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Emploi public en outre-mer : une préférence pour les métropolitains ?

Des employés du groupe Ariane sur le cargo 'Canopee' au port de Pariacabo, à Kourou en Guyane, le 16 janvier 2023.
Des employés du groupe Ariane sur le cargo ‘Canopee’ au port de Pariacabo, à Kourou en Guyane, le 16 janvier 2023. Une enquête révèle que les cadres dans l'emploi public en Outre-mer sont principalement issus de métropole. Jody Amiet / AFP

Les débats récents autour des propos jugés méprisants de Gérald Darmanin remettent sur le devant la scène la question de la considération que porte l’État aux outre-mer. En tant qu’employeur, il est fréquemment accusé de préférer recruter des « métros » aux postes à responsabilité. Quels sont réellement les différents profils d’emploi dans le secteur public outre-mer ?

L’appellation DROM-COM désigne un ensemble de régions françaises qui, malgré la diversité de leurs contextes géographiques et sociaux, partagent des traits liés à leur histoire coloniale et à un traitement commun par des politiques publiques ciblées.

C’est en particulier le cas de la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion, départements d’outre-mer depuis 1946. Les conflits sociaux récurrents y mettent en lumière l’ampleur des inégalités qui les affectent : la question des écarts locaux de niveaux de vie y est indissociable de celle du maintien de différences structurelles entre ces départements et l’Hexagone.


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Un des épisodes les plus marquants de la période récente est le mouvement de grèves générales débuté en Guyane en novembre 2008, avant de gagner les Antilles, puis La Réunion, pour ne s’éteindre qu’en mars 2009. On peut aussi citer l’ampleur inédite qu’a prise le mouvement des « gilets jaunes » à La Réunion en 2019.

Le secteur public outre-mer, une source d’emplois et de mobilités

L’accès à l’emploi est au cœur de ces tensions : en 2018, alors que le taux de chômage s’élevait à 9 % dans l’Hexagone, il était de 23 % en Guadeloupe, 18 % en Martinique, 19 % en Guyane et 24 % à La Réunion. Ce contexte accroît le rôle du secteur public, qui offre des opportunités d’emploi aux personnes les plus touchées par le chômage, notamment à travers des dispositifs comme les contrats aidés.

Le secteur public est aussi associé à la venue de fonctionnaires depuis l’Hexagone, souvent recrutés pour occuper des postes à responsabilités. Cette situation peut donner l’impression aux populations natives des outre-mer d’être cantonnées à des postes subalternes et précaires, alors que l’État continuerait de leur préférer des « métros » (des métropolitains) aux postes d’encadrement.

Elle est accentuée par l’existence d’un ensemble de primes dites de « vie chère », le plus souvent réservées aux fonctionnaires statutaires, qui augmentent les écarts de revenus entre ces derniers et le reste de la population active.

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Le recrutement de personnes originaires de l’Hexagone aux postes d’encadrement du secteur public outre-mer est fréquemment justifié par leurs qualifications : les personnes nées dans les DOM ayant des niveaux de diplômes en moyenne inférieurs, elles ne seraient pas en mesure de répondre aux besoins en main-d’œuvre qualifiée du secteur public.

Qu’en est-il en réalité ? Les enquêtes Emploi réalisées par l’Insee permettent de répondre en partie à ces questions. En regroupant les données recueillies entre 2014 et 2019, elles permettent en particulier d’isoler des échantillons suffisants de personnes nées dans l’Hexagone (de 701 en Martinique jusqu’à 1 585 à La Réunion).

Des opportunités d’emploi importantes, mais souvent précaires

Entre 2014 et 2019, 23 % des emplois occupés dans l’Hexagone l’étaient dans le secteur public. Dans les quatre DOM considérés, ce taux s’élève à 36 %. En revanche, si l’on se ramène à la population en âge de travailler (les 15 à 64 ans), l’écart est moindre : 13 % occupent un emploi dans le secteur public dans l’Hexagone contre 15 % dans les DOM.

