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Une jeune fille lit un courrier avec un air ennuyé
Les difficultés que rencontrent les jeunes dans les procédures d'orientation post-bac sont vécus comme des échecs personnels par leur famille. Shutterstock

Contester les verdicts de Parcoursup : les parents en première ligne ?

« En attente », « Oui », « Oui si », « Non admis ». Depuis 2018, les décisions produites par les plates-formes d’accès à l’enseignement supérieur, Parcoursup puis Monmaster, génèrent anxiété et incertitude chez les élèves et leur famille, supplantant la crainte de ne pas obtenir le baccalauréat. L’émotion est telle que certains vont jusqu’à contester le verdict scolaire qui leur est opposé.

Mais qu’expriment ces plaintes ? À partir d’une enquête entre sciences sociales et droit sur l’inscription en première année de licence, en master ou au concours de médecine, Annabelle Allouch et Delphine Espagno-Abadie s’intéressent dans Contester Parcoursup (éd. Presses de Sciences Po) aux effets des nouveaux modes de sélection sur les candidats, leurs proches mais aussi sur les institutions du supérieur elles-mêmes. Dans l’extrait ci-dessous, elles racontent comment les motifs des réclamations peuvent dessiner une crise de la parentalité.


Lorsque l’on considère la nature des réclamations, on observe une forte parentalisation des recours et de son caractère genré, même si le panel des entretiens (fondé sur un une surreprésentation des catégories sociales moyennes et supérieures) ne donne pas un résultat aussi affirmé que les dossiers du Défenseur des droits. Ainsi, dans les entretiens menés, la moitié des répondants (N = 40) sont des parents, dont 11 mères.

En termes de négociation familiale, il est fréquent qu’un parent soit toujours plus impliqué que l’autre dans le recours, mais avec l’accord de ce dernier (y compris pour les couples séparés). En général, le parent engagé est celui qui a mis en œuvre des normes parentales d’accompagnement scolaire très serrées, typiques des classes moyennes et supérieures (extrascolaire, options stratégiques, mobilisation du réseau, etc.).

L’analyse des dossiers et des entretiens souligne à quel point ces réformes (et Parcoursup) peuvent engendrer une crise de la parentocracy chez les parents interrogés. Par ce terme, le sociologue britannique Philip Brown désigne le fait que, dans un contexte où le niveau général de diplôme des parents d’élève est de plus en plus élevé, les trajectoires scolaires des élèves sont explicitées comme le produit de l’effort de celui-ci (selon une rhétorique méritocratique classique) mais aussi de l’effort du parent. Dans ce cadre, toute difficulté est vécue comme un échec personnel. C’est ce que l’on retrouve également dans les travaux sur le rapport des parents de milieux populaires à l’école.


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La place des parents dans le dossier par rapport à celle de leurs enfants s’est avérée troublante : le parent peut tout à bord déclarer son enfant comme auteur de la réclamation, avant de la signer par son nom propre, révélant une identification forte à son parcours. Ainsi, un père qui s’adressait au Défenseur des droits à propos de sa fille, qui n’avait pas été admise dans la formation de son choix à l’issue de la phase d’admission de Parcoursup, écrivait les lettres très clairement et explicitement au nom de sa fille en précisant que celle-ci était d’accord pour que son père effectue ces démarches en son nom.

Dans les premiers documents du dossier, il expliquait la situation de sa fille en difficulté d’orientation, utilisant son prénom ou le pronom « elle » ; progressivement les documents et les lettres ont glissé du « elle » au « je ». Il endossait le rôle de sa fille et s’adressait au Défenseur comme s’il était victime de Parcoursup en se substituant à elle.

Bonne élève, Salomé a été refusée dans ses 12 vœux sur Parcoursup (BFM TV, 2023).

Dès lors, l’injustice est d’autant plus grande que l’institution a mis en œuvre une violence symbolique qui laisse l’impression d’une trahison, notamment lorsque le parent est lui-même diplômé de l’enseignement supérieur. Émerge alors, dans les entretiens comme dans les dossiers une rhétorique de la remise en cause de ses capacités à être un « bon parent » dans une logique occidentale, c’est-à-dire à assurer l’autonomie de son enfant mais aussi sa position sociale future : « Je me sens déparentalisée » (Mme Suze, sage-femme ; fils en école d’ingénieurs). « [En regardant la plate-forme] j’ai tout de suite compris que c’était fini pour lui, et pour moi » (Mme Corneille, enseignante-chercheuse , fils candidat à Sciences Po).

