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Débat : Le « Dieselgate » interroge l’autonomie laissée aux dirigeants

Les récents scandales invitent à questionner les modes de gouvernance et la latitude d'action laissée aux dirigeants.

La gouvernance des entreprises reste au cœur du bon fonctionnement d’une économie de marché et de son acceptation sociale. L’actualité judiciaire et la procédure dont fait actuellement l’objet Renault pour tromperie nous montrent cependant que cette gouvernance n’est pas toujours à la hauteur des attentes des parties prenantes.

Alors que le comportement des dirigeants d’entreprises, notamment des grandes, reste loin d’être exemplaire, les faillites du système s’avèrent généralement attribuées aux marchés financiers et aux exigences démesurées des actionnaires.

Or, ainsi que nous l’avons montré à propos de leur prétendue demande d’un retour sur investissement de 15 %, qui relève en grande partie du mythe, il y a là un biais qui conduit à éloigner les détenteurs du capital au profit des dirigeants, ce qui nuit dans bien des cas à une bonne gouvernance.

Les conclusions que nous tirons de nos travaux semblent bien s’appliquer au cas du « Dieselgate » dont nous proposons un éclairage à partir de nos précédentes études. Les différents scandales de moteurs truqués paraissent indiquer qu’il demeure illusoire de croire en l’autodiscipline des dirigeants.

Si une certaine latitude managériale s’avère nécessaire, faute de laquelle il n’est pas possible de concevoir une véritable stratégie industrielle, l’existence de contre-pouvoirs effectifs et notamment celui du conseil d’administration semble indispensable. Les affaires des moteurs truqués montrent qu’au-delà de la responsabilité du PDG, le conseil d’administration n’a pas été en capacité de jouer son rôle.

Les scandales ne sont pas que le fait des financiers

Le cas de Renault, comme celui de Volkswagen qui avait fait l’objet d’un précédent article dans The Conversation, semble éclairant sur le fonctionnement complexe des prises de décision dans des groupes industriels de cette importance et sur la faiblesse des contrôles exercés par les conseils d’administration.

Depuis le scandale Enron en 2001 qui avait donné lieu à la loi Sarbanes Oxley (2002) visant la protection des investisseurs, on pensait avoir définitivement endigué les comportements déviants des dirigeants d’entreprises.

La marque au losange est accusée d’avoir falsifié les tests de moteurs diesels commercialisés entre 2011 et 2018.

La littérature en sciences de gestion semble avoir tendance à mettre ces acteurs au pinacle et à défendre leur pouvoir discrétionnaire. Certains auteurs soutiennent ainsi l’idée que les dirigeants ne peuvent être surveillés ou sanctionnés comme de simples agents des actionnaires comme l’affirme la théorie dite justement « de l’agence ».

Tout cela serait valide si les pratiques observées des dirigeants étaient irréprochables. Le cas du « Dieselgate » qui a touché les plus grands constructeurs automobiles semble rappeler que les scandales ne sont pas le fait que des financiers.

Déclarations surprenantes

L’affaire des moteurs truqués recouvre plusieurs thématiques de sciences de gestion. Comment des entreprises de la taille des constructeurs automobiles en cause ont-elles pu organiser et gérer un tel comportement délictueux qui impliquait autant de personnes ?

Depuis le mois de juin, Renault fait l’objet d’une mise en examen en France, soupçonné de tromperie aggravée. Il en est de même depuis la mi-juillet pour Fiat Chrysler Automobiles. Des tests semblent montrer de très gros écarts d’émission d’oxyde d’azote entre l’homologation et le roulage réel pour certains moteurs diesel commercialisés entre 2011 et 2018 par le constructeur au losange.

Certains éléments du cas Renault ont attiré notre attention. Interrogé au début de l’été par les juges, qui souhaitent savoir s’il existait une politique délibérée de Renault de trucage des tests, Carlos Ghosn a formulé des déclarations surprenantes. Alors qu’il avait notamment côtoyé les bancs de l’école Polytechnique, l’ancien PDG avoue qu’il ne connaissait pas le détail des moteurs et qu’il n’était même pas au courant de la réglementation européenne des émissions :

« Ma connaissance en matière de réglementation est très limitée. Je suivais les marchés, les synergies entre les entreprises. Sur ce point je n’étais pas particulièrement intéressé ni curieux ».

À la question de savoir s’il prenait une part active aux solutions apportées aux problèmes de réglementation des moteurs, Carlos Ghosn reconnaît qu’il n’avait aucune compétence technique pour rentrer dans le détail de ces problèmes, et déclare :

« Je m’en remettais aux avis de la direction industrielle, d’autant plus qu’elle était tenue par des personnes en qui j’avais entièrement confiance ».

Même si on peut comprendre que le patron de l’Alliance Renault-Nissan ne peut pas tout savoir sur les moteurs, il parait surprenant d’apprendre qu’il ne suivait pas ces dossiers.

Éloignés du terrain

Il semble également étonnant que son conseil d’administration ne l’ait visiblement pas questionné sur ces questions alors qu’il s’agit d’une entreprise qui se veut respectueuse de l’environnement et qui compte l’État comme actionnaire. On peut légitimement penser que si le conseil d’administration avait interpellé le PDG sur ces points, celui-ci aurait pu répondre plus aisément aux juges.

Se pose alors la question de comment éviter de tels comportements frauduleux. Visiblement, le conseil d’administration dans lequel les salariés sont représentés semble ne pas avoir joué son rôle de gouvernance cognitive permettant des gains de compétence. C’est ce que propose notamment Gérard Charreaux, pionnier dans la recherche sur la gouvernance en France, comme alternative à la gouvernance actionnariale. Dans cette analyse, l’auteur met en avant le gain cognitif qui correspond au supplément de valeur dû à l’apport de compétences par les différentes parties prenantes.

La gouvernance partenariale et la cogestion ont, par ailleurs, montré leurs limites avec le cas Volkswagen.

Faudrait-il donc renforcer la gouvernance actionnariale, c’est-à-dire le pouvoir des actionnaires sur les dirigeants ?

Interrogé sur des moteurs suspects, les réponses de l’ancien PDG de Renault, Carlos Ghosn, peuvent susciter l’étonnement. Anwar Amro/AFP

Comme nous le montrons dans nos travaux académiques, les actionnaires expriment parfois leurs désaccords avec les dirigeants à travers les batailles de procurations, mais cela reste très minoritaire. Ces batailles font partie de l’arsenal des moyens à la disposition des actionnaires minoritaires pour discipliner les dirigeants des entreprises cotées. Dans le cas de Renault ou de Volkswagen, vu la composition du capital de ces sociétés, le mécanisme ne pouvait pas fonctionner.

Ces deux leaders du marché automobile semblent en tout cas apporter des éclairages sur le fonctionnement complexe des prises de décision dans des groupes industriels de cette importance et sur la faiblesse des contrôles exercés par les conseils d’administration.

Les réponses apportées par Carlos Ghosn sur sa méconnaissance des moteurs thermiques paraissent d’ailleurs révélatrices des pratiques de management actuelles des grandes entreprises qui restent souvent bien éloignées du terrain. On imagine en effet mal André Citroën et Louis Renault, ingénieurs-entrepreneurs et non simples administrateurs, formuler les mêmes réponses sur « le détail des moteurs ».

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