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Le babysitting, toute une aventure. Disney

Depuis « Mary Poppins », Disney cherche la baby-sitter idéale

Quand Walt Disney demande aux frères Sherman de composer des chansons pour Mary Poppins, il s’aperçoit qu’ils ignorent ce qu’est une nanny. Ils pensent qu’il leur parle d’une biquette (en anglais nanny-goat). On est en 1960 : l’Amérique ignore tout de cette figure typiquement britannique. Les artistes de Burbank ont tout à apprendre sur le sujet… et tout à réinventer.

Une nanny chez les baby-sitters

À vrai dire, les studios ont déjà animé ce type de personnage à deux reprises, mais de façon indirecte. La première fois, c’était dans Peter Pan avec Nana, la chienne qui veille sur les enfants Darling. Mais elle était qualifiée de « nourrice » (nursemaid). La seconde, c’était dans One Hundred and One Dalmatians avec Nanny. Mais le nom de la profession était alors le nom propre de l’employée de maison. Dans les films de Disney, avant Mary Poppins, on trouve une chienne qui veille sur une nursery et une aimable vieille dame qui prend soin des chiens au point de les imiter parfois, comme le souligne Pongo, mais il n’y a pas de nanny à proprement parler. Aujourd’hui, nanny est un métier à part entière dans les parcs d’attractions de la firme et un service proposé à leur clientèle.

En adaptant Pamela Lyndon Travers, Disney ne s’approprie pas qu’un personnage, mais aussi une fonction sociale qu’il élève au rang de métalepse de son industrie : prendre soin des enfants en sollicitant leur goût de la magie plutôt que leur sens pratique, les éduquer en les émerveillant.

Par ricochet, il a également contribué à définir un idéal de la garde d’enfants. Sorti le 27 août 1964, Mary Poppins est le premier film sur le sujet. Il sera suivi l’année suivante de The Sound of Music de Robert Wise pour 20th Century Fox, d’après la comédie musicale de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, créée à Broadway en novembre 1959. Le public y retrouvera Julie Andrews dans le rôle principal, celui de Maria, la gouvernante qui fait découvrir les plaisirs du chant aux sept enfants du capitaine von Trapp.

Mary et Maria sont encore des nurses à l’ancienne, salariées d’une famille à plein temps. Elles appartiennent à l’histoire. Mais l’intérêt créatif qu’elles suscitent au tournant des années 60 correspond à une actualité : l’émergence du babysitting dans les banlieues résidentielles au cours des années 50. Ce n’est pas un hasard si le verbe to babysit n’a fait son entrée dans le lexique anglais qu’en 1947, une dizaine d’années après le substantif baby-sitter. Alors que ce petit job devient la principale activité professionnelle des adolescentes de l’après-guerre, Mary et Maria leur assignent une mission plus noble que de simplement rester assises à surveiller les enfants : les divertir, les enchanter, libérer leur imaginaire et révéler leurs talents.

Des parents défaillants

En 1992, un autre film de la Walt Disney Company, sorti sous le label Hollywood Pictures, change du tout au tout l’image de l’employée de maison en charge des enfants. The Hand That Rocks the Cradle de Curtis Hanson, en français La Main sur le berceau, est un thriller psychologique. La veuve d’un gynécologue qui s’est donné la mort après avoir été accusé d’attouchements sur ses patientes se fait recruter comme nounou par le couple à l’origine du scandale, afin de se venger en leur enlevant tout ce dont elle estime avoir été privée. L’intrigue développe le titre d’un poème de William Ross Wallace : La Main qui berce l’enfant est la main qui gouverne le monde. La sagesse toute matriarcale de l’aphorisme pourrait aussi bien s’appliquer à Mary Poppins, qui subvertit les valeurs patriarcales défendues par George Banks en le ralliant à sa fantaisie. Mais en l’espèce, la formule met l’accent sur la menace qu’une nourrice représente pour l’harmonie domestique. La fonction maternelle ne se délègue pas sans risque.

Les deux scénarios s’opposent. À une trentaine d’années de distance, ils signalent l’existence d’une tension dans la représentation disneyenne de la garde d’enfants. Elle peut tout aussi bien consolider la famille que la diviser. Dans tous les cas, elle est le symptôme d’une défaillance de la parentalité. C’est tout l’enjeu du retour de Mary Poppins dans le film de 2018. Cette fois, personne ne recrute la nanny : elle vole d’elle-même au secours de Jane et Michael Banks pour s’occuper des enfants de celui-ci, qui n’a pas su gérer ses finances après le décès de sa femme. Elle vient sauver le foyer endeuillé, dont la maison est très symboliquement menacée de confiscation. Elle comble à point nommé la place laissée vacante par la mère qui s’occupait des comptes, qui donc, dans les termes de William Ross Wallace, gouvernait ce petit monde.

Le biopic sur la création de Mary Poppins, réalisé par John Lee Hancock en 2013, confirme ce rôle dévolu à la nanny en nous apprenant que l’enjeu du roman, pour son auteur, était de réparer son enfance entre un père alcoolique et une mère suicidaire. L’idéalisation de la nourrice est le produit direct de la carence des parents.

