On considère généralement que le coma est la forme la plus sévère d’altération de la conscience. Mais qu’est-ce que la conscience ? Philosophes, psychologues, physiologistes, neurobiologistes… chacun a sa définition. Nous adopterons celle du clinicien. Pour lui, il s’agit d’un état d’activation cérébrale physiologique (l’éveil), qui permet de percevoir le monde extérieur, et d’adapter ses réponses (élémentaires ou complexes) aux sollicitations. Et précisément, un patient comateux ne réagit pas ou de façon inadaptée aux stimulations du monde extérieur.
Dans la pratique, le coma survient brutalement à la suite d’un traumatisme crânien, d’un accident vasculaire cérébral, d’une baisse subite de l’apport d’oxygène, ou encore d’une méningo-encéphalite. D’emblée, deux questions se posent aux neurochirurgiens et aux réanimateurs, crues et directes : quelle est la sévérité du coma, autrement dit sa profondeur ? Et quelle est pour le patient la probabilité de retrouver une conscience normale ? Des interrogations essentielles lorsqu’il s’agit de prendre en charge au mieux les quelques 1 500 patients qui se trouvent actuellement en état d’éveil non répondant ou de conscience altérée dans notre pays.
Quatre stades, trois évolutions
Longtemps, la classification du coma a reposé sur quatre stades :
le stade 1, quand la communication est réduite mais possible ;
le stade 2, dès lors qu’il y a absence de communication, mais réactions aux stimulus douloureux ;
le stade 3, quand le patient ne réagit plus du tout aux stimuli douloureux ;
le stade 4, lorsque la vie n’est maintenue que par des moyens artificiels : on parle alors de coma dépassé.
Par ailleurs, trois évolutions étaient envisagées : une amélioration avec une meilleure perceptivité et réactivité, la mort cérébrale vite suivie du décès du patient, ou encore un coma végétatif.
Cet état végétatif a été défini en 1994 comme une « condition clinique dépourvue de toute (manifestation de) conscience de soi et de l’environnement, associée à la présence de cycle veille/sommeil avec maintien complet ou partiel des fonctions automatiques de l’hypothalamus et du tronc cérébral ». Un état dans lequel les yeux sont ouverts, les mouvements réflexes présents, mais où il n’y a aucune réaction à des commandes verbales ou à d’autres stimulations – ce qui a poussé certains à y voir un éveil fonctionnel sans vie mentale consciente et sans conscience du monde alentour.
Les progrès réalisés en matière de réanimation, ces dernières décennies, ont toutefois permis de garder en vie des patients souffrant de dégâts cérébraux majeurs. Parallèlement, de nouvelles méthodes d’exploration physiologique, comme la tomographie par émission de positrons (TEP) et surtout l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont bouleversé les notions de perception et de réactivité chez le patient comateux, ainsi que les limites de l’évaluation des troubles de la conscience.
L’échelle de Glasgow
Pour estimer la profondeur d’un coma, les quatre stades utilisés depuis la Seconde Guerre mondiale ont fini par montrer leurs limites. Il a fallu disposer d’un outil qui reste facile à utiliser, donnant des résultats identiques d’un examinateur à l’autre, mais dont l’évaluation était plus fine. C’est pourquoi s’est développé l’usage de l’échelle de Glasgow (ou score de Glasgow - GCS), initialement conçu pour apprécier la gravité de comas chez l’adulte à la suite d’un traumatisme crânien. Très vite, l’utilisation de cette échelle a été élargie à d’autres groupes de patients, avec parfois des variantes (par exemple en pédiatrie, ou pour des comas profonds). Le GCS est ainsi devenu le score le plus utilisé au monde.
Trois critères y sont évalués : l’ouverture des yeux, notée sur 4, la réponse verbale, notée sur 5, et la réponse motrice, notée sur 6. La somme des notes s’échelonne de 3 (coma profond) à 15 (conscience normale). Et l’on parle de coma ou d’inconscience lorsque le patient a un score inférieur à 8.
