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Crise et dialogue social : un renouveau pour les syndicats ?

Manifestation des syndicalistes de la compagnie aérienne, branche d'Air France, HOP! à l'entrée de l'aéroport de Morlaix, le 8 juillet 2020. Air France supprimera 7 500 emplois d'ici à la fin de 2022. Fred Tanneau/AFP

Airbus prévoit la suppression de 15 000 postes dans le monde avant l’été 2021. À la suite de cette annonce, des manifestations portées par les syndicats FO, CFE-CGC, CGT et CFTC ont éclaté un peu partout en France. Les secteurs de l’aéronautique et de la télécommunication, dont Nokia qui prévoit de supprimer plus de 1 233 emplois en France, ont particulièrement été touchés par la situation sanitaire.

La crise du Covid-19 a plongé plus d’un million d’entreprises, soit l’équivalent de 13,3 millions de salariés, dans une situation de chômage partiel entre le 1er mars et le 9 juin 2020.

Des accords ont été trouvés lors du Ségur de la Santé, lancé le 17 mai sur la question de la rémunération des personnels soignants. Cette première négociation réussie ouvre-t-elle de nouveaux espaces de dialogues ?

Peut-on alors imaginer une sortie progressive de la culture du conflit défensif ou réactionnaire qui traverse l’histoire du syndicalisme français ? Et par quels biais ?

Vers un cercle vertueux de la négociation collective

L’histoire du syndicalisme en France a connu un tournant particulièrement important lors de l’avènement de l’État-providence, de 1945 à la fin des années 1970. Néanmoins une forme hybride de régulation sociale se met en place à partir de 1982 avec la promulgation des Lois Auroux.

Les accords nationaux interprofessionnels continuent d’être signés sur des grands thèmes de droit du travail et de protection sociale (Chômage, formation professionnelle, retraite…) et le code du travail démultiplie les mécanismes visant à sauvegarder l’emploi.

Mais ce qui suscite l’intérêt, c’est que ce dernier renvoie de plus en plus souvent à la négociation d’entreprise. Cette forme « hybride » de régulation sociale s’exprime dès lors dans le fait que les comportements et l’aptitude au compromis – lors des négociations collectives – s’exerce beaucoup plus naturellement au niveau de l’entreprise qu’au niveau interprofessionnel/national où les concertations sont privilégiées mais n’apportent que peu d’eau au moulin de la régulation et les négociations sont évitées ou n’aboutissent pas.

Ce dialogue social d’entreprise entre employeurs et délégués syndicaux permet alors de faire face à un droit du travail qui s’ouvre aux exigences européennes et mondiales, au libéralisme économique ambiant, sur fond de chômage massif et de montée de la précarité.

Une démocratie sociale qui demeure immature

En 2007 la loi Larcher, relative à la modernisation du dialogue social avait ouvert la porte d’un semblant de démocratie sociale en imposant une consultation des partenaires sociaux.

Mais Emmanuel Macron a plutôt eu tendance à imposer ses réformes, cadrer et se substituer unilatéralement aux partenaires sociaux en cas d’échec d’un compromis au niveau national interprofessionnel.


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Les tensions sociales et la crise de la Covid 19 peuvent-elles demain permettre la signature d’accords interprofessionnels sur de nombreux sujets autour d’un Plan de refondation sociale ?

Quelle va être la place de l’État dans les prochains mois : garant ou gérant de la régulation sociale sur ces questions de maintien dans l’emploi ou de conséquences en cas de perte d’emploi ?

Quelle place pour les syndicats dans les entreprises ?

Dès le milieu des années 1980, le rôle des syndicats au niveau de l’entreprise devient majeur. Le concept de flexibilité/sécurité, décidé par le législateur se met en place par accord au sein des entreprises.

Des employés et les syndicats CFDT et CGT de l’usine Peugeot manifestent, le 13 novembre 1981, devant l’entrée de l’usine automobile de sochaux. Jean‑Claude Delmas/AFP

Au départ, le dispositif permet aux entreprises d’avoir plus de possibilités d’entreprendre, en allégeant les règles du code du travail pour augmenter leur productivité, notamment grâce à l’aménagement du temps de travail. Ainsi les compromis ont lieu entre des dispositifs d’aménagement du temps de travail, (heures supplémentaires/annualisation du temps de travail) avec pour contreparties le gel des licenciements pendant une période précisée, le renforcement des actions de formations et l’amélioration des conditions de travail.

Mais ces dernières années, les lois Rebsamen, El Khomri et les Ordonnances Macron ont renforcé ce concept et fait de la négociation collective un véritable levier de transformation de l’emploi.

Un nouvel arsenal juridique

Ces trois dernières réformes ont permis la construction d’un véritable arsenal juridique (Plan sauvegarde de l’emploi, PSE, rupture conventionnelle collective, accord de performance collective) pouvant remettre en jeu l’intégralité des acquis sociaux négociés pendant des décennies entre employeurs et organisations syndicales.

Tout récemment, le dispositif d’activité partielle (APLD) l’activité partielle de longue durée a été revisité pour permettre aux entreprises les plus en difficulté de gérer les variations d’activité plus ou moins passagères (jusqu’à deux ans).

Tenter de nouveaux accords

Aujourd’hui, face aux moyens juridiques de l’employeur accordés pour « sauvegarder l’emploi », les syndicats doivent trouver leur place et exiger un rapport de force équilibré.

Le législateur, en donnant primauté à la négociation d’entreprise, devrait renforcer la capacité des acteurs du dialogue social à être en situation de négocier, afin d’éviter des négociations protéiformes et du chantage à l’emploi.

