Menu Close

Entrepreneuriat : les « success stories » ne sont pas qu’une question d’argent

Photo de Frédéric Mazzella, l'un des créateurs de BlaBlaCar
Frédéric Mazzella (photo), l’un des créateurs de BlaBlaCar, « accorde une grande importance à l’éducation ». Friends of Europe/Flickr, CC BY-SA

L’entrepreneuriat est au cœur des préoccupations actuelles, comme vecteur d’emploi, d’inclusion et de transition, en France et dans le monde. Les pouvoirs publics encouragent fortement la dynamique entrepreneuriale, avec un certain succès : la croissance du nombre de créations d’entreprises en France en 2021 est de 17 %.

Néanmoins, le monde de l’entrepreneuriat est polymorphe, avec une palette de réalité allant des animaux fantastiques convoités – licornes (pour les start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars US) et gazelles (jeunes entreprises en croissance rapide) –, jusqu’aux entrepreneurs par nécessité, sachant que 64 % des organisations créées sont des micro-entreprises : il s'agit de micro-entrepreneurs, c'est-à-dire d'auto-entrepreneur ou entrepreneur individuel.

De nombreux mythes entourent également l’entrepreneuriat : en particulier, monde académique et économique se rejoignent, sans succès pour l’heure, afin de tenter d’identifier des traits propres aux entrepreneurs qui réussissent.


Read more: Le mirage de l’entrepreneuriat pour tous


L’objectif de cet article, présenté au colloque en ligne Congrès international francophone en entrepreneuriat et PME (CIFEPME) 2020, est d’offrir un décentrage, en proposant une approche par les ressources : nous décrivons le capital entrepreneurial comme somme de déterminants, humain, culturel, social, économique, financier, symbolique, physique et psychologique, qui alimentent le processus entrepreneurial et représentent des éléments fondamentaux d’appréciation d’un projet de création d’entreprise.

« L’argent n’est pas un problème »

Cette démarche permet d’apporter un éclairage complémentaire au seul capital financier, pour identifier d’autres formes de ressources mobilisables dans le processus entrepreneurial. Par ailleurs, cette vision dynamique permet de souligner que chaque forme de capital peut être évaluée, accumulée, développée, dépréciée ou convertie, en fonction du contexte social.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Quand on parle capital, la première définition qui vient à l’esprit est celle du capital économique et financier, aisément mesurable et représentant l’agrégation de multiples sortes de richesses, comme les outils de production, les valeurs mobilières, les biens immobiliers et tout autre patrimoine. La littérature lui reconnaît un rôle prépondérant dans le succès et la pérennité d’une entreprise : la probabilité de succès des entreprises nouvellement créées et leur performance initiale dépendent de leurs ressources financières initiales, et ce quels que soient l’environnement et l’organisation.

Les différents capitaux constituant le capital entrepreneurial. Fourni par l'auteur

On notera qu’il est plus facile de mobiliser des fonds supplémentaires quand l’apport initial est élevé, le capital engendrant alors un cercle vertueux, comme l’indique un cadre supérieur quinqua repreneur d’entreprises :

« L’argent n’est pas un problème. Plus c’est gros, plus c’est facile d’emprunter. Un apport de 50 000 euros en gage de crédibilité pour une boîte valorisée à 10 millions d’euros, ça ne pose pas de problème. »

Par ailleurs, le capital social ou humain peut être considéré comme convertible en capital financier, les réseaux pouvant être mobilisés pour lever des fonds ; le diplôme ou l’emploi du créateur peut aussi rassurer les banques, plus enclines à prêter. Une dynamique s’enclenche alors, positive dans le cas d’un individu déjà doté d’autres formes de capitaux, négative dans le cas contraire.

« N’abandonne jamais »

Au capital physique, décrit comme la santé, premier actif immatériel du créateur d’entreprise, s’ajoutent le capital psychologie, l’auto-efficacité, l’espoir, l’optimisme ou encore la résilience comme ressources internes de l’entrepreneur : le capital psychologique est lié à de meilleures performances, à une réduction du stress perçu, à des attitudes positives, à une meilleure satisfaction au travail et un plus fort engagement.

