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Communistes versus Insoumis, les racines du conflit

Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon, à la fête de l'Huma de 2011,au temps de l'union. Place au peuple / Wikimedia, CC BY-SA

Jean‑Luc Mélenchon s’est (encore) attiré les foudres des communistes du fait de son absence à la dernière fête de L’Huma, une absence perçue comme une manifestation de sa volonté de « jouer perso ». Les critiques de Pierre Laurent ont provoqué l’ire des Insoumis.

Cette dynamique conflictuelle entre PCF et France insoumise (FI) doit-elle surprendre et apparaître comme une vraie rupture ? Pas réellement. Car si ces acteurs ont longtemps été alliés au sein du Front de gauche (FG), ils y étaient tout autant en conflit et étaient loin de partager une même stratégie politique.

Cet épisode peut néanmoins apparaître comme le symbole de la fin d’un cycle politique pour la gauche radicale. Un cycle ouvert en 2005 avec la campagne du non contre le TCE. À l’époque, le groupe Mélenchon y animait pour la première fois un stand à la fête de l’Huma, avec l’association Pour la République sociale (« ancêtre » du Parti de gauche, PG). L’alliance avec le PCF y constituait alors l’un des principaux axes stratégiques.

En 2017, la présence des Insoumis est minimaliste. Ceux-ci tendent désormais à remplacer l’union organisationnelle par l’affirmation d’une position hégémonique et ne se revendiquent plus tant du clivage gauche-droite que de celui opposant le peuple à l’oligarchie.

Le ralliement tardif et par défaut à la candidature Mélenchon

Début 2016, Pierre Laurent se déclare ouvert à des primaires de la gauche. S’ensuit une longue période de discussions au PCF sur la manière d’aborder la présidentielle. Pendant que le PCF tergiverse, Jean‑Luc Mélenchon s’active. Il annonce sa candidature « hors cadre des partis », le 10 février 2016. Dans la foulée est lancée la plateforme de la FI. Il enchaîne les interventions médiatiques et lance pleinement sa campagne.

À l’automne, alors que les options tactiques du PCF sont limitées, Pierre Laurent se résout à soutenir Jean‑Luc Mélenchon. Le 5 novembre, les cadres communistes en décident autrement, avant d’être eux-mêmes contredits par le vote des adhérents, une courte majorité (53,6 %) des communistes se déclarant pour un soutien à Jean‑Luc Mélenchon.

Ce sera donc le ralliement. Mais un ralliement tardif et par défaut, sans aucune marge de manœuvre pour le PCF qui ne peut, contrairement à 2012, monnayer son soutien en échange d’une forte contrepartie.

Jean‑Luc Mélenchon à Toulouse, le 16 avril 2017. MathieuMD/Wikimedia, CC BY-SA

Le PCF soutient Jean‑Luc Mélenchon mais refuse le cadre de la FI et sa charte législative. Se rallier sans condition serait en effet accepter tout à la fois une forte incertitude et une position dominée. Forte incertitude car le processus de désignation des candidats investis par la FI laisse peu de place à des négociations inter-partisanes : il est alors impossible de faire prévaloir la prise en compte des « sortants » communistes et des circonscriptions dans lesquelles le PCF réalise des résultats honorables, soit, en termes communistes, les circonscriptions « en reconquête ».

Forte incertitude, toujours, car la signature de la charte FI suppose une association de financement commune, mais contrôlée par la FI. Même si une clause de reversion est prévue, rien n’indique que ce principe ne fera pas ensuite l’objet de négociations. À tout le moins, le PCF risque la perte de contrôle de ses financements publics pour une législature. Position dominée, difficilement acceptable pour un parti qui a avec constance affirmé ses prétentions à une position dominante au sein du FG.

Le soutien à Jean‑Luc Mélenchon n’est donc qu’une temporisation et une parenthèse : tout est en place pour que ce conflit soit immédiatement réactivé au lendemain de la présidentielle.

Le Front de gauche, une coalition d’intérêts partisans

Ces difficultés tirent leur origine tout à la fois des intérêts divergents des partis et de leur histoire relationnelle. Elles ne sont pas nouvelles, même si elles se posent en des termes différents depuis la fin du FG. Alors que Jean‑Luc Mélenchon et le PG se comportaient jusque-là comme des partenaires juniors cherchant à subvertir la relation asymétrique qui les liait au PCF, ils s’extraient désormais du jeu des négociations entre forces de gauche.

