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Comment Song Chao, ancien mineur en Chine, est devenu un photographe de renom

Le regard humaniste de Song Chao sur les mineurs, dans la série Miners II. 500photographers

Song Chao est né dans le Shandong en 1979, une province à 500 km à l’est de Pékin. Son pays, la Chine, est le plus gros consommateur de charbon au monde, mais également un important producteur de ce minerai avec lequel il fabrique de l’électricité et grâce auquel une grande partie de la population se chauffe.

Dans cette région, les mines sont nombreuses et les réserves importantes. Les exploitations sont, comme partout dans l’Empire du Milieu en dépit des récents efforts faits par les autorités en matière de sécurité, très dangereuses. Les accidents y sont fréquents à l’image de ceux qui ont lieu en octobre 2018 (21 morts) et en février 2019 (20 morts).

Song Chao, fils de paysans, est allé vivre avec son oncle dans le bassin minier à l’âge de 10 ans. Il a commencé à la mine en 1997 où, comme ses camarades, il travaillait 12 heures par jour, descente et remontée comprises. En 2001 il a la chance de rencontrer le désormais célèbre photo-journaliste professionnel Hei Ming, né en 1964 dans le Shanxi, qui a fait ses études à l’Académie de l’artisanat et des beaux-arts de Tianjin, venu cette année-là de la capitale faire un reportage sur les mines du Shandong.

Hei Ming sera la première source d’inspiration de Song Chao, qui décide d’ouvrir avec l’aide de son frère un studio éphémère en plein air, sur le carreau de la mine dans laquelle il descend chaque jour. Entre mars et septembre 2002, à l’heure où avec ses camarades il remonte du fond, il les prend en photo tels qu’ils sont dans leurs tenues de travail, le visage noirci, sur le vif, même si beaucoup d’entre eux tentent de prendre la pose. Avec l’aide de sa famille le photographe, encore amateur, acquiert un premier appareil 35 mm, puis après avoir étudié – sur les conseils de Hei Ming qui l’a pris sous son aile –, le travail de l’Américain Richard Avedon, porteur d’une forte conscience sociale et, notamment, auteur de clichés de cow-boys, il se dote d’un appareil plus précis, un 4-5 inches, ce qui pour un mineur représente une dépense considérable, soit près d’un an de salaire.

La naissance d’un grand artiste

Hei Ming parle alors de son protégé à Alain Jullien, un photographe français qui travaille en Chine. Jullien est à l’origine de plusieurs manifestations culturelles dans ce pays. Co-fondateur, en 2001, du Festival international de la photographie de Pingyao, devenu depuis un évènement incontournable pour les amateurs et les professionnels. Dans cette ville chinoise traditionnelle très bien conservée, classée au Patrimoine mondial par l’Unesco, ils sont de plus en plus nombreux à se réunir. Véritable vitrine de la création d’aujourd’hui, 4 000 photographes originaires de 31 pays, y ont été accueillis en 2017. C’est là, en 2003, que le jury décerne à Song Chao une récompense spéciale, dans le cadre du Prix l’Oréal de la photographie chinoise contemporaine, pour ses clichés de mineurs.

Aux 34e Rencontres de la photographie d’Arles qui se tiennent du 5 juillet au 12 octobre 2003, dix-huit photographes chinois sont présents, dont Song Chao. Âgé de 23 ans, il est le plus jeune et ne pratique la photo que depuis peu de temps. Alain Jullien, commissaire de l’une des 36 expositions, a reconnu dans ce jeune ouvrier, qui a travaillé à 430 mètres de fond dans les entrailles de la terre, dans cet autodidacte de la photo, un talent exceptionnel fait de réalisme et de mise en lumière de ces hommes qui travaillent dans les ténèbres. Il décide de le faire connaître en France. C’est à cette occasion que le jeune mineur de houille prend l’avion pour la première fois et commence à exposer ses clichés à l’étranger. Ils sont ensuite montrés dans le cadre de l’Année de la Chine en France, lors de l’Exposition internationale de la photographie – « Pingyao à Paris » –, organisée dans les locaux du cinéma MK2 Bibliothèque nationale de France, situé dans l’emblématique arrondissement chinois de Paris, le XIIIe, du 6 février au 28 mars 2004.

Un portrait de mineur par Song Chao. Collection personnelle de Diana Cooper-Richet, Author provided

Il expose de nouveau à Paris, huit ans plus tard, à la Galerie Paris-Beijing – rue du Vertbois (IIIe) – en 2012. « Back and Forth » est une rétrospective montrant l’ampleur prise par son travail en dix ans. En effet, à la suite des deux séries consacrées aux « gueules noires » : « Mineurs I » et « Mineurs II », il a posé son objectif sur leurs familles – « Miners’ families » –, puis sur la communauté minière au sens large – « Coal-mine communities » –, ainsi que sur le paysage minier si particulier – « The landscape of coal-mines » –, plus noir que vert, pollué et enclavé, que crée l’exploitation – souterraine ou en « découverte », comme à Decazeville ou en Allemagne encore aujourd’hui – du charbon. Les photos de Hei Ming ont, elles aussi, été exposées à Paris, à la Mairie du XIIIe arrondissement, en février 2019 à l’occasion du Nouvel An chinois. « Capturer l’âme » comportait plusieurs séries de portraits : d’anciens combattants, de moines….

Réalisme et humanité

Comme tous les mineurs de charbon qui s’adonnent à une activité artistique ou littéraire – qu’ils se muent en peintres, qu’ils se transforment en écrivains, en poètes ou en chansonniers –, leur seul sujet, quel que soit le pays d’où ils sont originaires, quel que soit la langue dans laquelle ils écrivent, quel que soit le genre ou la forme d’art à travers lequel ils choisissent de s’exprimer, est toujours la mine, ceux qui y travaillent et leur environnement.

De ce point de vue, Song Chao, comme Baldomero Lillo (1867-1923) au Chili au début du XIXᵉ siècle, les Pitmen Painters d’Ashington (Grande-Bretagne) dans les années 1930 ou Sakubei Yamamoto (1892-1984) à Fukuoka au Japon dans les années 1950-1960, ne déroge pas vraiment à la règle, même si plus récemment il s’est tourné vers les Mingong avec « Migrant workers », montrant ces Chinois qui migrent par centaines de milliers des campagnes vers les villes à la recherche d’une vie meilleure, laissant le plus souvent au village femmes et enfants, auxquels il a dédié sa série intitulée « Hold ».

La force de tous ces mineurs, artistes ou écrivains, réside dans le réalisme et l’humanité de leurs œuvres. Les portraits de Song Chao sont en noir et blanc, sur fond blanc. Les clichés qu’il a réalisé de ses camarades l’ont été à la lumière du jour. Lorsque ceux-ci prennent la pose, elle semble simple, presque naturelle, comme prise pour faire plaisir au photographe-amateur qui travaille tous les jours avec eux. Ses portraits, au cadrage et à la composition très épurés, sont extrêmement attachants.

Song Chao a quitté la mine. Il vit désormais à Pékin. Rares ont été, dans l’histoire des mineurs-artistes ou des gueules noires-écrivains, et ils ont été assez nombreux, ceux qui ont pu définitivement s’extraire de leur condition d’ouvrier, traverser le miroir, à avoir été connus et reconnus pour la qualité de leurs œuvres. Tel est, pourtant, le cas de Song Chao, dont les photos se disputent aujourd’hui sur le marché de l’art.

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