Menu Close
Parabole solaire permettant de cuire des aliments. Julian Carrey, Fourni par l'auteur

Décarboner notre façon de cuisiner : la parabole solaire est-elle une bonne option ?

L’urgence écologique nous invite à faire le tri entre nos besoins essentiels – dont il faut chercher à réduire les impacts environnementaux – et les activités superflues, dont il faut réussir à se passer. La cuisson des aliments, source de plaisir au quotidien mais surtout nécessaire à notre survie, fait à l’évidence partie de la première catégorie. Les habitants des pays occidentaux utilisent pour cela le plus souvent des plaques électriques, des plaques à induction ou des brûleurs à gaz. Ces dispositifs peuvent avoir des impacts écologiques conséquents, que ce soit lors de la phase de construction (activités minières, rejets industriels, énergie, etc.), mais également – et surtout – lors de la phase d’utilisation, en particulier lorsque l’énergie utilisée est d’origine fossile.

Afin de répondre à cette problématique, certaines personnes utilisent différents dispositifs de cuisson solaire, dont le plus commun est le concentrateur parabolique. À première vue, l’intérêt principal d’un dispositif solaire est son absence de consommation énergétique extérieure et d’émissions de gaz à effet de serre lors de son utilisation. Pour autant, cet objet est plutôt imposant par rapport à des dispositifs classiques, et on peut se demander si les impacts écologiques lors de sa phase de construction sont réellement compensés par l’absence d’impacts lors de la phase d’utilisation. Pour répondre à cette question, on peut utiliser « l’analyse de cycle de vie » (ACV), un outil normalisé qui permet d’évaluer les impacts environnementaux d’un procédé ou d’un objet, depuis l’extraction des matières premières nécessaires à sa fabrication jusqu’à sa fin de vie.

La démarche low-tech

Néanmoins, quantifier des impacts environnementaux n’épuise pas la question de l’évaluation des technologies. Pour penser les objets techniques, leur place dans la société, leur lien avec les citoyens, leur pertinence face à l’urgence écologique et même leur nature politique, le cadre conceptuel des low-techs nous parait intéressant. Dans ce cadre, aux critères purement environnementaux s’ajoutent d’autres critères, plus sociaux – voire philosophiques – en lien avec des valeurs humanistes.

Ces critères ne font pas l’objet d’un consensus ou d’une norme, et varient suivant les auteurs, mais on y retrouve généralement une vision commune d’un futur désirable faisant écho à l’idéologie de la décroissance. Andrea Vetter, qui s’est inspiré des réflexions d’Ivan Illich sur les technologies conviviales, a identifié une centaine de critères, parmi lesquels on trouve par exemple les conditions sociales de production, la joie lors de l’utilisation, l’accessibilité à toutes et tous, la simplicité d’utilisation, l’autonomie procurée à l’utilisateur ou utilisatrice, etc. Philippe Bihouix, qui a popularisé la notion de low-tech en France, a également donné une vingtaine de critères, parmi lesquels on retrouve la réparabilité, l’utilisation de ressources renouvelables, des conditions de production socialement justes ou le « degré d’utilité ». Pour notre part, nous avons défini une technologie low-tech comme une « brique élémentaire d’une société pérenne, équitable et conviviale ».

Après nous être demandé pendant plusieurs années comment la recherche scientifique pourrait contribuer au développement des low-techs, nous avons décidé de nous focaliser sur les technologies solaires à concentration, avec deux projets parallèles : l’un sur la métallurgie solaire et l’autre sur la cuisine solaire domestique. Pour notre première étude sur la cuisson domestique, nous nous sommes concentrés sur l’évaluation quantitative des impacts environnementaux d’une parabole solaire commerciale (EG Solar, SK14), que nous avons comparés à des dispositifs de cuisson communément utilisés. Cette étude nous a permis de mettre en évidence l’importance centrale

  • des matériaux utilisés pour leur construction

  • du mix électrique du lieu d’utilisation

  • du taux minimal d’utilisation de la parabole solaire pour un bénéfice écologique.

Importance des matériaux

Les résultats de l’ACV (analyse du cycle de vie) ont montré que lorsque l’on considère seulement la phase de construction des dispositifs de cuisson, les paraboles solaires peuvent dans certains cas avoir des impacts supérieurs à ceux des dispositifs conventionnels étudiés. L’un des points clés pour comprendre ces impacts est le poids des dispositifs : 14 kg pour la parabole contre 2 à 3 kg pour les cuiseurs à gaz ou à induction. Ces résultats sont aussi dus au choix de l’aluminium comme matériau pour la structure et les réflecteurs de la parabole.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd'hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

La production d’aluminium étant un procédé très énergivore, son impact environnemental est loin d’être négligeable : le mix électrique du pays de construction de la parabole a également une forte influence sur les valeurs finales des différents impacts, notamment sur les émissions de CO₂. Ainsi, la construction d’une parabole générera 2,7 fois plus d’émissions en Chine qu’au Canada. En revanche, lorsque l’aluminium est issu entièrement de recyclage, son impact est réduit d’un facteur 7. Afin de réduire la part d’aluminium, Aurélien Pons et Kélian Leroy, deux stagiaires dans notre laboratoire, ont travaillé à une alternative, qui consiste à remplacer la structure porteuse de la parabole par une structure en bois, réduisant d’autant les impacts environnementaux. En effet, si l’aluminium est difficilement remplaçable pour les réflecteurs, il n’est pas indispensable à la structure. La notice de construction de ce module, conçu dans un esprit low-tech, est disponible en libre accès.

