit s'adapter très vite à ce changement de rythme de vie. Nos connexions synaptiques qui ont l'habitude de s'adapter à des environnements stimulants sont dans l'obligation de se réorganiser. Notre cerveau est plastique et adaptable au changement, mais il se peut aussi que ce confinement laisse des traces, changeant nos comportements et notre vision du monde.

Les neurosciences et les sciences comportementales sont indispensables pour anticiper le déconfinement d'une population de façon progressive en permettant de prendre soin des personnes qui vont en avoir besoin. Elles vont de pair avec le développement de techniques d'explorations du cerveau : les neurotechnologies. Ces dernières sont des dispositifs élaborés à l'interface entre le cerveau et la machine pour visualiser, décrypter et moduler le fonctionnement cérébral et les dysfonctionnements pathologiques. Un des enjeux majeurs des neurosciences aujourd'hui est de savoir quelles règles lient l'autonomie et la physiologie du cerveau aux actions de percevoir, d'agir, de penser.

Or, depuis le début de la pandémie, plusieurs entreprises proposent des neurotechnologies permettant de détecter différents états cognitifs et affectifs, pour bien vivre le confinement, sans qu'il y ait de règles imposées à leurs utilisations. La neuroéthique couvre plusieurs champs très larges de réflexions de l'éthique des neurosciences et neurosciences de l'éthique. Sa singularité demeure dans l'hétérogénéité et la complexité des technologies, des interventions et des connaissances existantes, scientifiquement fondées et dans la capacité du libre arbitre que peut garder l'individu sur de telles technologies. Certaines intelligence artificielle (IA) font partie des neurotechnologies, dans ce cas-là, l'IA est intégrée à des problématiques de neuroéthique et ne soulèvent pas les mêmes problèmes que par exemple l'IA de Facebook ou Google. Autrement dit, la neuroéthique inclut les neurotechnologies sans et avec IA.

Les neurosciences pour «combattre le Covid-19»

Ces neurotechnologies proposées se focalisent sur la détection du stress, de l'anxiété, des émotions, de l'attention au travail. Elles enregistrent l'activité cérébrale en captant les ondes cérébrales pour les traduire en signaux digitaux, traités ensuite par des algorithmes. Elles proposent des casques, des écouteurs, des technologies ayant des formes intéressantes et attrayantes pour les utilisateurs. Ces formes portatives permettent de les emmener partout, ce qui pose beaucoup de questions quant à la surveillance des individus mais également quant à l'utilisation continuelle de ces neurotechnologies. Elles utilisent le Bluetooth et le wifi pour se connecter à des applications mobiles, sont rechargeables. Elles ont des mini scanners EEG pouvant détecter les ondes cérébrales et les mouvements de la tête. Les données cérébrales qui en résultent, dont la compréhension de ce à quoi elles correspondent en langage compréhensible pour le grand public reste à approfondir, peuvent être enregistrées dans n'importe quelle circonstance. Collecter et analyser ces données cérébrales en temps réel semble être de plus en plus simple et à la portée de tous.

Du point de vue des neurosciences moléculaires, leur utilisation, qu'elle soit à des fins médicales ou non médicales, est susceptible de changer les connexions synaptiques à plus ou moins long terme, donc la balance excitation/inhibition. Ce qui aurait des répercussions importantes sur les comportements et d'autres fonctions cérébrales des utilisateurs (l'apprentissage, la mémorisation, la concentration ou l'attention). Dans le cadre d'un traitement d'une pathologie, leur action rééquilibre cette balance. Dans un cadre non médical, leur utilisation pose beaucoup de questions. Sous prétexte de se focaliser sur la détection des émotions afin d'améliorer la vie quotidienne des utilisateurs, ces neurotechnologies sont utilisées par des personnes en bonne santé, perturbant possiblement cette balance.

