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Débat : Le service national universel, une colonie de vacances sans mixité ?

Beaucoup plus court que le service civique, le futur Service national universel (SNU) concernerait en revanche tous les jeunes de 16 ans. (Ici, mission à Unis-Cité-Environnement) CC BY

D’après sa définition officielle, le Service national universel a pour objectif la cohésion sociale et territoriale ainsi que la prise de conscience, par chaque génération, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale, tout en développant une culture de l’engagement.

Il est censé favoriser le brassage territorial et social. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement souhaite utiliser deux moyens : l’internat et l’obligation. Et ainsi offrir à une classe d’âge entière cette expérience de vivre sous le même toit pendant quinze jours, avec un encadrement confié à d’autres jeunes à peine plus vieux – des volontaires en service civique par exemple.

Favoriser la mixité des moins de 18 ans en les déplaçant, en les obligeant à vivre au même endroit, encadrés par des jeunes, a un nom depuis plus d’un siècle : les colonies de vacances. Pourquoi donc le gouvernement souhaite-t-il imposer cette expérience à tous ? Et, pour ce faire, créer un dispositif nouveau, très cher et sans plus-value réelle par rapport à ce qui existe déjà ? Ne serait-il pas possible de faire autrement ?

Provoquer la rencontre

Brasser et faire vivre ensemble les personnes ne se décrète pas. Les études de T. Piketty sur l’école, de la fondation J. Jaurès, nos propres travaux ou ceux sur la politique de la ville montrent que si on laisse faire les personnes et le marché, ce sont les riches qui quittent le navire de la République et du commun. Pour faire se rencontrer les personnes, il faut donc soit les y contraindre, soit provoquer des situations où l’on fait quelque chose ensemble.

Le gouvernement aurait-il donc raison d’imposer cette rencontre ? En fait non, car il fait porter uniquement sur la jeunesse les maux de notre société. Comme si, en forçant la main aux nouvelles générations, le monde irait mieux. Pour la plupart d’entre eux, les jeunes sont réfractaires à cette obligation.

D’autre part, sur le projet présenté, on a du mal à voir comment tous les jeunes pourraient passer quinze jours en internat : quid des apprentis, des jeunes parents, des jeunes en situation de handicap ou souffrant de pathologies complexes ? Bref, certains s’engageront, d’autres non, et comme toujours ceux qui sauront trouveront des dérogations, comme l’a montré le service militaire pendant des décennies.

Combattre les stéréotypes

Au lieu de monter ex nihilo ce nouveau service, pourquoi ne pas développer les colonies de vacances ? D’abord parce que la manière dont on les produit aujourd’hui ne permet pas de créer de la mixité. Les publics sont séparés : les jeunes en situation de handicap sont envoyés dans des centres adaptés, les pauvres et les riches partent vers des séjours différents. Les gros organisateurs ont segmenté le marché pour développer leur catalogue touristique, entre séjours à thème et voyages à l’étranger.

Ensuite, parce que les associations à même de favoriser cette mixité sont contre cette obligation faite à la jeunesse de faire quinze jours d’internat : elles savent que mettre des jeunes sous le même toit ne suffit pas à susciter de véritables échanges. Sans travail pédagogique préalable, cela ne fait que renforcer les stéréotypes et les processus de domination existant dans notre société. On provoque alors de autoritarisme, des inégalités entre les femmes et les hommes, entre riches et pauvres…

Bref, ceux qui disposent d’un vrai savoir-faire en la matière ne soutiennent pas ce dispositif, d’abord parce qu’ils n’en ont pas besoin pour transmettre valeurs et compétences. D’autre part, parce qu’ils savent que la contrainte n’est pas le bon outil.

Eviter un brassage superficiel

Sans prendre en compte l’avis des jeunes concernés, le gouvernement va mettre en place un dispositif qui n’atteindra aucun objectif d’inclusion, tout en donnant l’illusion de la mixité à travers des activités et un habitat communs. Voilà qui permettra de brasser les classes sociales et les différences… avec autant d’efficacité qu’un fouet tentant de mélanger l’huile et le vinaigre.

Certaines fédérations d’éducation populaire se sont portées volontaires pour une expérimentation, quelques gros organisateurs de colonies y voient une manière de remplir leur bâtiment. Le projet gouvernemental semble aller dans le sens des pratiques actuelles de séparation des publics. Bref, il sait qu’il dispose d’acteurs et d’opérateurs, disponibles pour œuvrer dans ce sens.

A contrario de ce modèle fondé sur le court terme et un public captif, une approche ambitieuse aurait pu être de reprendre une idée chère à Célestin Freinet, la correspondance et une autre construite à l’après-guerre par le mouvement « la fédération », le jumelage. Au lieu d’obliger les individus à se croiser pendant quinze jours, on inciterait les écoles, les centres de loisirs et autres institutions de formation à échanger avec leurs homologues installées sur des territoires éloignés, aux origines et aux méthodes différentes, avant d’organiser des rencontres dans des espaces tiers, lors d’une classe de découverte ou en colonie.

Miser sur des pédagogies innovantes

Chaque enfant pourrait ainsi partir deux à trois fois avec sa classe, son centre de loisirs, son mouvement de jeunesse ou son centre d’apprentissage faire un camp ou une colo avec d’autres enfants. L’obligation serait portée par les établissements et les financeurs, pas par les enfants ni les jeunes.

Pour que ce dispositif fonctionne, les animateurs devraient être formés à l’organisation de rencontres entre des jeunes vivant dans des contextes différents : ville, campagne, banlieue, maison, HLM, etc. Construire des mixités serait l’idée forte, la finalité d’une politique publique éducative à destination de tous les jeunes habitants de France. Les animateurs passeraient par les formations BAFA/BAFD, si tant est que celles-ci intègrent des pédagogies innovantes, centrées sur la rencontre et non plus sur les activités seules.

Une telle politique imposerait aux fédérations et organisateurs de colos, de classes de découverte de (re)penser leur projet et leur pédagogie, de sortir des modèles marchands où le parent, l’enfant, l’école est un client à satisfaire. L’éducation, la solidarité, et la cohésion entre les habitants de France ne peuvent être réduite à des rapports commerciaux, sauf à poursuivre la ségrégation territoriale et le délitement des solidarités.

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