Le FG a été créé en 2009 et regroupait alors principalement le PCF, le Parti de gauche et un petit groupe trotskiste (aujourd’hui passé au PCF). Deux acteurs principaux donc, et deux conceptions opposées de l’alliance : pour le PG, le Front de gauche apparaît comme la première étape d’un processus de fusion similaire à Die Linke en Allemagne. Il s’agit de faire la preuve de l’efficacité électorale de l’unité pour vaincre les réticences face à la perspective d’une unification plus poussée. Pour les communistes, il s’agit avant tout d’un choix réversible et incrémental visant à adopter le dispositif le plus adapté aux différentes élections.

Georges Marchais, l’ancien patron du PCF jusqu’au début des années 90. David Boeno/Wikimedia, CC BY-SA

Le FG est une tactique parmi d’autres pour faire face au déclin électoral. Depuis 1979, le PCF a toujours présenté des listes communistes lors des européennes. L’alliance avec le PS n’y est guère envisageable. En revanche, une alliance à la gauche du PS apparaît comme une solution permettant de maintenir les (maigres) positions du PCF au Parlement européen.

Mais un an auparavant, la stratégie retenue pour les municipales – l’auteur du rapport n’était autre que Pierre Laurent lui-même – visait, au contraire, au maintien de la traditionnelle union de la gauche dont dépend en grande partie le réseau d’élus locaux du PCF. En 2010, lors des régionales, les deux types d’alliances sont mises en place par le PCF, en fonction des régions… malgré les protestations de ses alliés du FG. Cette stratégie électorale pragmatique (largement conditionnée par la préservation des ressources que le PCF risque de perdre lors de ces élections) s’est poursuivie, provoquant systématiquement de fortes tensions.

Le FG est ainsi une marque politique commune à des acteurs qui n’en ont pas la même conception et n’y poursuivent pas les mêmes objectifs. Plus encore, cette construction unitaire n’a jamais été structurée autour du dépassement des oppositions entre acteurs. L’entrée en coalition a conduit à une forme d’institutionnalisation du et par le conflit et de la concurrence entre des partis tout à la fois associés et rivaux.

Leurs oppositions quittent la scène électorale et politique pour les coulisses d’une coalition : négociation des dispositifs électoraux, lutte pour les biens symboliques, préséance dans les dispositifs communs, etc. Ce fonctionnement, structuré autour du conflit a contribué à nourrir et à entretenir de vifs ressentiments. Autant dire que la confiance mutuelle n’a guère été développée au Front de gauche.

Déplacement et intensification des conflits

L’entrée en coalition conduit ainsi à déplacer, à transformer et à réguler les conflits entre partis membres. Les dispositifs électoraux du FG font systématiquement apparaître la même répartition, laissant entrevoir ici les positions respectives des partis coalisés. Ce n’est donc pas seulement le fruit d’une dynamique de négociation. C’est aussi l’expression d’une économie symbolique de la coalition, des luttes opposant les acteurs pour « tenir leur place » et se distinguer. La fin des négociations électorales n’y signifiait, d’ailleurs, pas la fin des concurrences. Les campagnes, au même titre que les négociations pré-électorales, ont constitué l’un des principaux espaces de développement de concurrences et de luttes entre partis du FG. L’unité politique de la gauche radicale via une coalition n’a été finalement qu’une poursuite, par d’autres moyens et sur d’autres terrains, de leurs oppositions et divergences politiques et stratégiques.

Pierre Laurent, le chef du PCF, lors de la dernière Fête de l’Humanité. Thomas Samson/AFP

La rupture du FG opère une nouvelle translation du conflit en le réintroduisant dans l’espace électoral. Des négociations se déroulent encore, mais elles sont moins contraignantes en ce sens que communistes et Insoumis ne sont plus liés par une marque politique commune. Le retour à la concurrence électorale se nourrit, par ailleurs, de l’expérience du FG, de la mémoire du jeu que les acteurs y ont développée : les relations entre communistes et Insoumis ont ainsi hérité des méfiances réciproques préalablement forgées.

Logique de différenciation

In fine, les divergences stratégiques entre ces deux acteurs ne sont pas nouvelles. Elles existaient avant l’entrée en coalition. Elles ont continué à s’exprimer pendant et s’expriment encore aujourd’hui. Elles apparaissent, cependant, plus nettement et sous une forme de moins en moins euphémisée, les acteurs ne limitant plus guère leurs « coups ».

En ce sens, ils se comportent de moins en moins comme des alliés potentiels aux conceptions différentes mais (éventuellement) conciliables, et de plus en plus comme des rivaux, ce qui les amène à « durcir » leurs différends politiques et stratégiques dans une logique de différenciation.

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