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Débat : Que signifient les blocages de partiels ?

Blocage des examens de l'université de Nanterre à Arcueil le 11 mai 2018. Capture d'écran vidéo

Occupée depuis plus de trois semaines par les étudiants opposés à la loi ORE, soutenus par des membres du personnel enseignant, la Présidence de l’Université Paris-Nanterre s’était résolue à délocaliser une partie des partiels du second semestre, qui avaient déjà été reprogrammés, au centre d’Arcueil. Les étudiants protestataires jugèrent cette décision comme une attaque visant à « casser la grève » et leur action contre cette réforme imposant, selon eux, la norme de la sélection à l’entrée des filières généralistes universitaires, ce que n’a eu de cesse de récuser catégoriquement le gouvernement. Dans ces conditions, les examens terminaux ne devaient pas avoir lieu et devaient être annulés au profit d’une « validation automatique du second semestre » pour tous les étudiants.

Le vendredi 11 mai tôt le matin, des dizaines d’étudiants de Nanterre et d’autres universités parisiennes, soutenus par des postiers et des cheminots, se rendirent devant le centre d’examens avec la ferme intention d’empêcher physiquement la bonne tenue des partiels. Après un face à face tendu entre les manifestants et CRS, tandis que certains étudiants exprimèrent leur refus de composer en présence d’un tel déploiement policier, les partiels furent finalement ajournés par les autorités universitaires.

À Paris 8, Lyon 2, Aix-Marseille, ou encore à l’IEP de Rennes, des scénarios similaires se produisirent le lundi 14 mai : quelques dizaines d’étudiants protestataires devant les centres d’examens pour les bloquer, des forces de l’ordre déployées pour sécuriser les lieux, de vives tensions qui débouchèrent finalement sur l’annulation des épreuves.

En réaction, les présidents des quelques universités concernées par ces actions de blocage de partiels, inédites dans l’histoire récente, décidèrent d’opter pour des solutions alternatives afin que les étudiants puissent être évalués, et ainsi réaffirmer qu’il n’y aura pas « d’examens en chocolat », autrement dit qu’aucune note ne sera attribuée aux étudiants sans le passage d’un examen réglementaire que ce soit en présentiel ou à distance.

Mais de quoi ces actions de blocage de partiels sont-elles le nom ?

Un mouvement étudiant en plein reflux et des lycéens toujours introuvables

Loin d’être portées par un mouvement de masse encore en phase ascendante, ces actions de blocage des examens terminaux s’enchâssent dans un contexte de reflux irrépressible d’un mouvement étudiant qui n’aura jamais réussi à atteindre un seuil critique lui permettant d’avoir les moyens de ses ambitions : obtenir l’abrogation de la loi ORE.

Ce reflux s’est donné à voir d’abord dans le nombre de participants aux AG étudiantes. Celui-ci a fortement décru depuis le début du mois de mai, et notamment dans les universités les plus mobilisées. À Rennes 2, après un maximum de 4 000 étudiants le lundi 16 avril, record de la mobilisation sur le plan national, on en comptait seulement 250 le lundi 7 mai, tandis qu’à Nanterre la dernière AG du lundi 14 mai n’avait rassemblé que 200 étudiants, contre 1 000 à 2 000 étudiants au cours des semaines précédentes.

Le nombre d’universités dont le fonctionnement normal était fortement perturbé, parfois depuis de plusieurs semaines, a diminué quant à lui de façon importante à partir du 20 avril, c’est-à-dire lorsque intervint l’évacuation policière du site de Tolbiac perçu comme le fer de lance de la mobilisation des étudiants à l’échelle nationale.

Le recours à la force publique par des autorités administratives soucieuses de rétablir la normalité universitaire en désentravant les locaux, et permettre notamment la tenue des partiels du second semestre, a joué un rôle d’accélérateur.

Ainsi, Montpellier 3 (23 avril), le campus de Censier (30 avril), l’Université de Lorraine (25 avril), Bordeaux-2 (29 avril), Toulouse Jean‑Jaurès (9 mai 2018), Université Rennes 2 ont été concernées par ces interventions policières dénoncées par les opposants à la loi ORE comme un mode de gestion répressif de la contestation dans les universités.

Aujourd’hui, s’il demeure toujours plusieurs universités concernées par des actions d’occupation de locaux qu’elles fussent partielles ou totales (Limoges, Grenoble, Nanterre, Paris 8, Paris-Sorbonne Centre-Clignancourt et Centre-Malserhbes), ces dernières apparaissent comme d’ultimes poches de résistance d’un mouvement de « grèves actives » qui se sera limitées à une quinzaine d’universités.

