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Emmanuel Macron, naissance et mort d’un populisme couronné

Le président français Emmanuel Macron tient une conférence de presse à l'issue d'un sommet des dirigeants de l'UE pour discuter des retombées de l'invasion de la Russie en Ukraine, au château de Versailles, près de Paris, le 11 mars 2022.
Le candidat Emmanuel Macron, en 2017, avait derrière lui une longue tradition de populisme couronné. Ludovic Marin/AFP

Il y a cinq ans, un tremblement de terre ébranlait le système de partis français : Emmanuel Macron, quasi inconnu deux ou trois ans plus tôt, effectuait un parcours de météorite, écrasant la gauche et affaiblissant la droite, jusqu’à ravir la victoire à l’élection présidentielle, puis réunissait une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce qui était encore impensable quelques mois plus tôt venait de se produire.

Il est important de souligner ici que le candidat Macron devait une bonne partie de sa victoire à ce qu’on appellera ici le « populisme couronné ».

Le populisme couronné est une posture politique qui consiste à désavouer les élites politiques traditionnelles, en dénonçant le système de partis existant, et, en tant que chef d’État (ou simple candidat, dans un premier temps), en se réclamant directement du peuple contre les élites. Ces dernières peuvent être de diverses natures : dans tous les cas, le populisme couronné dénonce les parlementaires, droite et gauche confondue, mais il peut aussi dénoncer tout ou partie des médias, éventuellement les syndicats, tout ce que l’on appelle les corps intermédiaires, et parfois, plus rarement, une partie des élites sociales.


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Ainsi, le candidat Macron dénonçait la classe politique dans son ensemble, droite et gauche confondues, toutes deux renvoyées à ce qu’il appelait « l’ancien monde ».

Il se réclamait du peuple contre les élites, et en voulait pour preuve le fait que son programme était directement issu du terrain, recueilli par un mouvement politique alors atypique, En marche, issu de la société civile. Le populisme couronné est un phénomène d’une puissance exceptionnelle, un mouvement qui allie à la fois la force dévastatrice de l’opposition et la majesté du pouvoir d’État.

Histoire du populisme couronné

Mais le phénomène va bien au-delà, à la fois dans le temps et dans l’espace, et c’est ce que l’on voudrait souligner brièvement à présent. Les deux premiers populistes couronnés étaient tous deux des monarques réduits à un rôle symbolique par les conventions du régime parlementaire, ou de son équivalent : ce fut d’abord le cas de Gustave III de Suède, qui n’hésita pas à provoquer un coup d’État, en 1772, afin de se libérer du carcan du Parlement. Le deuxième fut le roi George III d’Angleterre. En 1784, il provoqua une grave crise constitutionnelle, afin de renverser une coalition contre nature entre les partis de gouvernement, qu’il mit à bas grâce à une dissolution triomphale.

On pourrait également évoquer Andrew Jackson, fondateur du parti démocrate aux États-Unis, qui entreprit de partir en guerre contre l’oligarchie des élites républicaines, restées longtemps seules au pouvoir. Il entendait aussi lutter contre ce qu’il appelait « l’aristocratie de l’argent », c’est-à-dire la banque fédérale, et finit par remporter la partie.

Dans le monde contemporain, l’autre exemple majeur est celui de Donald Trump ; on pourrait aussi évoquer le cas de Jair Bolsonaro, au Brésil.

Et puis, il y a aussi et surtout la France, qui a une longue tradition de populisme couronné.

Longue tradition française

La première aspiration à un populisme couronné à la française date, paradoxalement, de 1788. Une bonne partie du Tiers-État, s’estimant trahie par les privilégiés, se retourna vers le roi, dans l’espoir qu’il s’allierait à lui contre les élites. Le partisan le plus notable d’une telle alliance fut Mirabeau.

Mais ce fut peine perdue, car Louis XVI refusa toujours d’endosser le rôle de leader du peuple face aux ordres privilégiés. Cette espérance déçue ne s’éteignit pas pour autant, et, en réalité, ce que les Bourbons s’étaient refusés à faire, un autre, à peu près sorti de nulle part, allait le réaliser avec talent : Napoléon Bonaparte.