Ces compétences sont particulièrement nécessaires à l’entrepreneur par nécessité, comme en atteste le témoignage d’Héléna :

« J’ai une espèce de tigre à l’intérieur de moi ; est-ce que je serais aussi combative si je n’avais pas eu ce destin ? J’ai une vraie détermination, une grande force de caractère : je veux quitter le monde de l’entreprise où les femmes sont tout le temps prises en otage et je décide de monter mon propre business… on m’a mise au chômage je ne sais pas combien de fois, et à chaque fois, j’essayais de rebondir, de me dire “il y a toujours une solution"… ma devise : quoiqu’il arrive, n’abandonne jamais. »

Le capital humain et culturel peut lui s’acquérir par l’éducation, la formation et l’expérience professionnelle : c’est l’ensemble des aptitudes, physiques comme intellectuelles – connaissances et savoirs, compétences, aptitudes-. Les recherches montrent que des études supérieures et une expérience en management sont par exemple des éléments clefs de réussite d’un projet de création d’entreprise, tout comme le fait d’avoir une expérience entrepreneuriale préalable, permettant de construire sa confiance en soi (auto-efficacité), de repérer de nouvelles opportunités, de maîtriser les réseaux nécessaires.

Le parcours de Frédéric Mazzella est sans faute à ce titre. Le futur créateur de BlaBlaCar, bon élève, intègre Normale Sup, puis part à Stanford étudier l’informatique et revient avec une certitude, il lancera sa propre entreprise :

« Je n’avais aucune connaissance en business. De façon générale, j’accorde une grande importance à l’éducation. Je ne me voyais pas me lancer dans quelque chose, a fortiori l’entrepreneuriat, sans y avoir été préalablement formé. »

La théorie du capital social fait référence, elle, à la capacité des acteurs de retirer des bénéfices des structures sociales, réseaux professionnels, structures familiales et diverses autres sphères auxquelles ils appartiennent. Les recherches soulignent l’importance d’intégrer des parties prenantes au projet entrepreneurial et d’exploiter ses réseaux, à commencer par les structures d’accompagnement : Chambre de Commerce, Rotary club, Business Angels, Pepite, etc.

Méta-capital

Les deux créatrices de MÊME, ligne de cosmétiques pour femmes atteintes de cancer, en témoignent :

« Nous avons intégré l’incubateur de HEC, puis celui de Sciences Po. Chacun nous a apporté des compétences particulières, des contacts utiles et, à Sciences Po, nous avons trouvé des bureaux. Discuter avec les autres fondateurs de start-up et les responsables d’incubateurs nous permettait de prendre du recul et d’organiser nos actions ».

Elles rejoignent également Cancer Campus, l’incubateur de l’Institut Gustave-Roussy, premier centre de cancérologie européen, qui leur apporte le soutien scientifique dont elles ont besoin. L’impact incitatif d’avoir un parent ou un ami proche entrepreneur est également très fort : ce dernier peut compenser des restrictions en capital humain (compétences managériales) ou financier et offrir un soutien émotionnel précieux (capital psychologique).

Enfin, le capital symbolique est une sorte de méta-capital qui naît d’un autre capital (économique, social, culturel) quand ce dernier reçoit une reconnaissance publique. Il se manifeste sous forme matérielle : nom de famille, cursus, lieu de villégiature, tenue vestimentaire, pratiques sportive et culturelle, langage, et s’appuie sur la perception dans un groupe des autres formes de capitaux possédées : autorité, savoir, prestige, réputation, diplômes, titres honorifiques, etc.

Un fort capital symbolique permet à l’entrepreneur, même sans expertise ou ressource financière, de bénéficier de la confiance, sur la base de son nom, sa réputation, son visage. Il s’agit donc d’une sorte d’alchimie des différentes formes matérielles de capital, financier, humain, social, qui les transcende en un puissant capital immatériel et relationnel, dont la conversion se fait dans les deux sens.

De ce capital naissent les « success stories » de « serial entrepreneurs » comme Xavier Niel, patron de Free ou Benjamin Saada, fondateur d’Expliseat et Fairmat, visionnaire, bardé de diplômes, 15 brevets à son actif et coqueluche de la « deep tech » (entreprises développant des techniques innovantes), qui peut lever la coquette somme de 8,6 millions d’euros en phase d’amorçage : des « entrepreneurs augmentés » en quelque sorte.

L’entrepreneuriat n’est donc pas qu’une question de motivation ou d’argent : une évaluation, dans toute sa diversité, du capital entrepreneurial de l’entrepreneur est un élément fondamental d’appréciation de sa capacité à mener à bien son projet, qui permet d’apporter des outils solides aux structures d’accompagnement en particulier, véritable baromètre dynamique et exhaustif. Ce capital s’entretient, s’échange, se développe et nécessite des arbitrages : investir du capital financier pour le convertir en capital humain, par exemple, est complexe, nécessite du temps mais peut se révéler profitable pour un entrepreneur.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 191,100 academics and researchers from 5,059 institutions.

Register now