Il s’agissait là d’un nombre significatif, près de 20 % des universités publiques furent concernées, même si ce taux demeura largement très en deçà du niveau de conflictualité des mouvements étudiants victorieux de ces dernières décennies, 1986, 1994, 2006

Par ailleurs, nous n’avons pas assisté à un grand bon en avant en ce qui concerne le nombre de manifestants que ce soit à Paris ou dans les autres villes universitaires. En effet, tandis que l’avant dernière journée nationale de mobilisation contre la loi ORE avait été un nouvel échec patent avec seulement 2 000 personnes défilant à Paris le 3 mai, les opposants à la loi ORE ne furent que 600 à manifester le mercredi 16 mai dans les rues de la capitale.

Ainsi, en dépit de la tenue d’assemblées générales étudiantes massives dans les universités les plus mobilisées (Nantes, Montpellier, Nanterre, Toulouse Jean‑Jaurès, Paris 8, Rennes 2), les étudiants protestataires ne seront-ils jamais parvenus à faire nombre dans l’espace public et à démontrer par là même que leur agir en commun était en mesure de contraindre le gouvernement à de fortes concessions concernant une réforme universitaire inscrite dans le droit positif depuis le 9 mars, et présentée depuis comme un fait acquis.

Quant aux lycéens, en dépit du travail militant de l’Union Nationale Lycéenne–Syndicale et Démocratique et du Syndicat général lycée, ils n’auront pas fait irruption sur la scène politique, contrairement à ce que pouvaient escompter les étudiants désireux de rompre leur isolement au profit d’un grand rendez-vous politique entre lycéens et étudiants.

« La semaine de révolte lycéenne » organisée par l’UNL au début du mois de mai n’a pas eu de réels effets, en dehors de quelques blocages de lycées en province et deux conseils académique de la vie lycéenne perturbés à Caen et Rouen, alors qu’elle constituait sans doute la dernière fenêtre d’opportunité pour faire émerger un mouvement lycéen d’ampleur d’ici à la fin de l’année scolaire, qui aurait été capable de suppléer un mouvement étudiant connaissant ses derniers soubresauts.

Dès lors, même s’il reste la journée de grève et de manifestation des fonctionnaires du 22 mai, puis les « marrées populaires » du 26 mai, tandis que les lycéens de classes de terminale vont commencer à recevoir leurs premières réponses à partir du 22 mai,

les syndicats de lycéens se projettent déjà dans l’après. Ils comptent mettre ainsi à profit les prochains mois pour préparer la rentrée scolaire de septembre, postulant que les élèves du secondaire seront d’autant plus facilement mobilisables qu’il aura été possible de faire entre temps un bilan de la première cession de Parcousup. Ils espèrent ardemment que l’histoire rende justice à leurs nombreuses critiques, et permette dans ces conditions cette crise du consentement et cette levée en masse tant espérées, mais pas encore advenues

Quand bloquer les examens devient une modalité d’action des étudiants protestataires

L’empêchement des partiels du second semestre est devenu au cours des dernières semaines une modalité d’action et par là même une revendication politique à part entière de ce qui demeure du mouvement étudiant.

Les deux dernières Coordination nationale étudiante (CNE) ont exprimé une position analogue à celle de la Coordination nationale des universités (CNU) regroupant des représentants du personnel enseignants et administratifs mobilisés. Dans son appel daté du 5 mai 2018, la CNU revendiquait parmi les modes d’action pouvant être mise en œuvre dans le cadre de la lutte contre la loi ORE « la non tenue des examens », « la rétention des notes », « la validation universelle du semestre ».

Des revendications similaires ont été défendues par les étudiants encore mobilisés de Nanterre et de Paris 8 qui ont souhaité donner une traduction concrète à ces énoncés en allant perturber, respectivement les 11 et 14 mai, le bon déroulement des partiels jusqu’à obtenir leur ajournement. Il en a été de même à Rennes 2 le jeudi 17 mai.

Mais pourquoi s’évertuer à essayer de bloquer à quelques dizaines la bonne tenue des partiels au risque de noyer leur mobilisation dans un océan d’impopularité du fait que ces examens terminaux sont considérés « intouchables » par la très grande majorité des étudiants qui, indépendamment de leur perception du mouvement, souhaitent être évalués normalement par le corps enseignant, et par là même valider dans les règles leur année universitaire ?

Pour ces étudiants mobilisés, il s’agit d’abord de montrer au travers de ces actions de blocage des partiels qu’ils refusent de subordonner leur action collective protestataire au respect du calendrier universitaire.