Aventures en tous genres

Entre les deux pôles de la magie réparatrice et de la rivalité destructrice, le babysitting moderne ouvre grand le champ de l’aventure. Tel est le sujet explicite d’Adventures in Babysitting, le film réalisé par Chris Columbus en 1987 pour le label Touchstone, et de son remake de 2016 pour Disney Channel. Ce qui est au cœur de l’action, ici, c’est une totale perte de contrôle sur le cours des événements. On est chez Disney et tout finit bien, évidemment. Les enfants, exposés aux pires dangers, passent la plus belle de leurs soirées. Mais l’intrigue fait voler en éclat l’illusion de sécurité dont se bercent les parents. Au passage, leur responsabilité n’est pas exonérée : une mère s’enivre au grand dam de son mari, une autre revendique son droit de s’amuser pour une fois. Le happy end fait taire à bon compte tout sentiment de culpabilité.

L’aveuglement des adultes est un ressort comique qui ne suffit pas à les innocenter. Au total, la contradiction apparaît patente entre leur exigence de sécurité et les conséquences concrètes de leur revendication de liberté. Les fictions disneyennes de babysitting peuvent apparaître conservatrices : elles suggèrent que la vigilance parentale, particulièrement maternelle, est irremplaçable. Adventures in Babysitting fait mauvais ménage avec le féminisme, parce qu’il place les mères face à leurs contradictions.

La Walt Disney Company prend soin néanmoins de compenser en faisant découvrir les joies de la condition maternelle à trois coureurs de jupons dans Three Men and a Baby. Remake de Trois Hommes et un couffin de Coline Serreau, le film sort en novembre 1987, cinq mois après le premier Adventures in Babysitting. En 2005, The Pacifier surenchérit avec un Vin Diesel à contre-emploi dans un rôle de nounou. Agent des forces spéciales en mission de protection rapprochée, il calque ses méthodes éducatives sur ses habitudes de commandement. Par-delà l’humour queer de la situation, le scénario fait ressortir les défis auxquels les mères sont confrontées au quotidien.

Super-bébés pour super-babysitters

Le babysitting est d’autant plus une aventure aujourd’hui que les enfants ne sont plus ce qu’ils étaient. La jeune Kari et la styliste Edna Mode le découvrent l’une et l’autre à leurs dépens en gardant le petit dernier des enfants Parr, Jack-Jack, dans deux courts-métrages Pixar : Jack-Jack Attack en 2005 et Auntie Edna en 2018. Le premier se présente comme une scène coupée de The Incredibles, révélant les pouvoirs du bébé. Le second s’intercale de même dans Incredibles 2 et rebondit sur le calvaire que le père y vit, alors que l’inversion des rôles dans le couple le réduit à jouer à la maison un rôle similaire à celui de Vin Diesel. Les superpouvoirs de Jack-Jack lui assurent une totale domination sur ses nourrices comme sur son père. Il est l’allégorie drolatique d’une enfance toute-puissante, qui prend le pouvoir sur ses aînés et ne reconnaît plus aucune autorité.

Pour faire du babysitting dans ces conditions, mieux vaut être une superhéroïne comme Jo Frost, la Supernanny du reality show international, adapté par ABC de 2005 à 2011 d’après le modèle britannique, puis repris sur Lifetime en 2020. Marinette, alias Ladybug, en offre un autre exemple dans la série française Miraculous sur Disney+ et Disney Channel. Tikki, son petit compagnon magique, lui fait remarquer dans l’épisode pilote que s’occuper de Manon, la fille d’une amie de sa mère, la prépare efficacement à affronter les supervillains – c’est dire l’ampleur de la tâche.

Mary Poppins introduisait la magie dans la nursery de Jane et Michael. Avec les enfants du Millenium, le schéma tend à s’inverser, comme le confirme depuis 2019 sur Disney Channel la série Gabby Duran & the Unsittables, d’après les romans d’Elise Allen et Daryle Conners. Une collégienne, nouvellement arrivée dans sa ville, s’y retrouve à garder toute une série d’extraterrestres, plus fantaisistes les uns que les autres. La corvée du babysitting se voit réhabilitée à la lumière des préoccupations actuelles sur l’intégration et le respect des sensibilités.

L’échange avec les aliens constitue une leçon d’ouverture d’esprit et de bienveillance, mais aussi de responsabilité. Les showrunners distillent un humour woke sans tomber dans la complaisance. Les scénarios déconstruisent toute idée de normativité et défendent la cause de la diversité tout en illustrant les difficultés rencontrées par chacun pour vivre avec les autres. L’effort de tous est requis. C’est à ce prix que Gabby Duran peut s’épanouir dans sa mission, au lieu de végéter entre une mère un brin égocentrique et une petite sœur surdouée.

En 60 ans, depuis Mary Poppins, la magie du babysitting a changé de camp. Elle ne consiste plus seulement à émerveiller les enfants, mais aussi à s’émerveiller soi-même à leur contact dans l’espoir d’édifier une société plus inclusive, où chacun puisse être fier de soi et trouver sa place dans le monde. La Walt Disney Company travaille ainsi pour l’avenir, considérant que les baby-sitters d’aujourd’hui sont les mères de demain.

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