La robotisation fait peur, tant elle est synonyme de suppression d’emplois dans l’inconscient collectif. Pourtant, les cas où la robotisation maintient, voire accroît l’emploi se multiplient. Parmi ceux-ci, le cas d’une TPE industrielle d’une dizaine de personnes frappe les esprits.
Une entrepreneure venue d’ailleurs
En 2011, Élisabeth Klein devient directrice de CFT industrie, PME de huit personnes spécialisée dans le cintrage et l’assemblage de fils, tubes et tôles. Cette nomination très improbable est le point de départ d’une transformation d’autant plus spectaculaire qu’elle semble se dérouler le plus naturellement du monde.
Bien qu’elle soit sur un marché de niche ignoré par les grands groupes industriels, l’entreprise a alors de plus en plus de mal à être rentable. Lorsqu’elle est mise en cessation de paiement par son PDG, les regards se tournent vers Élisabeth Klein, ancienne comptable qui venait de démissionner du comité de direction pour divergence de vues. Pour trouver une solution de pérennisation de la société, l’administrateur contacte celle qui connaît le mieux les réalités de l’entreprise, ses collaborateurs, ses clients et qui croit à son avenir. Il lui propose de reprendre la société pour 1 euro symbolique, mais elle lui dit que l’entreprise vaut plus et approche un (petit) groupe industriel, SFAM, qui conclut très vite l’achat avec l’appui de l’administrateur judiciaire.
La voici directrice de CFT industrie, alors que rien ne l’y prédestinait : magistrate de formation, elle avait accepté de remplacer la comptable partie en congé maternité, puis était restée en relation avec l’entreprise pour superviser les comptes. Aujourd’hui encore, elle mène en parallèle une activité de juge des enfants car elle tient à son rôle de magistrate.
Préparer l’achat d’un robot
Elle réduit les dettes et contracte deux gros marchés de fournitures de paniers métalliques, pour des motoculteurs et pour des appareils médicaux. Toutefois, si l’entreprise garde la technique de soudage à la main, les marchés ne seront pas rentables, et il faut acquérir un robot de soudure. Or, un tel appareil coûte très cher, plus de 160 000 euros, et risque d’inquiéter le personnel. N’étant ni ingénieure ni manager, elle souhaite se faire aider et se tourne vers le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), qui propose un audit, une subvention de 10 % de l’investissement et un accompagnement. L’intervenant lui fait aussi comprendre qu’il faut transformer le management et développer les talents.
Pour elle, les choses sont claires : il faut que ce soient les soudeurs qui établissent un cahier des charges et acquièrent le robot. Ils font effectivement les démarches avec l’aide de l’intervenant du CETIM, et leur implication facilite grandement l’intégration du robot.
Elle s’attache aussi à développer la curiosité (un maître mot pour elle) de tout le personnel. Des visites d’autres entreprises sont organisées chaque mois sur le temps de travail. Elles ne sont pas obligatoires, mais tous jouent le jeu. Certains vont même voir des entreprises le soir ou pendant leurs congés, et s’informent sur l’existence de tel robot ou de tel dispositif.
Autre exemple de ce nouvel état d’esprit : pendant un séminaire annuel du groupe SFAM, un travail par équipes de quatre est organisé sur 12 thèmes. Les résultats sont présentés dans une petite place de marché : chaque équipe présente son thème, puis rend visite aux onze autres stands.
Pour accompagner cette montée en compétence, l’entreprise investit massivement dans la formation, et valorise la polyvalence. Le personnel se prend au jeu de la modernisation et de la numérisation.
L’introduction du robot entraîne un grand progrès de productivité sans licenciement, mais au contraire trois embauches.
Vers un management très participatif
L’intervenant fait évoluer le management de l’entreprise vers un mode participatif, en montrant aux uns et aux autres comment faire.
