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Dopage et sport : quoi de neuf, docteur ?

Le secret professionnel. Praderm Vareenil, Author provided

Habituellement, les articles conçus et publiés par les chercheurs sur The Conversation intègrent une logique descendante pour « diffuser leur savoir vers le plus grand nombre » tout en ayant « l’espoir d’alimenter un débat public de meilleure tenue ». Mon précédent article a suivi cette approche et les commentaires générés à la suite de sa diffusion m’ont incité à écrire ce nouveau texte.

Ainsi, la logique ascendante employée ici donne tout son sens à la visée conversationnelle de ce média en ligne. Dans ce papier, j’aborde la position critique de certains docteurs en médecine, située à la frontière ténue entre intégrité sportive et tricherie sportive. Les trois premières parties font apparaître que derrière les trois plus gros scandales – révélés – de dopage dans le sport agit sournoisement un médecin. La quatrième partie montre que d’autres médecins ont de plus en plus de difficultés à rester cachés dans l’ombre du dopage. La cinquième et dernière partie explique le mal-fondé ou bien-fondé (cela dépend de quel côté de la barrière on se situe) de leur rôle éminemment stratégique au cœur du dispositif.

Ma volonté est de déclencher une prise de conscience en réduisant autant que faire se peut l’état d’aveuglement largement répandu face à cette hypocrisie consentie par la force des choses.

Affaire Festina  Affaire docteur Éric Ryckaert

Tout le monde ou presque a déjà entendu parler au moins une fois au cours de son existence de l’affaire Festina. À première vue, tout semble clair comme de l’eau de roche. Cette équipe cycliste professionnelle a été reconnue coupable d’avoir instauré un système de dopage organisé et médicalisé en son sein pour gagner. Leur soigneur Willy Voet a endossé le costume du bouc émissaire et a été jeté en pâture mais il y a un hic.

Le groupe nominal « l’affaire Festina » est très commode à utiliser puisqu’aucune personne physique ne peut y être identifiée. Qu’à cela ne tienne, le vide a été comblé par Willy Voet même si c’est dénué de sens. En mobilisant l’individualisme méthodologique, on découvre après avoir analysé ce dossier sensible que le cerveau du dispositif était en réalité le docteur Éric Ryckaert à qui reportait directement Willy Voet.

Certes, ce médecin a été inquiété par la justice mais il est étonnant pour ne pas dire consternant que son nom soit si peu évoqué en raison de son énorme responsabilité. Si le docteur Érick Ryckaert n’avait pas été aux manettes, ce système de dopage élaboré aurait-il pu exister ? Assurément non. Par conséquent, il convient de renommer logiquement ce scandale : l’affaire docteur Éric Ryckaert.

Affaire Armstrong  Affaire docteur Michele Ferrari

Tout le monde ou presque a déjà entendu parler au moins une fois au cours de son existence de l’affaire Armstrong. En apparence, tout semble aussi limpide que l’histoire précédente. Le cycliste professionnel Lance Armstrong a été reconnu coupable d’avoir mis en place un système de dopage organisé et médicalisé au sein de son équipe pour vaincre.

Tous les projecteurs se sont focalisés sur lui mais il y a, là aussi, anguille sous roche. Lance Armstrong n’a effectivement pas œuvré seul et a bénéficié de nombreuses complicités dont tout particulièrement celle du docteur Michele Ferrari. Pour mesurer l’importance de ce médecin dans le dispositif, il suffit juste de caractériser la nature de leur relation.

En premier lieu, ils ont signé un contrat d’exclusivité d’un million d’euros pendant 10 ans. En second lieu, le cycliste texan intervenait en personne lorsque son médecin était inquiété. Si le docteur Michele Ferrari n’avait pas été aux commandes, ce système de dopage perfectionné aurait-il pu voir le jour ? Véritablement non. Par conséquent, il convient de requalifier naturellement ce scandale : l’affaire docteur Michele Ferrari.

Affaire Puerto  Affaire docteur Eufemiano Fuentes

Bien que l’affaire Puerto soit récente, elle reste néanmoins beaucoup moins connue. Pourtant, elle revêt un caractère bien plus grave que les deux précédentes. En 2006, lors d’une perquisition chez le docteur Fuentes, la police espagnole découvrit et saisit 211 poches de sang. Cette intervention fut diligentée car certains cyclistes avaient reconnu au préalable l’existence d’une organisation de dopage sanguin de grande ampleur.

