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Débat : Le financement basé sur les résultats dans le secteur de la santé en Afrique est une fausse bonne idée

Le modèle de FBR s'est rapidement diffusé malgré les peu nombreuses preuves de son efficacité. Spotters/Shutterstock

Face à la faible performance des systèmes de santé de nombreux pays du Sud, en particulier en Afrique subsaharienne, le financement basé sur les résultats (FBR) a été avancé depuis une dizaine d’années comme une solution par de multiples organisations non gouvernementales, consultants ou bailleurs de fonds.

Le FBR est traditionnellement défini comme une approche qui récompense la réalisation de résultats prédéterminés par une ou plusieurs mesures incitatives, généralement financières mais pas seulement, après vérification que les résultats convenus aient effectivement été réalisés. Il peut prendre différentes formes et son opérationnalisation est donc multiple.

La modalité, fréquemment utilisée et dont nous parlons ici, concerne les programmes dont les incitations s’adressent aux formations sanitaires et aux prestataires de santé, dont les primes sont purement financières et dont le paiement dépend explicitement de la quantité et de la qualité de services prédéfinis, tel que spécifié dans des protocoles ou des contrats.

Par exemple, un centre de santé recevra des primes proportionnelles au nombre de consultations prénatales et des accouchements assistés par du personnel qualifié réalisés au cours du mois, modéré par un indice de qualité des soins. Selon ses promoteurs, ce type de FBR est censé améliorer les structures d’incitation des prestataires de soins et générer toute une série d’effets positifs.

Le FBR : un « modèle voyageur »

Le FBR dans le secteur de la santé est typiquement ce que certains socio-anthropologues appellent un « modèle voyageur ». Il s’agit d’une forme de programme standardisé visant à induire des changements de comportements à travers des actions délibérées, volontaristes, planifiées, formalisées, relevant de l’ingénierie sociale.

Même s’il s’apparente à d’autres courants de « nouvelle » gestion publique, le modèle de FBR tel qu’actuellement mis en œuvre dans de nombreux pays a été développé sur la base de quelques projets pilotes dans des pays en crise. Un pilote a notamment été présenté comme une « success story » au Rwanda au début des années 2000.

La première évaluation d’impact du FBR au Rwanda a montré que les structures de soins soumises au FBR avaient connu une augmentation notoire du nombre d’accouchements assistés et de visites de soins préventifs pour les enfants par rapport aux groupes de contrôle. Suite à quoi, ce modèle s’est rapidement propagé, sous l’impulsion notamment de la Banque mondiale, à une trentaine de pays du Sud. Pourtant, le FBR est loin de faire l’unanimité et l’évaluation subséquente de l’expérience rwandaise a remis en cause de nombreux résultats.

Une bonne idée…

Les arguments avancés par ses promoteurs pour justifier la promotion du FBR dans le secteur de la santé sont variés, même s’ils manquent de justification théorique solide.

Ses partisans affirment qu’il peut aider à accroître l’utilisation et améliorer l’efficacité du système de santé ; améliorer l’efficience ; accroître la redevabilité dans le secteur et la réactivité aux attentes des patients ; améliorer la qualité des soins ; accroître l’équité ; et même contribuer à résoudre les problèmes structurels et catalyser les réformes des systèmes de santé.

Les promoteurs du FBR ont rassemblé autour d’eux une communauté de pratique (la CoP/PBF), peu ouverte au débat critique, qui a facilité la diffusion du modèle et le partage des expériences entre experts et entre pays. Néanmoins, outre les primes de performance, le FBR comporte un nombre élevé d’autres éléments qui comportent des incitants pour les personnels de santé. Dès lors, les « mécanismes de transmission » à travers lesquels le FBR produit (ou non) des résultats sont encore méconnus et commencent seulement à faire l’objet de recherches.

… sur le papier

Si des voix se sont très tôt élevées pour émettre des doutes sur les bienfaits annoncés du FBR, en pointant ses risques, coûts et effets pervers potentiels, les débats ont rapidement pris une tournure polémique opposant les promoteurs de cette stratégie et les personnes plus sceptiques. Mais ceci n’a pas permis d’enrayer la progression inexorable du FBR, portée par d’importants soutiens politiques et financiers, même si le degré d’appropriation par les pays s’avère très faible encore et si les preuves de son efficacité restent rares et mitigées.