C’est leur agir ensemble contre une loi qu’ils jugent scandaleuse qui doit primer sur la question des partiels jugée en comparaison très secondaire. Ainsi, refusent-ils de voir sacrifier leur mobilisation sur l’autel des examens.

Dès lors, s’engager à bloquer un partiel constituerait de leur point de vue l’expression d’une résistance collective à l’endroit de l’injonction impérieuse de renoncer à « faire grève » par les autorités administratives et politiques, mais aussi une façon de réaffirmer de façon remarquable leur opposition à cette réforme, et d’exercer par là même une pression sur le gouvernement en conditionnant la tenue des partiels à l’abrogation préalable de la loi ORE.

De plus, il s’agirait de permettre la continuation de la mobilisation anti-loi ORE qui, selon eux, serait actuellement bridée, entravée, corsetée du fait d’un « chantage aux examens » usité opportunément autant par le gouvernement que par les autorités universitaires pour discipliner les esprits encore tentés par l’insubordination, et ainsi pouvoir « mettre fin à la grève contre la sélection ».

A contrario, leur raisonnement les amènent à postuler que la levée de l’hypothèque des partiels grâce à l’obtention automatique du second semestre permettrait à la mobilisation de connaître un développement impétueux étant donné que les étudiants contraints de réviser se trouveraient libérés de la pression des partiels et de facto disponibles pour lutter (au risque de ne pas tenir compte du fait que les villes, fin de l’année universitaire oblige, vont se vider de la très grande majorité de leurs étudiants à très court terme. Ces derniers seront qui plus est accaparés par le travail salarié estival, les stages et autres vacances, et donc indisponibles pour se mobiliser avant éventuellement la rentrée prochaine).

Pour ces raisons, les examens terminaux sont perçus comme un verrou à faire sauter, tandis que l’objectif principal à court terme tend à devenir ce que d’aucun ont nommé « le sabordage partiellaire » en réponse directe à ce qu’ils estiment être le sabordement de leur grève orchestré par les décideurs politiques et universitaires avec le couperet des examens.

Enfin, pour tenter de rendre intelligible ce redéploiement des énergies militantes vers la question des partiels, il convient de mettre en exergue un phénomène revenant de façon récurrente lors des mobilisations étudiantes prolongées. Il s’agit de la grande difficulté pour des personnes très investies de s’arrêter à temps d’eux-mêmes, autrement dit à réussir à ne pas s’enferrer dans une fuite en avant absolument vaine sur le plan politique et pouvant au mieux apparaître comme une lutte d’arrière garde, au pire prendre la forme d’une politique de la terre brûlée.

Deux raisons peuvent être invoquées pour comprendre cette forme de « jusqu’au-boutisme ». D’abord, ces militants peuvent redouter le retour à la normale, c’est-à-dire la reprise de leur vie d’avant et cela après un quotidien au-dessus de l’ordinaire. Ils peuvent être tentées de conjurer le spectre de la conclusion de cette « parenthèse contestataire enchantée » en poursuivant leur engagement, quand bien même celui-ci apparaîtrait de plus en plus déraisonnable, car déconnecté de l’état du rapport des forces réel.

Ainsi, les actions de blocage des partiels témoigneraient-elles de la difficulté pour certains étudiants à faire le deuil de cette mobilisation, au risque de perdre tout esprit de mesure et tout sens des réalités, au risque de n’être plus que dans le « forçage de la situation » pour reprendre l’expression de l’historien Xavier Vigna.

Par ailleurs, ces jeunes gens mobilisés peuvent adopter délibérément une posture « sacrificielle », c’est-à-dire vouloir lutter jusqu’au bout contre vents et marées au lieu de prendre acte du caractère crépusculaire du mouvement étudiant et d’en tirer toutes les conséquences en ce qui concerne les modes d’action. Cette posture est susceptible de conduire les étudiants irréductibles au refus principiel de tout compromis, pourtant inévitable en politique, mais aussi à l’écueil de l’entre-soi sectaire et nombriliste qui tend à isoler les derniers contestataires du plus grand nombre, y compris de leurs plus proches soutiens, jusqu’à finir totalement marginalisés, sans puissance d’agir. On se trouve devant ce que le philosophe Daniel Bensaid nommait « l’esthétisme impuissant de la défaite ».

De 1968 à 2009 : quand la question de la remise en cause des examens fut inscrite à l’ordre du jour

Cette focalisation sur la question des examens en cette fin de mouvement n’est pas quelque chose d’inédit dans l’histoire des mouvements étudiants depuis 1968.

Déjà au printemps 1968, « Le mouvement du 22 mars » en parlait régulièrement dans ses tracts.

