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Dérèglement climatique : une fracture générationnelle, vraiment ?

Les rapports des générations au climat ne sont pas nécessairement ceux que l’on imagine. Shutterstock

Le discours commun dépeint les jeunes comme très largement mobilisés pour le climat et l’écologie tandis que les plus âgés poursuivraient leurs actions polluantes et se désintéresseraient du dérèglement climatique. Vraiment ?

La dernière livraison de l’étude « Fractures françaises », déjà évoquée dans un précédent article, montre que 57 % de la population est consciente de la réalité du changement climatique dû à l’activité humaine. Cela reste assez modeste au regard du consensus scientifique et médiatique et de ce que le pays a traversé comme événements météorologiques ces dernières années. Ce taux tend même à diminuer, puisqu’en 2022, on comptait 61 % de convaincus.

En termes d’âge, les écarts sont significativement peu significatifs en la matière, contrairement au niveau d’éducation. La formulation de la question est toujours un élément à prendre en compte pour comparer les réponses données par les sondeurs. Aussi, dans une autre étude, à la question très fermée « Diriez-vous que le réchauffement climatique est un fait scientifique incontestable ? », 70 % des Français répondent par l’affirmative. Ce score n’est que de 59 % pour ceux qui ont niveau de formation inférieur au bac et 76 % pour ceux qui disposent d’un niveau au-delà du bac. 17 points d’écart.

De même si 10 % de la population ne sait pas répondre à cette question, le chiffre passe de 5 % dans les catégories supérieures à 15 % chez les CSP-. Surtout, parmi les 70 % ayant répondu par l’affirmative, 55 % déclarent que c’est « avant tout lié aux activités humaines ». Là encore, l’effet formation est prégnant : le taux de réponse positive passe de 46 % à 60 %, selon le niveau scolaire.

Sur de nombreux autres thèmes, l’effet âge ne semble pas toujours le facteur explicatif le plus percutant.

Qui doit agir ?

Au-delà de la prise de conscience, la question se pose de qui doit faire des efforts. Selon l’étude Fractures Françaises, 67 % des Français sont d’accord avec l’idée de « modifier en profondeur les modes de vie », les moins de 35 ans étant un peu plus convaincus avec 71 % d’accord contre 66 % chez les seniors. En revanche, les écarts sont plus forts s’il s’agit de « demander des sacrifices financiers ». Si 56 % des moins de 35 ans se disent en accord avec cette proposition, on chute à 41 % chez les plus de 60 ans.

À la question de savoir quel est le levier le plus efficace pour limiter le changement climatique, les « changements dans les modes de production des entreprises » sont mis en avant par 36 % de la population. Avec à nouveau des différences très notables en termes d’âge et de catégorie sociale : 40 % des moins de 35 ans sont de cet avis contre seulement 31 % des seniors. 38 % des cadres et 43 % des professions intermédiaires partagent cet avis, contre seulement 32 % des ouvriers et 29 % des retraités.

L’espoir mis dans la science reste très réduit avec 15 % de la population « votant » pour le progrès technique. Les jeunes un peu plus, à 18 % et les 35-59 ans, bien moins, à 13 %. Les seniors étant à 15 %. À noter qu’en termes de catégorie sociale, les plus confiants dans les capacités d’innovation scientifique sont les ouvriers (18 %).

Points de convergence

Si des différences entre générations existent parfois, elles restent néanmoins peu significatives sur un grand nombre de questions. Ainsi à propos de l’idée de changer ses modes de vie, pour 68 % de la population, « ce n’est pas aux Français de faire des efforts », mais aux entreprises ou à l’État. Notons que 70 % des moins de 35 ans défendent cette ligne contre 66 % des seniors. Quel que soit l’âge, c’est mieux si c’est le voisin, l’État ou les entreprises qui se bougent…

Pour autant, selon l’étude « État de la France » du Conseil économique social et environnemental (Cese), 80 % de la population déclarent que « minimiser son impact personnel est une réelle préoccupation » ; 33 % affirment même qu’elle est très importante. Les moins de 35 ans s’accordent à 83 % sur cette affirmation (32 % très important), les plus de 60 ans, sont à 82 % sur la même ligne (34 % très important).

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La vraie distinction réside entre hommes et femmes, ces dernières étant 84 % à être préoccupées contre 76 % chez les hommes. Un écart de 8 points.

