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Est-ce encore utile de surveiller les salariés ?

Aux États-Unis, les intentions d’achat de logiciels de surveillance des salariés à distance ont bondi en début d’année. Valéry Hache / AFP

La question du contrôle au travail est soulevée par l’utilisation de plus en plus massive d’outils de surveillance et de technologies de contrôle en situation de télétravail. L’intention d’achat de ces outils a ainsi été multipliée par plus de 50 entre janvier et avril 2020 aux États-Unis.

Cette émergence interpelle et montre que le télétravail, mode d’organisation du travail qui s’est imposé et semble se pérenniser dans bon nombre d’organisations ces derniers mois, nécessite de repenser et d’agencer la relation managériale.


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Cette surveillance technologique n’est toutefois pas un phénomène nouveau, et n’est pas interdite. En effet, l’existence d’un contrat de travail suppose un lien de subordination qui place le salarié sous l’autorité de son employeur qui, en vertu de son pouvoir de direction, dispose d’un pouvoir de contrôle et de surveillance. Les technologies de surveillance ne sont cependant autorisées qu’à condition d’en informer le salarié et qu’elles soient spécifiquement justifiées et proportionnées.

Cependant, un système qui permettrait d’exercer une surveillance constante reste interdit. En dépit de contraintes légales, il est pourtant désormais techniquement possible de surveiller les salariés (logiciels de géolocalisation, de mesure du temps de connexion, caméras, etc.).

Contrôle social

Il est légitime de s’interroger sur la pertinence des outils technologiques organisant la surveillance des salariés. En effet, ces logiciels peuvent entamer la relation de confiance, alors même que les salariés tendent de plus en plus à organiser leur propre contrôle. Cette tendance à l’autocontrôle a notamment été révélée par l’augmentation du temps de travail enregistré pendant le confinement, et ce au niveau mondial.

Comment l’expliquer ? Il ressort de nos travaux de recherche (en cours) que ce phénomène peut être lié au contrôle social. Ce contrôle social s’exerce lorsque les individus adhèrent aux normes collectives et les jugent légitimes. Une forme de contrôle social s’exerce en interne quand les individus adhèrent aux normes collectives et les jugent légitimes. Le groupe organise une forme de contrôle en son sein. Il en est de même pour les individus qui développent une forme d’autocontrôle, bien que leurs managers leur fassent confiance.

De même, un contexte technologique facilitant a renforcé l’autocontrôle des salariés. La surveillance numérique peut en effet être assimilée à un système panoptique, tel qu’imaginé par le philosophe britannique Jeremy Bentham en 1791.

Le panoptique, type d’architecture carcéral, est un système qui peut se passer de surveillant. Il crée « un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce » selon le philosophe français Michel Foucault.

Le propre du panoptique est donc d’induire une forme d’autocontrôle. Dans le monde professionnel, la surveillance exercée par les salariés entre eux crée ainsi de nouveaux moyens de pression permettant d’éviter les comportements déviants. Les situations de télétravail ne dérogent pas à la règle.

Une nouvelle relation managériale

Dans les centres d’appel par exemple, le contrôle est modifié par les nouvelles technologies qui rendent possible un suivi individuel des temps (temps de frappe, temps de traitement d’appel). Chacun est surveillé, en permanence, sans savoir par qui, comme dans un panoptique. L’autodiscipline ou autocontrôle devient ainsi le corollaire de ce nouveau type de surveillance.

Cette situation comporte des implications lourdes en termes de management. En effet, la connectivité permanente induite par le travail à distance rend les salariés dépendants, se sentant parfois contraints de devoir répondre immédiatement aux sollicitations de l’organisation. Le manager devra donc veiller à éviter tout stress technologique.

Dans les centres d’appel, tout le monde est contrôlé, sans nécessairement savoir par qui. Gundula Vogel/Pixabay, FAL

Les organisations vont devoir faire évoluer les modes managériaux vers davantage d’autonomie, en évitant les situations d’isolement, avec une contrepartie en matière d’obligations de résultats.

Il s’agira par exemple, de déléguer, de veiller à ne pas multiplier les réunions inutiles, à communiquer clairement sur l’organisation, la stratégie et le fonctionnement de l’entreprise. Le manager se doit désormais d’être agile, et doit développer l’autonomie des collaborateurs. Il doit être en mesure de lâcher prise et de faire confiance. Grâce à une communication constructive, une transparence renforcée, un dialogue adapté, la relation managériale pourrait donc s’enrichir profondément. En outre, cette autonomie laissée au collaborateur et la confiance que lui porte son manager devraient contribuer à des relations plus apaisées.

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