Les syndicats pourraient demander l’exigence légale et non la simple incitation, pour toutes les entreprises (même celles dépourvues d’organisations syndicales) d’un accord dit « de méthode » qui vise à préserver (accord défensif) mais aussi à développer (accord offensif) l’emploi.

Ce dernier pourrait poser clairement la décision du dispositif envisagé (PSE, RCC, APC, APLD) et la façon dont il organise des éléments complémentaires essentiels, comme la question de l’impact sur les conditions de travail et les risques psychosociaux, et enfin, le rôle précis à dédier aux représentants du personnel au CSE, dans la mise en place des nouveaux dispositifs négociés.

Créer de vrais collectifs de travail

D’autre part, les syndicats pourraient pousser à une mise en place de formations communes, dispositif proposé par la loi El Khomri du 8 août 2016, qui permet de créer de véritables collectifs de travail pour amorcer de nouveaux échanges et organiser une nouvelle façon de négocier, plus loyale, plus transparente.

Dans la manière de procéder, le choix est fait ici d’accompagner les directions et les organisations syndicales ensemble et non plus séparément par cabinet d’expert interposé, en y faisant participer d’autres acteurs (ONG, intellectuels, experts, avocats, maires), partie prenante, sur les nombreux sujets de négociation collective.

N’oublions pas que dans les petites entreprises ou les moyennes qui sont dépourvues d’organisations syndicales, les salariés doivent avaliser le projet unilatéral de l’employeur (en guise d’accord de compétitivité de l’emploi) sans discussion obligatoire.

La Covid-19 met les syndicats à rude épreuve

Si la négociation collective semblait s’engager dans un cercle vertueux depuis plusieurs années, avec plus de 60 000 accords signés chaque année par l’ensemble des organisations syndicales représentatives, y compris la CGT dans 85 % des cas,

la crise sanitaire a renversé la donne. Elle a montré les limites de la protection des travailleurs, soumis à de nouveaux modèles d’emplois, aux antipodes de la protection du travail salarié.

Ainsi, l’accord de performance collective (350 signés à ce jour) témoigne de l’aboutissement de ce processus.

Pour préserver l’emploi, cet accord (mis en place en 2017) prévoit selon les entreprises, d’aménager par exemple les horaires (à la hausse sans contrepartie) ou d’envisager une baisse des salaires. Un salarié refusant de souscrire à cet accord peut subir un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour raison économique.

La position des syndicats n’est pas alors simple, et le discrédit jamais loin, qu’il s’agisse de signer ces accords de « performance collective » ou de les refuser drastiquement (et risquer le licenciement économique conjoncturel).

Eviter l’effet Lip

Rappelons-nous ainsi la colère sociale de l’affaire Lip.

Dans les années 1970, pris dans un bras de fer, les salariés de l’usine, indépendants des syndicats, s’étaient emparés de leur usine du Doubs et avaient fabriqué les montres en autogestion. Cette initiative spontanée avait abondamment été relayée par les médias, voire érigée en modèle.

Faire face à une crise de telle ampleur suppose l’exercice d’une démocratie sociale forte avec une véritable co-construction des dispositifs de relance de l’économie. Certes, l’assurance-chômage et le chômage partiel doivent y figurer, mais aussi un abandon momentané des réformes, sujet de crispation sociale, comme celui des retraites.

Ce dernier a été remis à l’agenda dès cet été contre l’avis des partenaires sociaux, y compris celui de la CFDT et du Medef.

Prendre exemple sur la convention climat ?

La Convention Climat qui a rassemblé 150 citoyens au CESE a ouvert un nouvel espace et une nouvelle méthode pour aborder la question climatique.

Si le syndicalisme peut apporter son expérience d’action organisée, structurée autour de nombreux thèmes de négociations, les ONG, le monde associatif et les intellectuels peuvent apporter une expertise complémentaire leur permettant d’élever leur niveau d’analyse et d’action.

Front commun entre syndicats, associations et ONG pour lutter contre le réchauffement climatique et mettre en place la transition écologique.

Le législateur a ouvert ce débat au sein de la la loi d’organisation des mobilités du 26 décembre 2019.

Un rapport de force qui rassemble

Le texte ouvre la voie à des solutions intéressantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Les entreprises peuvent désormais inclure dans leur négociation annuelle obligatoire la question des déplacements domicile-travail et réfléchir ainsi sur un sujet transverse syndicats/société civile/collectivités locales. Ce texte force les acteurs à repenser, ensemble, la question des mobilités en favorisant les transports alternatifs, mais aussi à réfléchir au temps de trajet domicile-travail. On sort ici de l’unique défense des intérêts individuels et collectifs des salariés.

Le nouveau rapport de force, en train de se construire entre acteurs du dialogue social (syndicats et représentants au CSE (Comité Social et Economique) et parties prenantes à la réussite de l’entreprise (directions, ONG, associations, groupes d’experts, collectivités, intellectuels, salariés) s’illustre aujourd’hui par deux documents récents.

Il s’agit du plan de sortie de crise à la CGT et du pacte du pouvoir de vivre à la CFDT.

Ces documents, construits pendant plusieurs mois par un consensus d’ONG, d’associations et de syndicats, réfléchissent et proposent de nombreuses solutions dans l’accompagnement des salariés. En traitant également des questions environnementales et climatiques ils prouvent que préoccupations écologiques et progrès social peuvent aller de pair et faire émerger un nouveau modèle de dialogue social.

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