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Démissions d’enseignants : une question qui reste taboue

Une femme avec un carton sortant d'un bâtiment
Les enseignants désirant quitter la profession se heurtent souvent au manque de ressources, tant en termes d'informations que de soutien humain. Shutterstock

Qui veut encore devenir prof ? La question alimente le débat public sur l’éducation. Alors que les médias mettent régulièrement en évidence les difficultés à recruter des enseignants, un autre phénomène, tout aussi préoccupant, reste souvent sous-estimé : celui des démissions de personnels en poste dans l’Éducation nationale.

Bien que ces démissions restent à un niveau relativement modéré par rapport à l’effectif total d’enseignants en France, elles sont en constante augmentation : leur nombre a été multiplié par quatre en l’espace de dix ans.


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Les raisons en sont multiples et diverses, allant de l’alourdissement de la charge de travail – en particulier des tâches bureaucratiques – à l’émergence de nouvelles responsabilités, telles que la différenciation pédagogique et l’accueil des élèves en situation de handicap. Ceci dans un contexte de contraintes financières et de pressions liées aux réformes de la nouvelle gestion publique comme l’ont montré la chercheuse Magali Danner et ses co-autrices. Le manque de reconnaissance et de soutien ainsi que des salaires jugés insuffisants contribuent à cette tendance.

Au-delà des motifs de découragement et de démissions, que sait-on de ces démarches de transition professionnelle ? Comment l’institution réagit-elle ? Vers qui les enseignants se tournent-ils pour envisager ces changements ?

Les obstacles aux démissions enseignantes

On pourrait croire que la mise en place des ruptures conventionnelles dans le secteur à partir de 2020 a facilité la sortie du métier d’enseignant. Cependant, les premières données révèlent une réalité différente. Un premier bilan des syndicats sur les ruptures conventionnelles de l’année 2020, indique que près de 80 % des demandes ont été refusées.

Celles qui ont été acceptées provenaient essentiellement de trois académies : Montpellier, Bordeaux et Aix-Marseille, réputées pour ne pas être en tension. Par conséquent, les enseignants travaillant dans les académies les plus déficitaires et aux conditions de travail réputées les plus difficiles ont moins de chances de voir leur demande de rupture conventionnelle acceptée, ce qui accentue les disparités entre les régions.

De la même manière, les démissions simples sont susceptibles d’être refusées par l’administration en raison de la nécessité de service. Un motif qui sert souvent de justification à cette décision – le nombre de demandes de démissions refusées chaque année n’est à ce jour pas connu.

Entre manque de considération, salaires bas et pression, de plus en plus d’enseignants décident de quitter le navire. (Le Parisien, 2022).

Les enseignants désirant quitter la profession se heurtent souvent au manque de ressources, tant en termes d’information que de soutien humain, au sein de l’Éducation nationale. Par exemple, les informations sur les démissions sur les sites officiels sont plutôt succinctes. De plus, selon les académies, il peut être difficile de se procurer les circulaires relatives à l’Indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et les services des ressources humaines de proximité peuvent prendre plusieurs mois pour répondre à leurs demandes.

Cette situation témoigne en partie de la position de l’institution sur la sortie du métier. La question demeure taboue, les responsables politiques tendant à minimiser le phénomène. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait avancé l’idée selon laquelle l’évolution des démissions serait peu significative et corrélée aux variations du nombre de postes ouverts.


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Selon cette perspective, une hausse des recrutements dans l’Éducation nationale se traduirait par une augmentation proportionnelle des démissions. Cependant, dans les faits, rien ne prouve que cette affirmation soit exacte, car l’Éducation nationale peine aujourd’hui à recruter, et le « malaise enseignant » est aujourd’hui bien documenté dans la littérature scientifique.

Des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux

C’est probablement pour toutes ces raisons que les enseignants se tournent de plus en plus vers d’autres espaces, notamment des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux et les forums. L’un des plus importants, créé en 2015, compte plus de 33 000 membres début 2024 (nous n’indiquons pas son nom pour préserver l’anonymat de ses membres).

Ces groupes sont le lieu, notamment de :

  • demandes d’aide concernant les aspects techniques du changement de métier, comme l’obtention d’une disponibilité, d’un détachement ou d’une rupture conventionnelle, d’information sur les concours permettant de changer de voie et leurs modalités, etc.

  • retours d’expériences de personnes ayant franchi le pas, décrivant comment elles ont vécu leur reconversion et quelles sont leurs conditions de travail actuelles ;

  • témoignages de difficultés rencontrées dans le métier, destinés à montrer à ceux qui les vivent qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et à leur apporter du réconfort et des encouragements.

En plus des échanges, ces groupes très actifs partagent également une série de fichiers (dans un onglet dédié), tels que des CV, des exemples de lettres de démission, des documents juridiques (IDV, nécessité de service, etc.), des tableaux Excel permettant de calculer le montant des indemnités de départ en cas de rupture conventionnelle, des descriptions de postes concernant différents métiers, etc.

L’apparition de prestataires de services…

Parallèlement, un autre type de ressource émerge dans l’accompagnement des enseignants désireux de démissionner, apparu depuis le milieu des années 2000 : il s’agit de sites que nous qualifions de commerciaux car, contrairement aux groupes d’entraide, ils proposent des prestations de service moyennant un coût financier.

On en recense une vingtaine sur le Web, parmi lesquels une association se distingue, proposant un accompagnement personnalisé à la démission et à la reconversion. Elle fonctionne sur la base d’une cotisation unique assortie de prestations payantes (réinvestis dans l’association), telles que l’assistance pour lever la nécessité de service, ou l’aide à la création d’entreprise, et s’appuie sur un réseau étendu comprenant de hauts fonctionnaires, des hommes politiques, des chercheurs, des journalistes et d’anciens enseignants reconvertis.

D’autres prestataires en ligne se concentrent principalement sur des services comme le bilan de compétences, largement reconnu comme une étape essentielle de la reconversion professionnelle. La durée du bilan de compétences est variable selon les besoins du bénéficiaire, mais ne dépasse généralement pas 24 heures, et son coût moyen varie entre 1 200 euros et 1 800 euros selon les prestataires recensés. Ou encore sur le coaching en outplacement, héritage, selon certains chercheurs, « du nouvel esprit capitaliste ».

La présence croissante de ces prestataires indique le développement d’un véritable marché autour de la démission et de la reconversion enseignante.

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En définitive, le pilotage de la problématique de la démission enseignante semble avoir été laissé entre les mains d’acteurs extérieurs à l’institution, malgré des points de vue convergents avec certains d’entre eux sur la gestion de carrière des enseignants, en accord avec les récentes évolutions législatives (mise en place de la rupture conventionnelle et élargissement des possibilités de recrutement de contractuels). Voilà qui rappelle les propos de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye dans une interview en 2022.

« On n’entre plus dans le métier pour que ça se termine par un pot de retraite 40 ans plus tard » […] On veut pouvoir être enseignant 10 ans et puis faire autre chose. »

L’augmentation des démissions enseignantes et l’apparition de nouveaux acteurs dans leur accompagnement remettent en question les normes établies concernant les entrées et sorties de la profession, et suscitent des interrogations sur la nature et l’efficacité de cet accompagnement. Comment concilier cette nouvelle flexibilité des trajectoires professionnelles avec la gestion de la carrière enseignante ? Ces questions exigent une réflexion approfondie sur les politiques éducatives et les pratiques de ressources humaines afin d’assurer un accompagnement tout au long de la carrière des enseignants, en réponse aux défis et aux évolutions du monde de l’éducation.

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