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Un neurone en culture observé au microscope. NIH Image Gallery / Flickr

Comment se décide la destinée des cellules embryonnaires ?

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Les cellules montrent une grande diversité. Elles évoluent dans des environnements dynamiques, fluides et riches. Elles montrent des architectures internes incroyablement complexes, capables de déformations, qui se contractent et résistent aux étirements. Cette architecture contraste nettement avec celle des ponts et des ossatures d’acier ou de béton des immeubles. Les cellules possèdent des propriétés mécaniques époustouflantes, ainsi que des capacités d’intégration des informations de leur environnement physique, étonnantes. Le concept que la cellule puisse intégrer un signal mécanique est un des piliers de la mécanobiologie, qui étudie comment les cellules transforment les contraintes physiques en signaux biochimiques qui modifient des activités enzymatiques et modulent l’expression des gènes de la ou des cellule(s) concernée(s).

Les cellules ont un squelette

Quels sont les éléments qui « charpentent » une cellule et lui confèrent des propriétés mécaniques ? Plusieurs éléments de tailles différents composent l’ossature de la cellule, ou cytosquelette : les microfilaments, les microtubules et les filaments intermédiaires. Tous sont des polymères protéiques impliquant l’actine pour les microfilaments d’actine, ou différents types de tubulines pour les microtubules. En s’associant avec la myosine cellulaire, l’actine forme par exemple un système qui dote la cellule de la capacité de se contracter (contractilité).

STD Depth Coded Stack Phallodin Stained Actin Filaments. Howard Vindin/Wikimedia, CC BY

Le cytosquelette est un ensemble de réseaux flexibles fibreux qui permet à la cellule de maintenir ou de changer de forme, de se mouvoir, de faire circuler des éléments à l’intérieur de la cellule ou d’établir des contacts ou jonctions avec son environnement physique. Différents types de jonction assurent l’adhérence, la communication entre cellules ou les interactions locales des cellules avec leur substrat. Ces jonctions peuvent être connectées avec les réseaux des filaments d’actine ou de filaments intermédiaires, et ainsi mettre en relation ou en tension les cytosquelettes de cellules voisines.

Le contrôle du destin des cellules embryonnaires

La manière de comprendre comment les cellules se différencient et des organes se forment au cours du développement d’un embryon repose principalement sur des interactions à distance, via ce que l’on appelle des phénomènes d’induction.

L’induction est une propriété que possèdent des groupes de cellules à influencer d’autres groupes de cellules non différenciées. Les cellules sont dites non différenciées quand elles ne sont pas spécialisées. L’induction stimule donc des cellules non spécialisées afin qu’elles adoptent un type ou une fonction cellulaire distincte des autres groupes cellulaires. Classiquement, cette influence est matérialisée par un gradient de molécules, ou morphogènes, qui induit à distance et en fonction de la concentration, une réponse adaptée dans les cellules réceptrices. Peu d’entorses aux mécanismes d’inductions à distance avaient été rapportées, à l’exception, par exemple, de la différenciation des cellules du tissu nerveux chez les amphibiens qui nécessite des contacts entre cellules.

Des approches interdisciplinaires ont pu montrer des mécanismes alternatifs d’induction, reposant sur les interactions physiques entre cellules, sur la géométrie de l’embryon, ou sur des mécanismes d’étirement ou de contractilité des cellules, de pression hydraulique ou de combinaison d’interactions cellulaires. Ainsi, les cellules dans l’embryon répondraient à la fois à des cris lointains (les morphogènes) et à des chuchotements (contraintes physiques proches).

Les enjeux d’un jeu de touche-touche

L’ascidie est un animal marin dont la transparence des embryons facilite l’étude du développement embryonnaire. Dans ce modèle, l’observation des divisions cellulaires et du lignage cellulaire au cours du développement précoce de Phallusia (ascidie blanche) a permis de remarquer une haute reproductibilité de l’agencement entre cellules et de leurs réarrangements.