Parabole solaire avec structure en bois. Fourni par l'auteur

Importance du mix électrique

Le mix électrique influence fortement l’impact des dispositifs de cuisson électrique lors de leur phase d’utilisation. Nous avons comparé deux cas extrêmes : le mix électrique français, qui est bas-carbone en raison de l’utilisation importante du nucléaire, et le mix australien, qui est typique d’une électricité très carbonée, car provenant à plus de 70 % d’énergie fossile. Lorsque l’énergie utilisée par les dispositifs conventionnels de cuisson est très carbonée (gaz naturel ou électricité carbonée) l’utilisation de la parabole solaire devient d’autant plus avantageuse. L’impact dû à la phase de construction de la parabole peut alors devenir négligeable face à l’impact lié à la consommation énergétique des appareils conventionnels lors de leur phase d’utilisation.

Importance du taux d’utilisation

Les paraboles solaires ne peuvent être utilisées qu’en journée et dans des conditions météorologiques favorables. Ainsi, la plupart de leurs utilisateurs ou utilisatrices disposent d’un autre appareil conventionnel de cuisson en complément. Le taux d’utilisation de la parabole devient alors un facteur déterminant : plus le taux est important, plus les impacts de l’activité globale « cuisson domestique » sont réduits. Le ratio d’utilisation au-delà duquel l’achat d’une parabole apporte un bénéfice écologique dépend donc du dispositif complémentaire choisi.

Nous avons choisi d’étudier de manière plus détaillée l’impact climatique. Le tableau ci-dessous détaille le taux minimal d’utilisation d’une parabole pour obtenir une réduction globale de la production de gaz à effet de serre de la cuisson, et ce pour plusieurs dispositifs de cuisson complémentaires. Il a été choisi de déterminer ces seuils pour deux types de paraboles dont les émissions liées à la construction sont très différentes. On peut alors constater que pour une parabole entièrement en aluminium neuf versus une plaque induction utilisée en France, il faudrait cuisiner 35 % du temps avec la parabole pour un bilan positif, soit la préparation d’un repas par jour. À l’opposé, avec une parabole solaire composée de bois et d’aluminium recyclé versus une plaque à induction utilisée en Australie, il faudra utiliser la parabole pour moins d’1 % des repas (soit environ un repas tous les deux mois) pour que ce choix soit bénéfique sur le plan du réchauffement climatique.

Taux minimal d’utilisation d’une parabole solaire permettant la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’activité de cuisson en fonction du type de cuiseur complémentaire utilisé. Fourni par l'auteur

La tendance que nous avons montrée pour les émissions CO₂ ;se retrouve également pour les autres impacts environnementaux (l’eutrophisation ou l’acidification des sols - tous pouvant avoir des dommages sur la santé humaine - la qualité des écosystèmes ou la disponibilité des ressources).

Les impacts environnementaux sont un des critères permettant d’évaluer si un objet est low-tech. De ce point de vue là, nous venons de voir qu’une parabole peut sous certaines conditions les réduire de manière considérable. Mais dans la philosophie low-tech, d’autres critères sont à considérer. Du côté des aspects « problématiques » de la parabole solaire, on peut signaler l’utilisation de l’aluminium.

Ce métal, dont l’utilisation ne s’est développée qu’au cours du 20ème siècle, nécessite des infrastructures de production très conséquentes : contrairement au fer ou au cuivre, par exemple, ce n’est pas possible de produire de l’aluminium de manière low-tech dans un bas-fourneau fait d’argile et utilisant du charbon de bois ! Les réflecteurs en aluminium d’une parabole sont donc des objets technologiquement complexes. L’utilisation de cuivre diminuerait cette complexité, mais aurait des conséquences négatives sur les performances.


Read more: Chanvre, bois, laine, quels matériaux pour décarboner le secteur du bâtiment ?


Une autre façon de cuisiner ?

Également, la cuisine solaire nécessite de s’organiser différemment car il n’y a de la place que pour un seul plat et que la cuisson peut être plus longue. D’un autre côté, les utilisateurs ou utilisatrices de parabole solaire témoignent d’expériences très positives : le plaisir de cuisiner dehors ; la possibilité de faire en été des cuissons longues (confitures, conserves, ratatouilles) sans échauffer l’intérieur de l’habitation ; et finalement, le plaisir de n’utiliser que le soleil pour cuire.

Les possibilités d’utilisation de l’énergie solaire concentrée commencent également à être explorée à plus grande échelle, notamment dans les secteurs de la restauration ou la transformation alimentaire. C’est ainsi qu’en septembre 2020, a ouvert à Marseille une guinguette solaire, Le Présage, qui utilise un concentrateur solaire particulièrement astucieux : le réflecteur Scheffler, du nom de son inventeur, est actuellement utilisé dans plusieurs pays du monde pour des applications de ce type. La thèse de Gabriel Guillet, à l’Université d’Aix-Marseille, a d’ailleurs été financée par Le Présage pour accompagner l’ouverture d’un futur restaurant solaire, et mieux caractériser les concentrateurs solaires.


Perrine Rivet, étudiante à l’INSA Toulouse et stagiaire au LPCNO, a largement contribué à l’écriture de cet article.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,900 academics and researchers from 4,984 institutions.

Register now