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Mails, canaux de messageries, outils de visioconférence… N'en aurait-on pas un peu trop ? Shutterstock

E-mails, Zoom, WhatsApp, Slack… quand la multiplication des outils numériques mine la qualité de vie au travail

Teams, Zoom, Microsoft 365, Slack, Drive, Dropbox et tant d’autres systèmes de visioconférence, messageries professionnelles ou plates-formes de partage et stockage documentaire… Pour assurer la continuité des activités à distance au cours de la crise sanitaire puis stabiliser les modes de travail hybrides, les entreprises se sont dotées d’une multitude d’outils collaboratifs dont les usages se sont intensifiés, sans priorisation et parfois sans structuration des stratégies d’usage.

Ils se sont ajoutés aux dispositifs précédents, aux réunions et autres e-mails. Les canaux de communication s’accumulent et cela semble impacter le bien-être des salariés comme l’efficience organisationnelle. Plusieurs travaux récents rendent ainsi compte d’un mal-être croissant des salariés face à l’effet mille-feuille résultant d’une digitalisation chaotique.

Dans une étude commandée en 2022 par opentext, leader de la gestion de documents numériques et d’échanges de données, 40 % des salariés de 12 pays (dont la France) se disent stressés par la mauvaise gestion de l’information, notamment par le trop grand nombre d’applications à consulter chaque jour. Autre chiffre, une étude de la plate-forme Pega sur 14 pays affirmait début 2022 que les trois quarts des employés estiment que leur travail est devenu plus complexe, et 42 % en attribuent la responsabilité à la transformation digitale.

C’est également ce qui ressort du baromètre Télétravail et organisations hybrides conçu par Malakoff Humanis. Les personnes interrogées y déclarent que la première difficulté générée par le travail hybride concerne bien le renforcement de la digitalisation du travail, comme ce manager qui œuvre pourtant dans un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des outils numériques :

« Avant, j’avais les mails, c’était simple, j’allais éventuellement de temps en temps sur Skype pour demander si la personne était libre pour un appel. Tandis que maintenant il y a des discussions sur SMS, sur WhatsApp, sur Teams, par mail, éventuellement des contenus sur le réseau social d’entreprise… C’est très difficile de gérer le flux d’informations, on peut louper des informations parce qu’on ne regarde pas le bon canal. Donc on perd tous du temps. »

Infobésité, chaos informationnel, hyperconnexion, fragmentation de l’activité… Une étude qualitative de la chaire FIT2 de Mines Paris PSL menée auprès d’une vingtaine de collaborateurs de quatre organisations a ainsi tenté de mieux comprendre les effets réels de ces outils afin d’envisager les régulations nécessaires à une meilleure organisation porteuse de qualité de vie au travail et de performance.

À chaque outil son usage

Face à cet amoncellement difficile à gérer, il paraît tout d’abord nécessaire de rationaliser le portefeuille d’outils de communication que les entreprises ont à leur disposition. Il s’agit d’identifier les cas d’usage les plus pertinents pour chaque outil, en fonction du type de message à délivrer et du contexte.

Fourni par l'auteur

Nombre d’entreprises ont conscience de ce besoin mais peinent souvent à faire aboutir leur réflexion. À titre d’exemple, nous montrons ici la pyramide des usages des différents outils de communication de l’entreprise DOIST qui compte 90 salariés. En raison de son fonctionnement en full-remote c’est-à-dire avec des salariés travaillant où ils le veulent et quand ils le veulent, celle-ci a ressenti le besoin de formaliser précisément les canaux à utiliser selon qu’il s’agisse de faire une annonce, de partager des idées, de commenter le travail d’autres personnes, d’organiser des échanges bilatéraux, des réunions d’équipe ou des groupes de travail, d’organiser un événement de team building, ou encore d’agir en cas d’urgence.