Nous avons récemment rédigé un article critique, cosigné par 22 collègues, qui se fonde sur une vaste revue de littérature et sur nos expériences dans une dizaine pays, ainsi que sur des entretiens informels avec de nombreux collègues et étudiants. Dans cet article, nous partons du constat qu’alors que le FBR a été présenté comme une approche ouverte, adaptée aux besoins spécifiques des pays, susceptible de favoriser les réformes et fondée sur des preuves scientifiques, la réalité est bien différente, et qu’il est souvent importé d’un pays à l’autre sans prise en compte du contexte.

Diffusion précipitée d’un modèle

Nous avançons que la diffusion du modèle de FBR a été précipitée, en l’absence de suffisamment de preuves de son efficacité, de son efficience et de sa capacité à améliorer l’équité ; que le FBR a été poussé de l’extérieur et que hormis un ou deux pays d’Afrique centrale (Rwanda, Burundi), on constate un manque d’appropriation nationale ainsi qu’une très faible pérennité du modèle (le Bénin est notamment un bel exemple) ; et que le FBR monopolise l’attention sur les résultats à court terme, la détournant – ainsi que les ressources – des processus de changement plus vastes et des réformes nécessaires pour renforcer durablement les systèmes de santé. En effet, trop peu d’attention est prêtée aux enjeux systémiques et à long terme, tels que la nécessité d’améliorer la formation et de réformer la gestion des ressources humaines, de fluidifier les procédures de gestion financière, de lever les barrières qui empêchent les populations d’accéder aux soins et de doter les structures de santé d’un minimum d’équipement. Dès lors, le FBR peut nuire aux services et aux systèmes de santé. Nous terminions cet article en proposant des points d’entrée pour des approches différentes de réforme des systèmes de santé.

Notre texte a déchaîné une vague de réactions parfois très virulentes sur les réseaux sociaux, « à chaud », dès sa parution, ainsi qu’une réaction collective organisée par la CoP/PBF. La plupart des critiques étaient portées par des personnes en liens ou en conflits d’intérêts avec l’approche mise en œuvre.

Faible efficacité

Cependant, aucune réaction n’a vraiment été en mesure de démontrer le bien-fondé théorique de recourir au FBR dans la forme qu’il revêt principalement aujourd’hui. Depuis, les preuves continuent de s’accumuler à charge du FBR, comme l’illustrent de récents articles qui démontrent sa faible efficacité pour améliorer la santé maternelle et infantile, ainsi que les effets pervers et inattendus constatés au Burkina Faso, l’insuffisante préoccupation pour l’équité des programmes tels que conçus actuellement (ce qui n’est pas nouveau en santé mondiale), le manque d’appropriation nationale de l’approche en Sierra Leone, le manque d’efficience du FBR en Zambie comparé à la solution (essentielle !) d’apporter aux structures de santé des fonds supplémentaires non conditionnés à l’atteinte de résultats, ou encore à une meilleure pertinence et pérennité de stratégies alternatives de motivation des ressources humaines en République démocratique du Congo.

Certes, il existe quelques rares preuves de son efficacité à court terme, mais elles ne peuvent justifier ces centaines de millions de dollars investis depuis autant d’années par l’aide publique au développement sans prendre le temps de vérifier la pertinence du modèle avec des évaluations indépendantes (donc non payées par ceux qui financent les interventions !) ou de l’investir dans d’autres interventions plus favorables aux patients.

Raisons idéologiques

Dès lors, en l’absence de bases théoriques solides pour justifier cette approche dans un secteur aussi complexe que celui de la santé, ainsi que de preuves empiriques crédibles et généralisables, nous n’hésitons pas à penser que le FBR est avant tout promu pour des raisons idéologiques, néolibérales, déguisées sous un discours technocratique.

C’est exactement ce qui s’était passé dans les années 1980 lorsque l’UNICEF et l’OMS avaient poussé les pays à généraliser le paiement direct des soins à travers l’initiative de Bamako. À l’époque, la célèbre revue The Lancet s’était inquiétée du fait qu’il était dangereux de « passer de deux petits projets à une entreprise multimillionnaire ». Il a fallu attendre presque 30 ans pour que ces organisations, et les autres, arrêtent de soutenir de telles solutions désastreuses pour les patients les plus vulnérables. Espérons que les promoteurs des incitations financières à la performance des professionnels de la santé, et du FBR, ne prennent pas autant de temps pour revoir leur idéologie.


Ce texte s’inscrit dans une série d’articles autour de la thématique « Santé publique », sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.

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