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Des étudiants cambodgiens font la queue pour se désinfecter les mains afin d'éviter le coronavirus à Phnom Penh, Cambodge. AP Photo/Heng Sinith

Coronavirus : stopper la pandémie réelle, et celle de la peur

L’apparition du nouveau coronavirus en Chine s’accompagne de nombreuses questions quant à l’habileté des instances gouvernementales à gérer des infections nouvellement transmises entre les animaux et les humains.

Le virus, connu sous le nom de 2019-nCov, qui a maintenant été détecté dans de nombreux pays autres que la Chine, aurait pour origine les chauves-souris.

Le nouveau coronavirus se transmet entre humains, ce qui fait croire à certains qu’il pourrait devenir la prochaine grande pandémie. Avec la déclaration de l’état d’urgence par l’Organisation Mondiale de la Santé le 30 janvier 2020, une pandémie de peur vient également de voir le jour.

Les parents d’une commission scolaire en Ontario ont lancé récemment une pétition exigeant que les enfants de familles dont un membre a visité récemment la Chine ne puissent aller à l’école pour une période de 18 jours (on estime que la période d’incubation du virus se situe entre deux jours et deux semaines). La demande a été rejetée, en raison du fait que le virus n’est pas chinois (il a simplement pour origine la Chine) et que la pétition était discriminatoire.

Un piéton porte un masque de protection à Toronto après la confirmation officielle du premier cas présumé de coronavirus au Canada. La Presse Canadienne/Frank Gunn

La décision peu habituelle du gouvernement chinois de mettre en quarantaine des millions de gens et d’imposer des interdictions de voyager (répétée depuis par d’autres pays) a également fait sourciller de nombreux infectiologues. Alors que l’aptitude du virus à se transmettre et à causer des symptômes sévères demeure incertaine, il est difficile de savoir si de telles actions sont justifiées ou plutôt exagérées et coûteuses.

Le virus pourrait muter à nouveau ou se propager dans des pays à faibles revenus ou intermédiaires qui n’ont pas les infrastructures de surveillance ou de contrôle des maladies infectieuses afin de répondre de façon efficace à une épidémie. Cette incertitude, attisée par la désinformation sur les réseaux sociaux, crée une crainte injustifiée.


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Risque pour l’économie

Les événements actuels relèvent autant de la sociologie que de la biologie et ont des répercussions à la fois politiques et économiques. La semi-quarantaine chinoise est déjà perçue comme une menace pour l’économie mondiale. Elle pourrait avoir des conséquences sur la santé pires que celles du virus lui-même.

Le SRAS et l’Ebola ont permis de tester l’efficacité de la gouvernance mondiale et celui de chaque État à répondre aux pandémies. La situation s’est améliorée depuis avec la mise en place de nouvelles règles sanitaires internationales, qui ont été utilisées pour déclarer la situation d’urgence. Au pays, l’Agence de Santé publique du Canada coordonne depuis 2004 ces règles sanitaires.

Cette amélioration dans la réponse est notable avec le coronavirus. En effet, la Chine a rapporté les cas détectés très rapidement et l’information a été partagée dès le départ. Mais des défis de gouvernance demeurent, ainsi qu’une prise de conscience de l’importance par l’OMS d’adopter une approche multifactorielle pour contrer les pandémies, appelée « Un monde, une santé ».

Cette stratégie considère que la santé des humains, des animaux et de l’environnement est profondément imbriquée. En pratique, les connaissances d’experts dans les sciences de la santé humaine, animale et de l’environnement sont combinées avec celles des sciences sociales et humaines afin de développer une infrastructure qui permettra de partager l’information et de coordonner les actions afin de répondre plus efficacement à une menace.

Gouvernance améliorée

En tant qu’experts en santé publique, nous venons de créer au pays un nouveau réseau transdisciplinaire « Un monde, une santé », ou Réseau 1SS, qui a pour but d’améliorer la gouvernance pour les maladies infectieuses et la résistance aux antimicrobiens tant au niveau local que national et international.

Ce réseau nécessite trois actions : la surveillance (détection), la réponse (coordination et collaboration entre les différents secteurs) et l’équité (avec une emphase sur les plus vulnérables). Elles pourraient toutes être améliorées.