Lui aussi se réclamait du peuple contre les élites, celles du Parlement, cette fois, qu’il n’hésita pas à éliminer par un coup d’État. Son pouvoir fut conforté par voie de plébiscite pour la première fois dans l’histoire française. Mais le soutien du peuple, dans ce régime militaire, passait avant tout par les paysans-soldats de la grande armée. Les paysans français furent toujours les plus ardents partisans de l’Empire, y compris après sa chute. Et la nostalgie en était telle que, en 1848, le peuple choisit d’élire, à la tête de la jeune république, à nouveau un Bonaparte, Louis-Napoléon, neveu du précédent, et ardent défenseur du suffrage universel.

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C’est lui qui inventa le référendum-plébiscite, mettant en jeu sa propre responsabilité. Il le fit pour laver la tache du coup d’État du 2 décembre 1851 par lequel, à son tour, il avait éliminé les parlementaires. Quelques semaines à peine après le coup de force, les Français lui apportaient massivement leur soutien. Commençait alors la deuxième expérience de populisme couronné à la française, sans doute la plus élaborée sur le plan politique et institutionnel.

Le suivant fut le général de Gaulle, sur lequel on n’insistera pas beaucoup, car son histoire est assez largement connue : élu en 1958 pour être un simple chef d’État parlementaire, il n’hésita pas à renverser la table en 1962, en soumettant au référendum, de manière illégale, l’élection du président au suffrage universel. L’Assemblée ayant commis la lourde erreur de ne riposter que par une simple motion de censure contre le gouvernement, elle donna une excellente raison au Président pour provoquer une dissolution, qu’il gagna triomphalement, peu après le succès du référendum. L’alliance du peuple et du chef d’État contre les partis était une nouvelle fois solidement établie, et ce fut ainsi que commença la toute-puissance du président que nous avons longtemps connue depuis.

Normalisation et affaiblissement

Le candidat Emmanuel Macron, en 2017, avait donc derrière lui une longue tradition de populisme couronné. Mais, si ce populisme lui permit bel et bien d’arracher la victoire, la posture ne fut pas durable. Presque toujours, les expériences de populisme couronné se terminent mal : le populisme couronné, irrésistible dans la conquête du pouvoir, a beaucoup plus de mal à l’exercer, car il est contraint d’installer à son tour des élites parlementaires et politiques très comparables aux anciennes, et risque donc de voir s’effondrer sa légitimité : ce qui n’est qu’un phénomène classique d’usure du pouvoir, pour d’autres formations politiques, se transforme en véritable menace existentielle pour les populistes couronnés. Aussi une des issues possibles, pour le populisme couronné, est celle de la normalisation, au risque de l’affaiblissement. C’est le choix que le président a fait lors de sa réélection, faisant désormais disparaître toute dimension populiste.

Mais à force de se normaliser, le président s’est aussi spectaculairement affaibli : le parti présidentiel et ses alliés ont – très nettement perdu la majorité absolue à l’assemblée. À l’époque du gouvernement de Michel Rocard, en 1988, il ne manquait qu’une quinzaine de voix au Premier ministre. Mais aujourd’hui, c’est à peu près 45 voix qui manquent au gouvernement au sein de l’Assemblée nationale. Ces voix, il pourrait les trouver du côté de ce qui reste de la droite, Les Républicains (64 députés). Ce serait même une solution toute naturelle dans une démocratie parlementaire classique. Seulement voilà : le président n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de ce qu’il appelait les partis de l’« ancine monde », et ce qui reste de l’ancien monde, à droite, ne veut manifestement pas de lui, en tout cas pour le moment.

En 2017, lors de son arrivée triomphale au pouvoir, le nouveau président avait promis d’en finir définitivement avec le clivage droite-gauche, désormais relégué au passé. Mais cinq ans plus tard, c’est un échec complet : le parti central a désormais face à lui à la fois un extrême de droite (le Rassemblement national) et une coalition de gauche (la Nupes), tous deux fortement renforcés. Un centre, entendant résister contre les extrêmes : cette configuration a existé jadis, sous la IVe République : c’était la troisième force, qui luttait à la fois contre les communistes et contre les gaullistes. Mais l’expérience s’est mal terminée…

Aussi on peut dire que, au lieu du « nouveau monde » promis en 2017, nous avons désormais une situation parlementaire assez comparable avec celle… de la IVe République. Au-delà, et de façon particulièrement ironique, c’est le président Macron lui-même qui a finalement, cinq ans après, brisé le cœur de ce qu’on pourrait appeler la Ve République quinquennale : la concordance des majorités présidentielle et parlementaire, clef de voûte de la toute-puissance du président.


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