Comme souvent en matière de management et d’organisation du travail, il n’existe pas de recette unique. C’est à chaque entreprise, voire à chaque équipe, de façonner sa propre pyramide des outils/usages au plus près de ses besoins et contraintes opérationnels. D’autant que pareille structuration des outils ne suffit pas et qu’elle doit nécessairement s’accompagner d’une régulation de leurs usages, qui ne peut se concevoir qu’à plusieurs échelles.

Agir individuellement reste limité face aux outils collaboratifs

D’un point de vue individuel, il reste toujours possible de s’assurer des plages de concentration et de respiration. Ce peut être en indiquant « absent » ou « occupé » dans l’agenda, en désactivant ses notifications, en mettant son téléphone en mode silencieux, en filtrant les appels ou mails… Ces mesures d’hygiène mentale seront d’autant plus justifiées que les autres niveaux de régulation seront défaillants. Elles atteignent cependant vite leurs limites du fait de la nature « collaborative » de ces outils.

Les marges de manœuvre dont bénéficie l’individu en matière d’usages numériques collaboratifs restent en effet fortement cadrées par les pratiques de son équipe, et particulièrement par les attentes de sa hiérarchie. Un manager nous précise :

« Ce qui compte, ce n’est pas vous ou votre décision, c’est le collectif avec lequel vous travaillez. »

Le dirigeant possède ainsi un devoir d’exemplarité, qui peut cependant être difficile à tenir lorsque tous ses homologues ne jouent pas le jeu : un effet de concurrence insidieux s’installe alors entre, d’une part, ceux qui cherchent à faire respecter le droit à la déconnexion pour leur équipe comme pour eux-mêmes et, d’autre part, ceux qui restent constamment connectés, incitant leurs collaborateurs à l’être aussi.

La régulation doit donc aussi s’envisager de façon plus globale sans pour autant être construite exclusivement par une hiérarchie éloignée des réalités opérationnelles des acteurs de terrain.

Trois pistes : partager, expliciter, faire évoluer

Certes, des règles institutionnelles restent nécessaires pour traiter les enjeux de cybersécurité, d’astreintes ou de développement durable. Le dialogue professionnel permettra surtout de réfléchir à la manière d’adapter l’usage des outils aux besoins de l’activité réelle, qui peuvent grandement varier d’un corps de métier à l’autre. Ophélie Morand et Vincent Grosjean, chercheurs à l’Institut national de recherche en santé et sécurité au travail (INRS), expliquent ainsi :

« Pour un commercial, le numérique est le vecteur par lequel il alimente normalement son agenda de travail ; pour un cadre technique, c’est le perturbateur principal de ce même agenda de travail. »

Il s’agira également de partager les meilleures pratiques développées par certaines équipes et pouvant être utiles à d’autres, sans pour autant les imposer. Une homogénéisation progressive peut ainsi émerger, dictée par l’impératif même de communication qui ne s’arrête pas à la frontière d’une ou plusieurs divisions. D’une manière générale, les règles institutionnelles auront intérêt à ouvrir le champ des possibles plutôt qu’à contraindre les usages.


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Une fois cette régulation collective stabilisée, elle doit enfin être explicitée et documentée de façon à pouvoir servir de référence à tous. Or, trop souvent, ces régulations restent implicites et sont juste supposées être connues. Cette documentation doit cependant rester évolutive pour intégrer les nouvelles contraintes opérationnelles ou outils numériques qui pourraient émerger tout en permettant une amélioration continue des usages et pratiques.

En suivant ces pistes, le grand bazar digital pourrait ainsi se transformer en opportunité pour les entreprises. Les outils collaboratifs permettent en effet de faire un pas de côté salutaire en partant non plus seulement de l’activité pour penser la technologie, comme le préconisent les ergonomes, mais également des technologies pour « repenser » et « repanser » le travail. Plutôt que de se reposer passivement sur les outils, il s’agit au contraire de les mettre au cœur de la discussion sur le travail réel. Que ce soit « en creux » ou par « effet de loupe », les outils numériques sont des révélateurs permettant d’objectiver l’organisation du travail pour la faire évoluer.

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