Ce travail de mise en scène méritocratique de la trajectoire de son enfant, c’est-à-dire le fait de faire valoir ses résultats mais aussi sa moralité et « son goût pour l’effort » fonctionne de façon non genrée. Néanmoins, la mère ajoute dans son récit une dimension morale, qui valorise à la fois la docilité scolaire (notamment chez la fille), et un travail émotionnel recherchant l’apitoiement des professionnels du droit (et en particulier du Défenseur des droits).

« Je me sens tellement démunie que je souhaite vous informer d’une injustice traumatisante. […] Morgane est une jeune fille courageuse, motivée, intelligente, je l’ai élevée dans des valeurs de travail, croire en ses rêves, se donner à fond pour ses passions… Je suis une maman déchirée, quel exemple pouvons-nous donner à nos enfants, comment leur donner envie de croire en l’avenir […] ? » (Mme Bourgogne, cadre chez EDF ; fille, prépa IEP, dossier DDD)

« Mon fils se donne les moyens de [son ambition] et ne se démonte pas. Mais le 15 mai 2019, Parcoursup ouvre et c’est la douche froide ! Cinq refus à Louis-le-Grand, Sainte-Geneviève, Henri-IV, Charlemagne et l’Université de Marseille. Un vœu accepté : une licence de maths à Évry ! » (Mme Languedoc, notaire ; fils, CPGE mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur – MPSI, dossier DDD)

Chez les pères, le mérite de l’enfant est avant tout décrit dans sa dimension statutaire (notes, excellence scolaire).

« Sa scolarité est exemplaire et saluée par ses professeurs. […] Personne ne comprend ces systèmes qui accordent des places en IFSI [institut de formation en soins infirmiers] à des élèves comme notamment Annabelle et Delphine, qui ont de moins bons dossiers scolaires. […] Devant l’opacité des modes de recrutement, j’en arrive à me demander si son dossier a été étudié. » (M. Champagne, mécanicien ; fille, IFSI, dossier DDD)

« Il serait impossible que Sabine, compte tenu de la qualité de son dossier qu’elle a confirmé par une mention « très bien » au bac, ne puisse pas suivre la formation de son choix à cause d’une fiche avenir. […] Par rapport à un des camarades de Sabine avec un dossier complet, le [proviseur a oublié de remplir la fiche avenir], Matthias a pu intégrer Henri-IV en MPSI avec des résultats moins bons. » (M. Alsace, chef d’entreprise ; fille, école d’ingénieurs, dossier DDD)

Dans ce cas, la remise en cause du jugement scolaire apparaît plus lourde parce qu’y est dénoncée non seulement une injustice, mais un dysfonctionnement matériel qui contribue à revaloriser l’enfant.

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Pour les pères, le passage au recours se traduit aussi plus souvent par un travail de transfert des savoir-faire acquis dans l’univers académique à l’univers judiciaire/de la médiation : par la mobilisation de connaissances ajustées, d’un réseau social et par un travail de production de preuves, etc. La mère, quant à elle, est plus en retrait sur ce point, souvent parce qu’elle se concentre sur une négociation dans les espaces scolaires et non universitaires. Lorsque la mère investit le recours, c’est aussi sans doute parce que le père se concentre sur la dimension instrumentale de l’orientation (notamment pour les filières associées à un prestige social comme la médecine) et considère le recours comme un « front secondaire » servant une cause plus large.

Les réformes de l’accès dans l’enseignement supérieur affectent fortement les normes de parentalité : être un bon parent relève pour nos enquêtés de l’engagement dans le travail d’encadrement scolaire, et désormais dans le fait de démontrer à son enfant qu’il « ne faut pas se laisser faire ».

On peut voir dans la crise de la parentalité induite par ces réformes chez les parents les plus dotés le lien avec une forme de politisation qui s’associe à une défiance à l’égard des institutions scolaires qu’ils pensaient bien connaître. La plainte incarne alors l’impossibilité de traduire en effet symbolique l’activation des dispositions scolaires des élèves malgré un encadrement parental intensif.

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