Malgré sa simplicité, l’échelle de Glasgow ne donne pas toujours les mêmes résultats selon la personne qui l’utilise. De plus, elle souffre de plusieurs limites d’usage. Par exemple, pour la cotation verbale chez des patients ayant des troubles du langage ou intubés. Ou encore, pour la cotation visuelle en cas d’œdème orbitaire. Mais aussi, s’agissant de choisir le côté à retenir en cas d’asymétrie dans la réponse motrice. Enfin, elle ne permet pas de faire la différence entre le coma et le syndrome d’enfermement (Locked-in syndrome), où le sujet est complètement paralysé, mais néanmoins conscient.
Évaluer les réflexes pour améliorer l’échelle de Glasgow
Pour remédier à ces problèmes, en 1982, l’équipe belge de Jacques Born a ajouté à l’échelle de Glasgow l’évaluation de plusieurs réflexes du tronc cérébral, cotés de 5 à 0 : les réflexes fronto-orbiculaire, oculocéphalique vertical, photomoteur, oculocéphalique horizontal et oculocardiaque. Dès lors appelée Glasgow-Liège (GLS), et d’un score allant de 3 à 20, cette échelle permet d’apprécier plus finement la gravité d’un coma profond, dans les scores les plus bas (3 ou 4).
Restait néanmoins un problème : le score GLS ne se montrait pas plus sensible que le score GCS dans l’évaluation d’une conscience résiduelle lors de l’état végétatif. En effet, des patients chez qui avait été posé un tel diagnostic présentaient des signes temporaires de conscience, avec la poursuite du regard, des pleurs ou des sourires, voire des gestes, en réponse à un stimulus émotionnel fort (leur reflet dans un miroir, la présence des proches, une musique liée à un souvenir marquant…).
C’est pour prendre en compte ces signes de conscience fugaces, mais surtout extrêmement fluctuants, qu’a été forgée en 2002 la notion de conscience minimale ou altérée, à laquelle on donne aussi le nom d’état paucirelationnel.
Or, quatre ans plus tard, à Cambridge, le neuroscientifique Adrian Owen et son équipe ont publié un travail aussi innovant que perturbant. En s’appuyant sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), cette étude montrait l’existence d’une conscience préservée chez un jeune patient pour lequel avait été posé le diagnostic d’état végétatif : lorsqu’il lui était demandé d’imaginer jouer au tennis ou se déplacer dans sa maison, les mêmes aires corticales s’activaient que chez des volontaires sains !
L’usage de différentes stratégies d’exploration de l’activité métabolique (tomographie par émission de positons et IRM fonctionnelle) ou électrique (électroencéphalogramme) du cerveau s’est alors développé.
Révéler la conscience en images ?
Ces examens basés sur l’imagerie consistent à mesurer l’activité cérébrale du patient soit au repos, soit lorsqu’il lui est demandé de réaliser des tâches cognitives, ou encore quand on le soumet à des stimulations externes.
Dans ces conditions, plus d’une fois sur dix, on constate qu’en dépit de son « état végétatif », le patient est capable de suivre des consignes. Ces méthodes d’imagerie fonctionnelle ont donc révélé que ledit « état végétatif » est loin de correspondre à ce que sous-entendait cette expression – sans même parler de sa connotation péjorative.
Pour cette raison, en 2010 l’équipe belge de Steven Laureys a proposé de substituer à l’appellation « état végétatif » une autre appellation : le « syndrome d’éveil non répondant ».
In fine, aujourd’hui, le niveau d’altération de la conscience des patients n’est donc plus défini uniquement par leurs réactions oculaires, verbales, motrices ou réflexes à des stimulations, mais aussi par des mesures plus fines d’activité métabolique du cerveau.
Les nouvelles méthodes d’investigation comme la stimulation électrique et la réalité virtuelle pourraient demain nous conduire à le définir autrement (notre équipe va du reste prochainement lancer un essai clinique s’appuyant sur la réalité virtuelle pour le réveil de coma). On peut aussi espérer qu’à l’avenir, les interfaces cerveau-machine offriront à tous ces patients la possibilité de réagir aux stimulations du monde extérieur, voire de communiquer. À n’en point douter, une telle évolution ne manquera pas d’ouvrir un débat éthique complexe.