Ascidie. Expert de la régénération, cet animal est aussi un modèle de choix dans l’étude du développement embryonnaire. Samuel Chow/Flickr, CC BY

En combinant des approches informatiques et expérimentales, il a été rapporté que les zones de contact cellulaire ont un grand potentiel de codage, de par leurs combinaisons possibles. Ce potentiel de codage serait suffisant pour expliquer toutes les inductions embryonnaires précoces connues chez l’ascidie, sans qu’il soit nécessaire d’invoquer des gradients de concentration de morphogènes. Les changements expérimentaux de surfaces de contact de ces cellules perturbent le développement embryonnaire, suggérant que ces zones précises de contact cellule-cellule sont importantes pour la spécification de destins cellulaires, dont celui des cellules neurales. Les propriétés de ces zones de contact imposeraient des contraintes sur la géométrie de l’embryon et coderaient précocement des destins cellulaires. Le rôle des morphogènes serait plus tardif dans cette espèce.

Embryons de mammifères sous pression

Les tensions mécaniques joueraient également un rôle de premier plan dans le contrôle du destin des cellules embryonnaires de mammifères. Lors de la semaine qui suit la fécondation, l’œuf humain se divise pour former une structure appelée blastocyste.

Le blastocyste est composé de deux populations de cellules : le bouton embryonnaire et le trophoblaste. Le bouton embryonnaire composera tous les organes de l’embryon, tandis que les cellules périphériques du trophoblaste seront responsables de l’élaboration des structures extraembryonnaires qui assureront lors de la gestation des fonctions de protection, de nutrition, de respiration ou d’excrétion. Comment se décident les destins des cellules du trophoblaste ou du bouton embryonnaire ?

Blastocoele. L’embryon de mammifère est une sphère creuse dont la circonférence est formée par les cellules du trophoblaste. Les cellules qui organiseront l’embryon constituent une masse cellulaire modeste, en forme de « bouton ». Medical Graphics, CC BY-NC-ND

D’un point de vue mécanique, il a été démontré que le blastocyste est une sphère creuse, avec une cavité (appelée blastocoele) dont le volume tend à augmenter dans un espace contraint, créant une augmentation de pression hydraulique accompagnée d’une augmentation de la rigidité des cellules du trophoblaste. Cette rigidité est associée à l’étirement des cellules et à une augmentation de la tension corticale, couplée au remaniement du cytosquelette et des jonctions entre cellules.

La mécanique d’un destin

Des approches interdisciplinaires suggèrent que le destin des cellules embryonnaires de mammifères serait lié aux contraintes mécaniques : les gènes « obéiraient » aux propriétés mécaniques subies pour moduler leur différenciation.

Si la rigidité et la capacité d’étirement des cellules sont altérées, il est observé que le nombre de cellules du trophoblaste diminue. De même, lorsque des cellules perdent leurs capacités à s’étirer et à se contracter, les cellules adoptent un destin de cellule de bouton embryonnaire, quelle que soit leur position, même périphérique, dans l’embryon.

Dans ces cellules, certaines protéines sont confinées dans le cytoplasme et sont privées d’accès aux gènes. Cette privation conduit à la diminution du nombre de cellules qui se différencient en trophoblastes et à l’augmentation de cellules du bouton embryonnaire.

Plus que la position des cellules dans l’embryon, ce sont les contraintes mécaniques subies par ces cellules qui déterminent leur destin. Les faibles contraintes d’étirement des cellules internes et les fortes contraintes d’étirement des cellules périphériques, couplées aux propriétés des contractilités et à la pression hydraulique exercée par le blastocoele, permettent d’ébaucher de nouveaux schémas d’auto-organisation de l’embryon où les lois de la physique sont essentielles au développement d’un organisme.

Ces approches interdisciplinaires ouvrent des perspectives de compréhension du vivant qui vont au-delà des aspects protéiques et géniques de la vie cellulaire, où l’environnement physique façonne les destins. Dans le tintamarre moléculaire et le tumulte cellulaire du développement, la physique a quelques secrets à nous chuchoter.

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