« J’ai appris à dire “Je ne sais pas” à un collaborateur. Il y a 15 ans, j’aurais répondu : “je vais réfléchir et je reviens vers toi”, puis j’aurais cherché une solution. Aujourd’hui, je lui dis : “c’est toi le spécialiste, qu’est-ce que tu ferais ?” C’est d’ailleurs une chance que je ne sois ni ingénieure ni financière, car cela me donne l’occasion de faire appel aux autres. »
Elle se renomme codirectrice de CFT Industrie, pour signifier un mode d’organisation plus collectif et non pyramidal. La délégation aux opérateurs selon le principe « c’est celui qui fait qui sait » facilite la mise en place de nouveaux processus : lean management, gestion de production et maintenance assistée par ordinateur, etc.
Les salaires sont transparents, les commerciaux étant même mieux payés que la codirectrice, et la prime d’intéressement aux résultats est la même pour tous.
Le bonheur au travail
Le bien-être du personnel est une priorité. Les conditions de travail et la sécurité font l’objet d’une grande attention. L’entreprise est d’ailleurs lauréate en 2017 des trophées de la prévention des risques professionnels organisés par la Caisse d’assurance retraite et de santé au travail de la région Centre – Val de Loire.
Un lieu de repos est aménagé dans l’enceinte de l’entreprise avec trois chambres, une salle de bain et une petite cuisine, ce qui permet aux salariés de faire une pause quand ils en ressentent le besoin, voire même de dormir sur place le soir, car certains habitent relativement loin. Ce local facilite aussi l’accueil de stagiaires.
Valoriser le personnel vis-à-vis de l’extérieur
Élisabeth Klein est convaincue que, pour impliquer les salariés dans l’entreprise, il faut leur offrir la possibilité de se valoriser vis-à-vis de l’extérieur. Plusieurs initiatives vont dans ce sens.
L’entreprise invite ses clients et ses prospects, lors d’une journée de fablab, à venir dans l’usine rencontrer le personnel, utiliser le matériel et réaliser gratuitement leur pièce.
Elle participe à l’opération de l’académie de Versailles AdopteUneClasse.com. Pendant un an, elle parraine une classe d’un lycée technique de Rambouillet, avec des interventions dans le lycée et des visites de l’entreprise, ou en apportant une aide aux élèves pour la préparation du BTS.
À l’occasion d’un arbre de Noël, les familles ont été invitées à suivre la fabrication d’une corbeille de fruits en fils métalliques. Chacune passait de poste en poste avec son fil, qui était cintré, puis soudé, etc. La visite se terminait par l’opération de peinture. Les salariés ont été fiers de montrer à leur famille ce qu’ils savaient faire.
De nombreux échanges sont organisés entre les trois entreprises sœurs du groupe SFAM. Elles se préparent pour 2025 avec des thèmes comme 100 % compétents et épanouis ensemble, ou 100 % robotisés et connectés. Une lettre électronique diffuse en interne des reportages sur les réalisations des uns et des autres et sur des visites d’entreprises.
Plaisir et efficacité
Tout cela peut paraître simple, mais les projets qu’anime Élisabeth Klein vont au rebours d’habitudes selon lesquelles l’industrie doit être menée « à la dure » et de façon hiérarchique. Comme elle en témoigne :
« On m’avait appris que pour faire bien fonctionner une entreprise, il fallait être le plus factuel possible et se méfier des émotions. Je pense que c’est une erreur. Il y a toujours de l’affectif dans une entreprise, même s’il ne faut pas que cela prenne une place démesurée ».
Les entreprenant·e·s n’ont pas les yeux rivés sur le seul chiffre du profit, et savent miser sur la relation et la confiance. C’est cela qui pourrait en faire les leaders de l’industrie de demain.
Pour en savoir plus sur CFT industrie : « L’intégration d’un robot déclenche la transformation technologique et organisationnelle d’une TPE ». Voir aussi la publication « Organisation et compétences dans l’usine du futur vers un design du travail ».