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La ministre de la Culture, Rachida Dati lors du discours général du premier Ministre Gabriel Attal le 31 janvier 2024. Miguel Medina/AFP

Comment l’ombre de Sarkozy divise Les Républicains

L’adoption de la loi sur l’immigration du 19 décembre 2023 était apparue comme une victoire pour Les Républicains (LR). Elle semblait valider la stratégie mise en place par les principaux responsables du parti de droite.

Mais la constitution du nouveau gouvernement, et en particulier le débauchage de Rachida Dati, présidente du Conseil National des Républicains, figure de proue de la droite parisienne et ancienne Garde des Sceaux sous Nicolas Sarkozy, a pris de court bon nombre d’observateurs et a remis en cause cette impression de renouveau. Tout comme la censure des articles les plus droitiers et les plus polémiques de la loi sur l’immigration par le Conseil constitutionnel.

Ces développements ont rappelé à Éric Ciotti, la fragilité de son leadership, et au parti conservateur les incertitudes concernant son avenir et sa survie.

Un espace politique de plus en plus réduit ?

Après Rachida Dati, la nomination de Catherine Vautrin – ancienne ministre de Jacques Chirac et ancienne membre de LR désormais affiliée à Horizons – et le maintien à leurs postes d’anciennes figures de LR comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont confirmé l’ancrage à droite du gouvernement. En témoignent aussi le ton utilisé et les thèmes abordés par Emmanuel Macron ou plus récemment Gabriel Attal.

Ce positionnement diminue de fait l’espace politique du parti conservateur, déjà débordé par sa droite par le Rassemblement national (RN) et Reconquête ! et qui se voit réduit à brandir la menace d’une motion de censure pour exprimer son mécontentement et essayer de peser sur le cours des choses.

Une compilation de plusieurs sondages tentant de mesurer le futur rapport de force des élections européennes du 9 juin prochain confirme d’ailleurs l’étroitesse de cet espace. Le RN et Reconquête ! sont crédités de près de 34 % des intentions de votes (28 % pour le premier et 6 % pour le second), le mouvement présidentiel recueillerait 19 % des suffrages… alors que LR est crédité de 8 % des voix.

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Certes, LR conserve une assise locale et un poids au Sénat qui lui ont jusqu’à présent permis de ne pas disparaître. Mais alors que le débat sur l’immigration avait semblé repositionner le parti conservateur au centre du jeu politique français, la séquence nouveau gouvernement/censure du Conseil constitutionnel assombrit cette perspective.

Elle interroge aussi le bien-fondé de sa stratégie et la légitimité du leadership et du management de son président à un moment où ses adversaires, et en particulier le RN, apparaissent plus offensifs et plus audibles sur des sujets comme la sécurité, le pouvoir d’achat ou encore la crise des agriculteurs.

La proposition d’Eric Ciotti de garantir un revenu plancher de 1500 euros à chaque agriculteur en récupérant le budget alloué à l’Aide médicale d’État pour répondre à la crise agricole actuelle est par exemple apparue peu crédible et a même été rejetée par certains agriculteurs.

Leadership transformationnel et humble

En matière de leadership, les recherches les plus récentes mettent en lumière deux concepts, le leadership transformationnel et le leadership humble. Le premier est porté par un leader qui va aider et encourager les membres de son organisation et les aider à progresser en s’assurant qu’ils avancent tous dans la même direction et en les inspirant. Le second renvoie à l’idée de leaders capables d’assumer leurs responsabilités, n’ayant pas peur de se remettre en question et de dévoiler leurs faiblesses et leurs limites.

Ces pratiques sont particulièrement plébiscitées par les jeunes générations qui sont sensibles à l’exemplarité et à la cohérence des actes avec les valeurs affichées. Jacinda Ardern, ancienne première ministre néo-zélandaise, ou Yvon Chouinard, le fondateur de la marque de vêtement Patagonia, sont deux figures qui incarnent cette tendance actuelle. La première parce qu’elle a notamment baissé de 20 % son salaire et ceux de ses ministres en signe de solidarité suite aux difficultés économiques liées au Covid. Le second car il a transféré 100 % des parts de son entreprise à un trust et à une association de lutte contre la crise environnementale, à qui seront reversés les futurs profits.

Comment concilier nouvelles exigences, privilèges et anciennes pratiques ?

Fidèle à une stratégie de fermeté vis-à-vis des « déserteurs », Eric Ciotti a exclu Rachida Dati de LR. Sa décision semble s’inscrire dans la tendance actuelle en matière de leadership puisque l’exclusion de la figure sarkoziste s’est faite au nom de l’exemplarité, de la fidélité et de la cohérence avec les valeurs du parti.

Mais Éric Ciotti n’a pas manqué de souligner « l’estime » et « l’amitié » qu’il lui portait malgré sa « trahison » et l’exclusion de l’ancienne Garde des Sceaux n’est, semble-t-il, toujours pas officialisée.

Le retour de Xavier Bertrand ou celui de Valérie Pécresse dans le giron de LR pour participer à la primaire pour l’élection présidentielle de 2022, alors qu’ils avaient auparavant claqué la porte du parti, ont rappelé que les ruptures étaient rarement définitives en politique.

Les prises de position des différents protagonistes de l’exclusion de Rachida Dati semblent ainsi laisser la porte ouverte à un possible retour suite à son escapade macroniste. Les manœuvres de cette dernière pour continuer de peser au Conseil de Paris malgré sa nomination comme ministre de la Culture et le peu de réactions de ses anciens alliés LR de peur de se mettre à dos l’opposante désignée à Anne Hidalgo en vue des prochaines élections municipales, illustrent bien le flou et les ambiguïtés de cette mise à l’écart.

Rachida Dati répond à Eric Ciotti, le Point.

À terme, de telles pratiques pourraient avoir du mal à passer auprès d’une jeune garde théoriquement plus sensible à un leadership porteur d’exemplarité et pourraient mettre en danger l’autorité d’Éric Ciotti. Mais la politique a de tout temps été faite de trahisons et de retours en grâce dictés par le rapport de force électoral.

L’histoire a montré qu’il n’est pas si aisé de dépasser les différences générationnelles et de prendre la place des barons installés depuis plusieurs décennies. Pour mémoire, les quadras « rénovateurs » du RPR et de l’UDF – Philippe Séguin, François Fillon, Michel Noir, Dominique Baudis, François Bayrou… – avaient essayé en 1989 de prendre le leadership de la droite à Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, jugés responsables des défaites électorales de 81 et 88. Sans succès… et sans que l’électorat et les soutiens de ces derniers ne s’en détournent.

Quelle relance pour LR ?

Officiellement, Éric Ciotti a toujours pour ambition de relancer son parti en s’appuyant et en soutenant la candidature de Laurent Wauquiez lors de l’élection présidentielle de 2027 même si les légères tensions apparues entre les deux hommes lors de la réforme des retraites ont montré que rien n’est jamais gravé dans le marbre.

La perspective de cette candidature ne semble pas, à ce stade, en mesure de remettre en question l’opposition annoncée entre les candidats du RN et du camp « macroniste » en vue de l’élection de 2027.

Le président de LR devra donc, à la fois, inspirer, donner des gages et ménager les anciennes et les nouvelles générations du parti conservateur, s’il veut les rassembler et déjouer les pronostics. C’est à ce prix qu’il parviendra à consolider son leadership et à empêcher la disparition de sa formation politique.

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