Certes, les actions les plus prisées pour minimiser son impact personnel restent celles les moins coûteuses (90 % disent avoir adopté, ou pensent le faire, des gestes de l’économie circulaire ou encore 81 % ont modifié ou vont le faire leurs habitudes de consommation).

Concernant des actions plus onéreuses, l’âge prend largement le dessus par rapport aux différences de sexe ou de catégories sociales, mais dans des directions diverses. Ainsi, si 64 % de la population affirment avoir ou prévoir des travaux de rénovation thermique, les seniors sont 67 % dans ce cas et les moins de 35 ans, 52 %. Une différence de 15 points. Le fait d’être ou non propriétaire de son logement – qui est fortement corrélé à l’âge – joue cependant certainement dans la réponse.

À l’inverse, si 34 % des Français disent disposer ou souhaiter acquérir un véhicule électrique, les moins de 35 ans s’inscrivent à 41 % dans cette optique, contre seulement 26 % des seniors. Encore un écart de 15 points. Sans doute que, la situation géographique et l’éloignement des centres urbains – plus prononcés chez les seniors que chez les moins de 35 ans-influence-t-elle la réponse.

Des facteurs plus puissants que l’âge

Selon l’étude ViaVoice, si 63 % de la population s’estime bien informée à propos du dérèglement climatique, il y a une différence de 31 points entre les cadres (80 %) et les ouvriers qui sont seulement 49 % de cet avis. Le niveau de formation influe aussi très directement sur le sentiment d’être bien informé : 52 % pour les personnes disposant d’un diplôme inférieur au bac et 70 % pour ceux qui ont plus que le bac. Rappelons que les anciennes générations ont vécu à un moment où l’accès au bac restait fort limité.

Au-delà, si 80 % de la population se dit à titre personnel intéressés par les questions liées au dérèglement climatique, seulement 37 % se disent très intéressés, 47 % pour les plus de 65 ans. Notons aussi que 79 % de la population s’inquiète des conséquences du dérèglement climatique, c’est-à-dire plus que les gens qui estiment que ce phénomène est prouvé scientifiquement… L’écart en termes d’inquiétude ne relève pas de l’âge mais d’abord de la catégorie sociale : les cadres sont 89 % dans ce cas, contre 76 % des CSP-. Une différence de 13 points.

Par ailleurs, chez ceux qui reconnaissent l’existence du dérèglement climatique, 44 % estiment savoir ce qu’ils pourraient faire à leur niveau pour « lutter encore plus contre le dérèglement climatique ». Si 31 % des plus de 65 ans sont de cet avis, les plus jeunes ont beaucoup moins de doutes. Ils sont 52 % à être convaincus de ce qu’il faut faire. Un écart de 21 points.

Est-ce la traduction d’une plus grande compétence et implication des plus jeunes, ou le témoignage d’une plus grande modestie des plus âgés ? Différentes études ont montré que les différentes générations ne donnent pas nécessairement la même valeur écologique aux mêmes gestes.

Le plastique est par exemple bien plus mal vu par les jeunes que par les anciennes générations pour qui ce fut un gain d’usage et un symbole de modernité. Autre exemple, se déplacer en trottinette électrique apparaît pour les moins de 35 ans à la fois comme un acte fort en termes de symbolique écologique et une manière de se déplacer moderne et facile. Pour les plus âgés, elle est vue comme un danger pour le piéton et une prise de risque dans l’usage, pour un bénéfice environnemental discutable comparé à la marche à pied ou au transport en commun. L’imaginaire joue bien son rôle.

Savoir ou faire ? Selon ViaVoice, ceux qui reconnaissent la réalité du dérèglement climatique sont 65 %, seulement, à vouloir agir davantage, dont 16 % à répondre « oui tout à fait ». La variable formation apparaît discriminante puisque ce volontarisme passe de 56 % pour les « bac – » à 70 % pour les « bac + ».

L’âge joue assez sensiblement sur les imaginaires liés aux questions climatiques mais le niveau d’éducation, la situation sociale et le sexe sont, en fonction des thèmes, des critères souvent bien plus puissants. La réussite de la transition énergétique ne passera pas par un imaginaire d’opposition entre les générations, mais de la capacité à proposer, à la fois un récit commun, et des politiques de soutien adaptées aux conditions sociales et aux modes de vie des personnes.

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