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Débat : Faut-il raser les business schools ? « Tout ce qui est excessif est insignifiant »

Business School UTS Sydney (Architecte: Frank Gehry) Rob Deutscher/Flickr, CC BY

Dans un article provocateur publié par The Guardian et repris en France par les Echos, un professeur britannique, Martin Parker, appelle à rayer de la carte les business schools (appelées en France « écoles de commerce ») partout dans le monde.

Comme toujours, et comme le soulignait Talleyrand, « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Si l’auteur soulève certains problèmes bien réels et déjà à l’esprit de la plupart des doyens d’école, il en tire des conclusions qui semblent fallacieuses. Celles-ci paraissent qui plus est fortement teintées d’idéologie, à l’instar des critiques qu’il formule à l’encontre de ces institutions. Il s’appuie pour cela sur des arguments que nous nous proposons de réfuter.

Le capitalisme de marché : une idéologie vénéneuse ?

L’auteur reproche aux écoles leur asservissement idéologique au capitalisme managérial. Il considère à l’évidence qu’il s’agit d’une mauvaise voie, en s’appuyant essentiellement sur les excès que nous avons tous pu constater ces dernières années (la crise de 2008 par exemple). Pour autant, décrire et évaluer le capitalisme managérial à partir de ses excès est peu honnête intellectuellement : c’est l’équivalent de décrire le système démocratique en parlant uniquement des cas de corruption de responsables politiques… C’est également oublier le progrès économique et social généralisé qu’a permis le développement de ce type de capitalisme. On ne sait d’ailleurs pas quels autre idéologie ou système économique l’auteur se propose de promouvoir…

Des professeurs asservis à l’idéologie capitaliste ?

L’auteur ne faisant pas la demi-mesure, il est difficile de lui répondre. Mais beaucoup de mes collègues seraient désappointés de se voir ainsi dépeints. Si l’on faisait un sondage auprès de ceux-ci, on retrouverait une mosaïque constituée par l’ensemble des opinions existant au sein de la population avec peut-être (je l’espère) une moindre représentation des extrêmes. L’ensemble du spectre politique traditionnel y figurerait probablement, avec éventuellement un penchant un peu plus à gauche que l’ensemble de la population, loin des thuriféraires d’un capitalisme sans foi ni loi.

Quelle mission pour les business schools ?

Si l’on revient au cœur du sujet, les business schools. Quelles sont leur mission et leur responsabilité ? De façon générique, former des étudiants et les préparer à leur première insertion dans le milieu du travail, ainsi qu’à leur future carrière professionnelle. Serait-il responsable de les préparer à un monde différent de celui dans lequel ils vont bientôt entrer ? Assurément non, et ces étudiants ne tarderaient pas à nous le reprocher (ainsi que leurs parents). Nous aurions alors changé notre programme (on ne sait pas trop pour quel autre ?), mais nous n’aurions plus d’étudiants devant nous. Viendraient-ils vers nous, paieraient-ils des sommes importantes pour, comme le dit l’auteur, devenir pour la plupart des « robots précaires dans des immeubles de bureau anonymes » ?

Les écoles sont-elles pour autant dégagées de toute responsabilité ? Assurément non. Une institution académique ne peut par essence être seulement un miroir de l’existant (comme c’était le cas pour les écoles de commerce françaises il y a trente ans). Elle doit également, au travers de son activité de recherche et pédagogique, être un espace d’innovation et de changement.

L’histoire montre que de nombreux outils, de nombreuses approches nouvelles, aujourd’hui couramment utilisées dans les entreprises (« à l’insu de leur plein gré »), trouvent leur origine dans les travaux de recherche des professeurs de business schools. Certes, les articles de recherche sont souvent abscons et inaccessibles à la plupart comme le souligne l’auteur, mais au travers des enseignements des professeurs, ils deviennent accessibles à leurs étudiants. Ces derniers en seront les premiers promoteurs une fois intégrés dans les entreprises.

La responsabilité sociale : un cache-sexe commode pour masquer l’appât du gain ?

L’auteur reproche aux business schools de promouvoir l’appât du gain chez ses étudiants et va même jusqu’à les rendre responsables de la crise de 2008, en raison du développement de cette aptitude. Non, tout simplement non. Ce n’est pas parce que l’on enseigne aux étudiants comment maximiser la création de valeur de l’entreprise qu’on les transforme en escrocs sans scrupules. De nouveau, l’auteur procède par généralisation excessive. Oui, certains de nos étudiants ont participé à ce mouvement. Doivent-ils pour autant être considérés comme les plus représentatifs de nos dizaines de milliers de diplômés annuels ? Non.

Par ailleurs, nous ne leur enseignons pas que cela. La place de l’esprit critique est essentielle dans la plupart de nos établissements (même si, comme tout le monde, nous avons nos brebis galeuses). Cela fait bien longtemps que les cursus des écoles de commerce ne se limitent plus aux « techniques » managériales, mais s’ouvrent à d’autres dimensions, comme les humanités ou la géopolitique. Elles aiguisent ainsi le sens critique et la profondeur des analyses de leurs étudiants.

La responsabilité sociale et l’éthique ont pris une importance considérable dans nos cours. Les enjeux contemporains l’exigeaient, et les étudiants ont été les premiers à nous le rappeler. Il est loin le temps où les étudiants s’endormaient devant le cours d’éthique délivré par un professeur de droit à la vision très juridique du concept. Cela n’a plus rien de cosmétique, contrairement à ce que soutient l’auteur. Et on peut espérer que, comme ce fut le cas par le passé pour d’autres domaines, nos enseignements se diffuseront par capillarité dans les entreprises.

La liberté académique est-elle réprimée ?

Ainsi que le reconnaît lui-même l’auteur en se fondant sur sa propre expérience, la liberté académique est largement pratiquée dans les business schools, comme ailleurs dans les universités. Moi-même, en tant que directeur d’écoles de commerce françaises publics et privés, je ne me suis jamais aventuré à la remettre en question. Aucun doyen ne le fera s’il tient un tant soit peu à son emploi.

Cela vaut pour la recherche, mais aussi pour l’enseignement. La pluralité de point de vue est considérée comme une source d’enrichissement pour les étudiants, et non l’inverse. Comme tous les directeurs, j’ai été confronté à des problèmes liés à des publications de professeurs enseignant dans les établissements que je dirigeais. Nous avons parfois perdu des financements privés, mais la liberté académique ne peut être négociée.

In fine, que reste-t-il des idées de l’auteur ? Pas grand-chose, si ce n’est de la provocation, visiblement fondée sur du ressentiment et sur une idéologie contestataire. Le tout dissimulé sous un vernis de sens de l’intérêt général. Avec sans doute aussi le souci de vendre un futur livre… Grâce à un marketing peu éthique, en l’occurrence.

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