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Du voyage du héros à celui du visiteur : médiations mythologiques dans les musées des Hauts-de-France

Jan Miel, «Enée et Didon à la chasse», vers 1650, 161 x 220, huile sur toile. Musée des Beaux-Arts, Cambrai.

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Au cours de ma dernière participation à la Fête de la Science, des visiteurs m’ont demandé plusieurs fois, à quoi pouvaient bien servir les sciences humaines et d’autant plus, la mienne jeune et encore sujette à débat : la muséologie.

Je me saisis donc de la thématique de cette année : les voyages. Ceux-ci sont légions dans les œuvres mythologiques des musées de la région que j’étudie : les Hauts-de-France. Que sont Enée, Ulysse ou Hercule sinon des voyageurs, des migrants ? Parcourant l’ensemble de l’Europe à la recherche de gloire ou d’un chez soi. Même les Flandres furent touchées par ces trajets mythologiques. Pour preuve, un écrivain flamand du XIVe siècle, Jacques de Guyse raconte dans ses Chroniques du Hainault la légende du guerrier Bavo. Celui-ci serait un neveu de Priam, et lorsque Troie fut prise après la fameuse guerre contre les Grecs, il migre avec son peuple vers l’ouest pour des terres plus hospitalières. Après une série d’aventures digne d’Ulysse ou d’Énée, lui et son peuple arrivent dans la région des Flandres et fonderont Belgis. Celle-ci deviendra Bagacum puis Bavay, grande ville romaine de la région.

Un voyage pluriel

Aujourd’hui, ce sont les musées des Hauts-de-France qui permettent un voyage dans ces péripéties mythologiques. Deuxième région la plus dense en musée après l’Ile-de-France, les céramiques, peintures et sculptures sur les héros grecs et latins se comptent par centaines. Or, ils souffrent d’un déficit d’image assez probant. Si le Louvre-Lens fait parfois la une des journaux et que certaines expositions du Palais des Beaux-Arts de Lille ou du Musée de la Piscine de Roubaix ont une certaine visibilité, rares sont ceux qui ont déjà visité, y compris à Lille où j’habite, les établissements muséaux de Bailleul, Boulogne-sur-Mer, Laon ou Beauvais.

Comment créer du lien et donner à voir cette richesse iconographique considérable pour le grand public ? Le voyage est donc pluriel : celui des héros dans les mythes, des œuvres elles-mêmes, et des visiteurs qui viennent, ou pas au musée. Comment les réunir ? Prenons deux exemples et propositions que nous avons analysés dans le cadre de nos recherches.

A Boulogne, Hercule à travers les vases grecs

Tout d’abord au Musée de Boulogne-sur-Mer qui possède l’une des plus grandes collections de vases grecs derrière le Louvre, centrée notamment sur les exploits de ce marcheur infatigable : Héraclès. La raison ? L’achat par la ville en 1861 de la collection de vases de Charles Louis Fleury Panckouke. Riche éditeur d’origine lilloise et installé à Paris, cet homme avait pour but de réaliser une Héracléide visuelle par l’achat de vases grecs. En 1835, il fit rédiger un petit catalogue qu’il nomma Héracléide : histoire d’Hercule par C.L.F. Panckoucke, d’après les vases grecs de sa collection et de diverses collections avec un texte explicatif par le même et l’indication de tous les monuments de l’art relatifs aux travaux d’Hercule. Malheureusement, l’homme n’a pu acquérir en vases que huit des douze travaux.

La collection de céramiques grecques du Musée de Boulogne-sur-Mer constitue un ensemble exceptionnel de plus de 470 pièces. Musée de Boulogne-sur-Mer

Les céramiques sont souvent les parents pauvres de l’intérêt des visiteurs dans les musées des beaux-arts. Il suffit de se balader dans les salles de vases grecs du Louvre pour s’en convaincre. D’où notre idée de la rédaction d’un livre jeunesse sur le sujet, Le vol du vase d’Héraclès, qui prend place entre les collections de vases grecs de Lille et de Boulogne-sur-Mer. Deux jeunes héros doivent arrêter des voleurs dont le rêve est justement de continuer la collection de vases sur les travaux d’Héraclès de Panckouke. Les deux enfants n’aimant pas, au départ, les musées, préférant le football et les jeux vidéo, vont découvrir ainsi un riche monde de légendes qu’ils ne soupçonnaient pas.

A Cambrai, une pépite de Jan Miel

Deuxième exemple, au Musée des Beaux-Arts de Cambrai qui possède un grand tableau de Jan Miel sur le sujet d’Enée et Didon à la chasse. Il s’agit de la seule peinture mythologique de cet artiste flamand du XVII siècle. L’épisode tiré de Virgile renvoie au long exil du prince troyen à travers la Mer Méditerranée avant de fonder Rome. Son destin a inspiré moult écrivains faisant des liens avec la situation actuelle, par exemple Frédéric Boyer avec cette tribune dans le journal La Croix :

Et si nous parlions autrement de ces hordes malheureuses fuyant la guerre et la misère ? La littérature la plus ancienne, celle qui nous a formés et instruits depuis des millénaires, nous a décrit l’expérience déchirante et inestimable de celui qui quitte sa patrie et connaît l’exil. C’est à lui que nous devons notre monde et notre identité, racontent les Anciens. Son récit est devenu le nôtre. Sa migration est notre fondation […]

Le tableau raconte, une de ses aventures, lorsqu’il tombe amoureux de la princesse carthaginoise Didon (elle aussi une exilée), histoire qui sera passionnée et funeste. Comment médiatiser ce tableau et le rendre accessible au grand public ?

Du musée à la vidéo Lego

Nous avons cherché ici la dématérialisation et l’exposition pédagogique hors cadre en nous lançant dans la réalisation d’une copie de l’œuvre en Lego et la réalisation d’une petite vidéo sur l’épisode en question. Les personnages du pastiche sont issus des icônes de la pop culture afin de créer un pont entre celle-ci, les personnages mythologiques et les beaux-arts.

Ainsi pour Enée, au centre, nous avons choisi le personnage d’Aragorn, roi lui aussi en exil dans l’univers du Seigneur des Anneaux de J.R.R Tolkien. La reine Didon a, elle, les traits de la princesse Leia de l’univers de George Lucas, Star Wars. Quant à Junon, c’est l’héroïne de comics américains Wonder-Woman qui la représente dans le tableau.

Une fois la reproduction du tableau réalisée, nous nous sommes associés à un jeune étudiant en cinéma d’animation, Tom Delforge, pour réaliser une petite vidéo en stop motion, image par image de la scène de chasse entre Enée et Didon à partir du tableau. Les deux déesses décident ainsi de créer un orage qui disperse l’ensemble de la foule du tableau. Restés seuls après s’être évanouis, Didon et Enée trouvent une grotte pour s’abriter et tombent amoureux, à la grande joie des deux divinités.

Ces deux exemples serviront de base à nos médiations les 7 et 8 décembre prochains au Village des Sciences à la Gare Saint-Sauveur de Lille, où le grand public pourra aussi bien jouer à retrouver un vase de la collection Panckoucke à partir des indices de notre livre que reconstituer le lego de la peinture de Cambrai. Ces outils nous semblent adéquats pour permettre un voyage ludique dans les collections des musées de la région à partir de ces héros itinérants.

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