Si le poids de ce secteur parmi les emplois occupés y est si grand, c’est donc qu’il y a peu d’emplois occupés dans le secteur privé. Face à un déficit d’emploi dans le secteur privé, le secteur public est mis, de facto, sur le devant de la scène. De plus, si les emplois offerts par le secteur public permettent de s’insérer sur le marché du travail à des personnes qui rencontrent des difficultés à le faire (c’est en particulier le cas des jeunes et des moins qualifiées), ces emplois ne sont pas forcément durables.

Alors que 20 % des personnes en emploi dans le secteur public dans l’Hexagone sont contractuelles, ces statuts concernent 44 % des emplois publics à La Réunion, 31 % en Guyane, 24 % en Martinique, mais seulement 18 % en Guadeloupe. Ainsi, selon le DOM, les politiques de recrutement public destinées à pallier les tensions sur le marché du travail s’accompagnent ou non d’une insertion durable dans l’emploi.

Le recrutement des métros : indice d’une persistance du colonial

Le secteur public outre-mer recrute aussi dans l’Hexagone, promouvant les mobilités vers les DOM. Entre 2014 et 2019, les personnes nées dans l’Hexagone représentaient 14 % des personnes en emploi dans le secteur public en Martinique, 17 % en Guadeloupe, 26 % en Guyane et 20 % à La Réunion. Et les personnes recrutées depuis l’Hexagone semblent l’être effectivement pour leurs qualifications : à La Réunion, 12 % des personnes nées dans les DOM ont un niveau supérieur au bac contre 44 % de celles nées dans l’Hexagone. Ces parts sont de 18 % contre 44 % en Martinique, de 15 % contre 41 % en Guadeloupe et de 13 % contre 51 % en Guyane.

Il n’est alors pas surprenant que ces métros du secteur public occupent des postes d’encadrement, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous.

Répartition des types d’emplois occupés par les personnes travaillant dans le secteur public selon le DOM et le lieu de naissance. Enquête emploi Insee, M. Haddad/Ined, Author provided

Pourtant, leur seul niveau de diplôme ne suffit à expliquer l’ampleur des écarts avec les personnes nées dans les DOM. Si l’on se réduit aux personnes dotées d’un diplôme de niveau bac+3 ou bac+4 en emploi dans le secteur public, les métros occupent jusqu’à deux fois plus souvent postes d’encadrement que les personnes nées dans les DOM et les écarts sont significatifs, comme le détaille ce graphique :

Répartition des types d’emplois occupés par les personnes travaillant dans le secteur public et ayant un diplôme de niveau bac+3 ou bac+4 selon le DOM et le lieu de naissance. Enquête emploi Insee, M. Haddad/Ined, Author provided

Ce n’est que parmi les personnes dotées d’un diplôme de niveau bac+5 ou supérieur que les différences d’accès aux postes d’encadrement cessent d’être significatives :

Répartition des types d’emplois occupés par les personnes travaillant dans le secteur public et ayant un diplôme supérieur ou égal à bac+5 selon le DOM et le lieu de naissance. Enquête Insee, M. Haddad/Ined, Author provided

Ainsi, les populations natives des DOM font face à une double inégalité, qui suggère que la hiérarchie coloniale valorisant l’Hexagone au détriment des outre-mer et de leurs populations persiste. D’une part, des écarts d’infrastructures et en particulier d’accès à l’éducation contribuent à maintenir les populations des DOM à des niveaux de diplôme inférieurs à ceux observés dans l’Hexagone, ce qui limite leur accès aux emplois publics les plus stables ou les plus hauts dans la hiérarchie. D’autre part, à certains niveaux de diplôme comme la licence, les personnes nées dans l’Hexagone occupent plus souvent des postes d’encadrement que celles nées dans les DOM, soulevant la question d’une préférence métropolitaine.

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