On le voit, les neurotechnologies et l'IA peuvent aussi bien être utilisées à des fins médicales ou non médicales. Cependant, il est à noter qu'à l'origine, elles sont souvent pensées pour une seule finalité et glissent ensuite vers une autre. D'un côté, les neurotechnologies ont d'abord été plutôt pensées pour une utilisation médicale et sont aujourd'hui de plus en plus utilisées pour une fin non médicale. D'un autre, l'IA a d'abord été conçue dans une perspective non médicale et est aujourd'hui utilisée à des fins sanitaires. Or ce glissement d'une finalité à l'autre est insidieux. Et le plus grave reste le fait que, parce que la technologie existe déjà et qu'elle est déjà utilisée, on ne s'interroge plus vraiment sur les fins.

Les questions de neuroéthique et de neurodroit

Tout n'est pas testable, ni souhaitable, ni même réalisable. La mise au point d'innovations, de technologies, de neurotechnologies impactant la vie des utilisateurs, demande d'avoir des limites éthiques. Plus nous en apprenons sur le cerveau et son fonctionnement, plus les méthodes de neuromodulation et les neurotechnologies deviennent puissantes et précises, et plus l'effet de ces manipulations sur les états mentaux et le comportement doit nous interroger. Les résultats incroyables obtenus n'arrivent plus à cacher le besoin de le formaliser. Des protections appropriées des espaces privés et de l'identité individuelle doivent être intégrées dans notre compréhension des droits de l'Homme. Ces neurotechnologies génèrent des quantités vertigineuses de données, qu'il nous faut comprendre, et leur utilisation, susceptible de modifier sensiblement la personnalité, les pensées et l'expérience sensorimotrice d'une personne, exige que l'on prête attention aux protections individuelles et sociétales.

A ce jour en France et en Europe, il y a un début de réflexions sur des lignes directrices communes pour orienter de manière responsable le développement et l'application de ces nouvelles neurotechnologies. Des recommandations de l'OCDE de décembre 2019, sur «l'innovation responsable dans le domaine des neurotechnologies» constituent les premières pierres normatives internationales dans ces domaines, ce qui permettra aux inventeurs, aux utilisateurs, aux chercheurs, et aux pouvoirs publics de créer et d'utiliser ces neurotechnologies avec des limites éthiques, juridiques et sociétales. En France, même si la loi bioéthique, en cours de révision, commence à intégrer ces notions dans l’article 16-14 du Code civil, rien n'est pour l'instant statué concernant les neurotechnologies de nouvelle génération.

Et maintenant, que faisons-nous ?

C'est maintenant que nous avons besoin des neurosciences et de la neuroéthique. Il nous faut comprendre comment ces neurotechnologies et les avancées des neurosciences affectent le futur, leurs impacts sur l'homme, les relations, le marché du travail… La confiance du grand public dans la science devrait être fondée sur un déploiement responsable des progrès scientifiques. Les frontières entre les utilisations médicales et non médicales deviennent trop poreuses, avec des applications commerciales destinées au grand public en bonne santé, impliquant nécessairement une réglementation.

Il est donc urgent de se demander si l'utilisation de neurotechnologies stimulant l'activité cérébrale dans une période de confinement, où le cerveau est déjà mis à rude épreuve, ne serait pas contreproductive chez certaines personnes. Sans compter que plusieurs études récentes semblent indiquer que le Covid-19 affecte le cerveau sans que l'on sache s'il y aura des répercussions à long terme quant aux comportements des patients qui ont eu ces symptômes. Il serait intéressant de se demander si l'utilisation de ces neurotechnologies pourrait être source d'aggravation de symptômes neurologiques chez les personnes ayant été infestées par le Covid-19.

Il nous faut réfléchir à des gardes fous pour ces applications, qui dépassent largement le cadre médical. La neuroéthique, qui est un domaine interdisciplinaire, peut nous permettre de comprendre les enjeux de cette crise sanitaire. Il serait intéressant d'adopter un ensemble de principes similaires au rapport Belmont pour la neuroéthique et que des équipes de recherches interdisciplinaires à l'interface des sciences humaines et sciences exactes puissent voir le jour en France afin de travailler sur ces questions, peut être au sein d'un nouvel Institut de la Technologie pour l'Humain à l'image de celui du Canada ou des USA.

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