Le gouvernement a décidé d’assouplir le recours au télétravail depuis le 9 juin 2021 et un nouveau protocole sanitaire s’applique depuis le 1er juillet. Les entreprises doivent désormais créer les conditions d’un retour hybride en suivant deux principes. Il y a d’une part la progressivité (il ne faut pas débrancher les dispositifs brutalement) et d’autre part l’adaptabilité (faire du sur-mesure pour chaque situation).
Comment créer les conditions d’une coexistence vivable sachant que l’équation « bien-être et productivité » en télétravail dépend de l’adhésion des salariés au projet qui leur est proposé ?
Pour sécuriser et accompagner les télétravailleurs, les managers se trouvent en première ligne. Fin 2020, ils étaient seulement 50 % à être favorables au télétravail et 40 % signalaient des difficultés majeures (+22 points depuis 2018).
Pourquoi cette défiance ? Le télé-management transforme les pratiques, bouleverse le rapport au temps et aux autres, tout en accélérant la transformation numérique. Dans ce contexte, l’enjeu reste de maintenir un sentiment de proximité au sein d’équipes dispersées.
Plusieurs enquêtes réalisées auprès de 38 entretiens de télé-managers et l’étude de 6 cas d’entreprises et administrations nous ont menés au constat suivant : adopter un management « capacitant », c’est-à-dire centré sur la capacité d’agir, permet à chacun d’y trouve son compte, en l’occurrence bien-être pour le salarié et amélioration de l’organisation du travail pour le dirigeant.
Virage managérial
Notre approche, empruntée aux ergonomes, s’enracine dans la pensée de l’économiste Indien Amartya Sen, prix « Nobel » d’économie en 1998 notamment pour ses travaux autour du concept de « capabilité ». Celui-ci désigne le champ des possibles pour un individu et pour l’organisation qui en bénéficie. Élargir les « capabilités » suppose un environnement favorable, propice aux débats, à la co-construction de l’activité et au travail d’organisation.
Concrètement, dans l’entreprise, cela conduit à offrir la possibilité de participer à des groupes de travail, à des espaces de réflexion et de co-construction des pratiques, organisés à la fois en réel et en virtuel. L’environnement global de travail soutient alors le pouvoir d’agir de chacun, lui permettant d’exprimer ce qu’il est capable de faire.
Nous avons observé que le mode de management avait dans certains cas intégré cette dimension « capacitante » pour aborder le télétravail. Cela permet de mieux concilier bien-être des salariés et mutations du travail. Il s’agit d’un réel virage managérial, que nous avons observé à différents niveaux des organisations les plus novatrices.
Co-construction des pratiques
Au niveau politique, cette vision du management donne une capacité d’agir aux acteurs pour penser les transformations au service d’un projet collectif.
Dans le cas d’un bailleur social rennais par exemple, il s’agissait ainsi, déjà avant l’épidémie, d’aller vers plus de proximité, de bien-être, d’innovation et de développement durable. Comme nous l’a expliqué sa directrice des ressources humaines :
« C’est quelque chose qui peut aussi être identifié pour la direction comme un facteur d’amélioration, différenciant, innovant, par rapport à ce qui peut se pratiquer de façon classique sur le télétravail ailleurs. »
Le télétravail fait partie d’un vaste plan d’action portant sur l’aménagement de l’espace de travail, la digitalisation… Le tout en s’appuyant sur une responsabilisation des salariés :
« Ce sont des adultes, nous leur faisons confiance. »
Au niveau de la direction des ressources humaines (DRH), il s’agit ainsi de poser le travail comme un objet de co-construction des pratiques.
Autre exemple, pendant le premier confinement, une université a mis en place un groupe de travail réunissant différents membres du personnel, médecine du travail et membres de la DRH pour faire évoluer les procédures en place. Un questionnaire sur le télétravail et l’enseignement à distance a été adressé aux personnels ainsi qu’aux étudiants pour analyser la situation et les ressentis.
Les réponses ont montré la diversité des besoins, en fonction du niveau d’aisance avec le numérique, mais aussi des situations de travail et profils de répondants, appelant à mettre en place une réponse adaptée.
Manque de soutien
Une seconde enquête que nous avons menée est venue confirmer le rôle central du manager. Le télé-management suppose une posture de facilitation, d’expérimentation, de maintien du lien à distance, et d’accompagnement des collaborateurs par une juste présence.
Un manager en témoigne :
« L’agenda partagé et respectant la vie privée : ça aide ! On avait notamment bien vérifié avant qu’il n’y avait pas de problème pour les enfants, et que les salariés pouvaient faire leur travail normalement. »
À présent, l’enjeu est d’élargir cette capacité d’agir en expérimentant et en co-construisant, par apprentissage continu, des pratiques cohérentes avec ce que les télétravailleurs font au quotidien.
Cependant, trop souvent, les télé-managers interrogés ont rapporté être empêchés, par manque de soutien, de marge de manœuvre, de formation, et des objectifs contradictoires. Un enquêté en témoigne :
« C’était compliqué parce que ma hiérarchie me demandait de savoir exactement ce que faisaient mes équipes pour être sûr que le télétravail était vraiment du travail. On se situe entre la confiance qu’on met dans les gens et le besoin de savoir ce qu’ils font. C’est très compliqué à équilibrer. »
Pourtant, le télétravail peut avoir un effet accélérateur vers un management plus humain, au service de la reconnaissance des collectifs, du travail et des personnes.
Dans ce sens, le management « capacitant » suppose d’accompagner les différentes parties prenantes pour qu’elles osent élargir le champ des possibles. Il s’agit aussi de réinvestir le métier de manager : leur faire confiance et les équiper pour accompagner, soutenir et faciliter les pratiques d’hybridation.