À l’exception de l’influenza (la grippe), il existe très peu de systèmes de surveillance permettant de détecter des infections chez les animaux et les humains. Il est donc difficile de détecter et de suivre à la trace les maladies zoonotiques en émergence – les zoonoses étant des infections qui sont transmissibles entre les animaux et les humains.

Un système de surveillance intégré permettrait de détecter des pathogènes ayant nouvellement infecté une autre espèce animale plus rapidement. Il pourrait également ralentir la progression initiale du pathogène et aussi permettre de mieux informer le public sur les meilleures méthodes de prévention. Le risque d’une pandémie de la peur serait ainsi diminué.

Des militants sud-coréens des droits des animaux organisent un rassemblement pour demander au gouvernement chinois de limiter la consommation d’animaux sauvages par ses habitants à Séoul. Les pancartes portent la mention « Causes du coronavirus de Wuhan, arrêtez de manger des animaux sauvages. » Kang Min-ji/Yonhap via AP

La coordination entre différents secteurs et paliers gouvernementaux demeure toutefois problématique pour les maladies infectieuses en général, et les maladies zoonotiques en particulier. Les communautés locales sont rarement ou peu amener à s’engager activement.

Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, un sentiment de méfiance envers les intervenants est apparu suite à un manque de communication efficace avec les communautés. L’ignorance des différences dans les cultures locales a limité le travail des intervenants en santé publique pour promouvoir des cérémonies d’enterrement plus sécuritaires. L’anthropologie, qui permet d’étudier les normes et pratiques culturelles, est depuis considérée comme un élément essentiel à la réponse efficace aux épidémies et aux pandémies.)

Un manque de mécanismes institutionnels au niveau gouvernemental supérieur pose aussi des défis de coordination. La réponse au SRAS au Canada en 2002 a été affaiblie par la fragmentation des mandats de différents départements gouvernementaux. La situation s’est toutefois améliorée au Canada par la suite.

Santé publique, santé animale et agriculture

Les trois grandes agences internationales responsables de la santé publique, de la santé des animaux et de l’agriculture ont récemment fait de grands progrès pour intégrer la surveillance et la gouvernance pour les infections au niveau mondial.

Il y a toutefois encore place à l’amélioration pour développer de meilleures méthodes de gouvernance pour répondre aux épidémies de zoonoses en utilisant les principes de « Un monde, une santé ».

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur de l’OMS, s’exprime lors d’une conférence de presse à Genève après qu’une urgence mondiale ait été déclarée concernant le 2019-nCov. Jean‑Christophe Bott/Keystone via AP

Peu de gens se préoccupent du sort des nations les plus vulnérables qui sont souvent les plus affectées par les épidémies. Toutes actions et réponses aux épidémies devraient promouvoir l’équité en termes de santé et incorporer l’idée des Nations-Unies de « ne laisser personne de côté » grâce aux objectifs de développement durable.“

Il faudra également comprendre les précurseurs socio-économiques qui mènent à l’apparition de zoonoses. La présence de compagnies minières étrangères et l’exploitation forestière ont joué un rôle important lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en contribuant aux conflits et en augmentant le risque d’exposition des humains aux chauves-souris porteuses du virus, tout en permettant à ces industries de s’enrichir.

Le rôle important que jouent les sciences sociales dans l’approche « Un monde, une santé » est mis à l’avant-plan afin de distinguer les impacts des facteurs historiques, politiques et économiques sur les zoonoses.

Tout ceci démontre qu’une réponse efficace aux épidémies telle que celle causée par le 2019-nCoV doit se faire avec l’approche « Un monde, une santé ». Notre nouveau Réseau-1SS canadien regroupe des experts de nombreuses disciplines. Il travaille en coordination avec des partenaires impliqués dans les politiques au niveau fédéral et dans d’autres réseaux mondiaux. Le but est de maximiser l’expertise disponible et de développer de nouvelles connaissances pour une meilleure gouvernance face aux risques posés par les maladies infectieuses.

Alors que la portée et le danger réels du nouveau coronavirus demeurent inconnus, le succès d’une initiative comme ce réseau est réel. Et l’objectif est très clair : stopper à la fois la pandémie et celle de la peur. Les deux objectifs peuvent être assurément atteints.

This article was originally published in English

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