Dès le mois d’avril, ces militants expliquaient refuser de subordonner les luttes des étudiants, devant être étroitement liée à celles des ouvriers, aux examens qui étaient perçus, par ailleurs par de nombreux étudiants contestataires, comme un « mécanisme de sélection » permettant de façon insidieuse autant d’exclure les étudiants nés de parents ouvriers de l’enseignement supérieur que fondre les subjectivités dans le moule de « l’idéologie bourgeoise ».

Loin de les considérer comme une « catégorie naturelle » inaccessible à la critique, ils souhaitaient les voir supprimer dans le cadre d’une refonte révolutionnaire de l’Université qui devait cesser d’être une « Université de classe » au service de la modernisation du « capitalisme de libre échange ». Tandis que les étudiants se devaient de refuser collectivement par leur révolte ce destin de cadre dirigeant qu’ils leur étaient promis, c’est-à-dire en définitive celui de « chien de garde du Capital ».

Par ailleurs, d’autres jeunes gens appartenant eux aussi à ce que Edgar Morin nomma la « Commune étudiante » appelèrent à la destruction systématique des épreuves d’examens, à l’anéantissement des dossiers administratifs individuels et à la destruction des résultats au cas où les enseignants se résigneraient à corriger les examens.

Finalement, les examens terminaux, reportés en septembre, se tinrent, tandis que les lycéens purent passer les épreuves du baccalauréat, quoique sous des formes aménagées.

La situation présente fait échos au « printemps des chaises » en 2009, c’est-à-dire à la mobilisation historique d’une partie de la communauté universitaire contre la LRU, la « masterisation » et le décret sur le statut des enseignants-chercheurs.

Alors que la mobilisation avait commencé, dès le 2 février 2009, avec un appel à la « grève totale, reconductible et illimitée » lancé par la Coordination nationale des universités (CNU), que plus d’une cinquantaine d’universités avaient été concernées par des mouvements de grève des étudiants et des personnels, la question du maintien des partiels du second semestre commença à se poser à partir du mois d’avril. À ce moment-là, de nombreuses universités n’avaient connu qu’une seule semaine de cours complète depuis le début du second semestre.

Réunie le 6 avril 2009 à Asnières (Hauts-de-Seine), la huitième CNU déclara dans une motion qu’elle « soutenait les instances universitaires qui décideraient la validation automatique du semestre pour les étudiants », aussi appelé « semestre blanc », en voyant en celle-ci un moyen de faire pression sur les décideurs politiques. En réaction, la Conférence des présidents d’université (CPU) opposa une fin de non-recevoir en expliquant que « les diplômes ne seraient pas donnés ». La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, abonda dans le sens de la CPU : pas question d’emprunter des chemins de traverse, les examens se tiendraient à la fin des fins sous des formes réglementaires.

Finalement, aucune université ne souscrivit à la solution du « semestre blanc », déclarant vouloir préserver la valeur des diplômes délivrés par l’Université française. Il fut donc organisé des sessions de rattrapage de cours plus ou moins longues selon les universités.

À Rennes 2, après avoir occupé le hall d’entrée de la Présidence, lundi 6 avril, pour réclamer que le Président de l’époque, Marc Gontard, s’engage à accorder le semestre blanc à tous les étudiants de son université, une « Brigade Anti-Cours » fut mise sur pied pour empêcher que se déroulent les cours de rattrapage sur la fac. Ces dizaines étudiants contestataires espéraient ainsi rendre la situation telle que la Présidence de Rennes 2 ne puisse pas ne pas consentir, bon gré mal gré, à annuler tous les examens au profit d’une validation automatique du second semestre. Il n’en fut rien.

À Rennes comme ailleurs, les partiels du second semestre furent repoussés soit en mai, soit en juin, et même début septembre pour Toulouse le Mirail. Les enseignants, malgré le goût amer de la défaite, assumèrent leur mission de service public autant que faire se peut pour ne pas pénaliser leurs étudiants dont beaucoup d’entre eux avaient été mobilisés à leurs côtés tous les jours depuis le mois de février.

Néanmoins, des arrangements purent avoir lieu dans telle université à la discrétion des enseignants qui eurent toute latitude pour évaluer avec une bienveillance particulière leurs étudiants ou aménager le cas échéant les formes d’examens.

Ainsi, telle une loi d’airain, en dépit des discours et des actions d’étudiants et d’enseignants désireux pour des raisons idéologiques et/ou stratégiques d’en finir avec les modalités de contrôle des connaissances à l’Université que se soit pour les besoins d’une lutte donnée ou dans le cadre d’un projet de transformation radicale de l’institution universitaire, les examens finirent-ils toujours par se tenir. Le mouvement anti-loi ORE n’y échappera pas.

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