Cette affaire fit beaucoup de bruit dans l’ensemble du milieu sportif parce que la clientèle de ce médecin ne provenait pas uniquement du cyclisme mais également d’autres sports bien plus lucratifs tels que le football et le tennis. En 2016, le protagoniste déclara même dans les médias : « Il va y avoir des surprises ». En 2017, après moult rebondissements, la justice espagnole interdit finalement l’identification des clients impliqués.

À ce propos, le docteur Fuentes argua « le droit à la confidentialité qui découle de la relation patient-médecin » pour masquer la nature de ses agissements.

La révélation des noms des sportifs dopés par ce médecin aurait été comparable à un tremblement de terre de magnitude supérieure à 9,0, c’est-à-dire dévastatrice pour la planète sport. Par conséquent, il convient inévitablement de rebaptiser ce scandale : l’affaire docteur Eufemiano Fuentes.

L’étau se resserre lentement autour d’autres médecins

Aujourd’hui encore, d’autres médecins font les gros titres de la presse en raison des fortes suspicions qui pèsent sur leurs épaules en matière de dopage. Pour illustrer mon propos, j’en ai retenu trois.

Premièrement, Bernard Sainz, surnommé docteur Mabuse, a été pris en flagrant délit de communiquer des protocoles de dopage à des cyclistes dans le cadre du documentaire télévisé Cash Investigation en 2016. Pour l’anecdote, il a déjà été condamné pour exercice illégal de la médecine puisqu’il n’est pas véritablement médecin. Toutefois, son surnom indique clairement le caractère sacralisé du titre de docteur en médecine auprès des sportifs dopés.

Deuxièmement, le docteur Richard Freeman, ancien médecin de l’équipe cycliste Sky au sein de laquelle œuvre toujours Christopher Froome, se trouve en position délicate parce qu’il n’a pas été capable de prouver certaines de ses prescriptions médicales. Confronté à cette impasse, il a invoqué le fait que quelqu’un lui aurait volé son ordinateur portable violemment et, comme par hasard, c’est le seul appareil où il conservait les dossiers des sportifs suivis par ses soins. Pour justifier ses actes, il vient juste de publier un ouvrage intitulé The Line : Where Medicine and Sport Collide, un titre pour le moins explicite.

Troisièmement, le docteur Eduard Bezuglov, médecin de l’équipe russe de football, a été contraint d’intervenir devant la presse lors de l’actuelle Coupe du monde de football car son équipe est soupçonnée de dopage. En effet, la vitalité de l’équipe russe par rapport aux autres équipes a surpris les observateurs aguerris, chiffres à l’appui. Ce médecin a rétorqué que ses joueurs étaient très performants pour les raisons suivantes : « un bon entraînement, une bonne motivation, et nous avons toute la Russie derrière nous ».

On ne change pas une équipe qui gagne

Comme tout phénomène complexe, le dopage dans le sport s’explique par la multicausalité et je livre ici une régularité dissimulée. Il ne s’agit nullement de jeter l’opprobre sur tous les médecins puisque la grande majorité d’entre eux ne franchissent pas la ligne rouge.

Néanmoins, toute profession comporte son lot de brebis galeuses et on ne peut que constater que certains médecins sont le cerveau avéré de pratiques dopantes. Leur statut leur confère une certaine impunité pour protéger, telle une forteresse, les tricheurs au nez et à la barbe des sportifs intègres et des acteurs de la lutte antidopage.

Plus concrètement, les médecins au travers de leurs prescriptions médicales, de leur connaissance fine du corps humain, de leur maîtrise des règles antidopage et de leur respectabilité constituent un extraordinaire allié de poids potentiel pour les sportifs qui choisissent de se doper. Les tricheurs l’ont compris depuis longtemps et mobilisent donc certains d’entre eux pour accéder aux podiums et à la gloire. D’un côté, les sportifs dopés se camouflent dans l’omerta et de l’autre côté, les médecins impliqués se réfugient sans aucun scrupule derrière une phrase du serment d’Hippocrate : « Admis·e dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. »

Ainsi, les deux parties collaborent ensemble pour vaincre à tout prix en partageant le même langage, celui du silence. Si tous les médecins ne jouent pas le jeu à l’avenir, la tâche de la lutte antidopage sera d’autant plus ardue et elle n’a vraiment pas besoin de cette complication supplémentaire.

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