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Expérimentations sur l’homme : le bon, le mauvais et l’horrible

Caricature de James Gillray,1805, sur les effets des nouvelles vaccinations. Library of Congress

Les expérimentations sur l’homme ont donné lieu à tant de scandales que cela influe souvent sur le jugement que l’on peut porter sur leur aspect éthique. Le cas le plus ancien remonte à 1796 lorsque le médecin anglais Edward Jenner, dans le cadre de ses recherches sur le vaccin contre la variole, a injecté à un enfant de huit ans du pus prélevé sur une trayeuse de vache malade puis l’exposa délibérément à une personne porteuse de la maladie.

Même si les recherches de Jenner furent heureusement couronnées de succès, la méthode d’exposer ainsi un enfant à une maladie mortelle serait sans aucun doute inacceptable aujourd’hui. Peut-être les plus connues des expérimentations contraires à l’éthique ont-elles été révélées lors du procès de Nuremberg. La « recherche » pratiquée par les nazis sur des prisonniers des camps de concentration consistait à les stériliser de force, à les mettre sous hypothermie et à les exposer à des maladies comme la tuberculose.

Brûlures au gaz moutarde. Balcer

Il existe aussi des exemples d’expérimentations, financées par les pouvoirs publics, abusant de sujets vulnérables pour s’assurer de leur participation, ce qui exposa ces cobayes humains à des troubles graves par exemple lors des essais cliniques « Tuskegee » sur la syphilis ou bien encore les expérimentations chimiques « Porton Down » conduites au Royaume-Uni entre 1939 et 1989 : 11 000 personnes appartenant au personnel militaire ont alors été exposées à des gaz moutarde et des gaz innervants.

Cobayes humains

Malgré que l’on puisse dresser une longue liste d’impossibilités qui nuisent à l’éthique des expérimentations, elles restent cependant exceptionnelles. Se focaliser sur les scandales pourrait ainsi nuire gravement à une discussion appropriée concernant l’éthique dans ces domaines.

Les expérimentations sur l’homme ne sont pas douteuses en soi. Cela ne veut pas dire qu’elles n’induisent pas des dilemmes moraux, mais l’on peut souvent y remédier. Pas plus qu’elles ne diminuent l’immense importance qu’ont pour la société ces travaux scientifiques effectués sur des humains et l’énorme progrès accompli à la fois sur la qualité et sur le nombre d’existences sauvées grâce à de telles recherches.

La question urgente qui se pose à propos de ces expérimentations n’est pas de savoir si l’on doit les conduire, mais comment on peut les équilibrer, ou justifier l’exposition au risque de cobayes humains au nom de l’avancement de la science.

Parfois dans le cas d’essais thérapeutiques, des sujets volontaires peuvent en tirer bénéfice si le traitement s’avère efficace (d’aucuns soutiennent même qu’on pourrait encore aller plus loin en recrutant des malades en phase terminale afin de tester des médicaments expérimentaux). Cependant, ces cas sont rares si l’on tient compte du temps nécessaire pour aboutir à des résultats complets. Les bénéfices thérapeutiques aideront plutôt des populations à venir que les individus participant à l’expérimentation. Et les choses sont encore plus complexes lorsque les essais portent sur des personnes potentiellement vulnérables ou désespérées.

Equilibrer les tensions

Pour comprendre le point central de l’éthique en recherche scientifique, il faut porter une attention particulière à cet aspect : où se situent les déséquilibres entre les chercheurs et leurs cobayes et comment peut-on y remédier pour éviter tout conflit éthique. La plupart de ces conflits éclatent quand il s’agit de choisir entre ce qui est bon pour les sujets de l’étude d’une part et ce qui bénéficiera à la science, à la société et aux futurs patients, d’autre part.

Un rotavirus au microscope. Cell culture

Une pratique dénuée d’éthique peut certes survenir si tous ces points n’ont pas été mûrement réfléchis. Surtout lorsqu’on expose les participants de l’étude aux aléas des placebos. En 2014, un essai pour expérimenter un vaccin contre le rotavirus en Inde a été sévèrement critiqué parce qu’on a donné des placebos à plus de 2 000 enfants. En 1997, lors d’un essai thérapeutique financé par le gouvernement américain pour éviter aux femmes enceintes de transmettre le sida à leurs bébés, elles reçurent un placebo au lieu d’un médicament existant, efficace en prévention.

Le rôle du comité d’éthique

Des abus peuvent également se produire quand les chercheurs – consciemment ou pas – font passer l’intérêt de leurs recherches avant celui des personnes impliquées dans les essais thérapeutiques. En règle générale, le recours aux comités d’éthique (RECs) est habituel pour évaluer et passer en revue les projets d’essais. En se basant sur un large éventail de la société et en tenant compte d’objectifs professionnels ou non, ces comités doivent déterminer si telle recherche est ou pas acceptable. Dans bien des cas, il faut s’assurer que des garde-fous standards – comme le consentement éclairé ou la protection de l’anonymat – sont bien présents afin de protéger les personnes sur qui les essais sont pratiqués et ne pas les soumettre à des risques inutiles.

Mais que pense le comité ? Shutterstock

Inévitablement, il y aura des cas où l’on ne pourra pas se plier à ces obligations. Par exemple quand la nature même de l’essai exige que les cobayes humains ignorent qu’ils participent à une recherche (comme dans le cas de certaines études comportementales où savoir que l’on est l’objet d’une recherche modifie sa substance et rend l’expérimentation nulle et non avenue).

Reste une question beaucoup plus aiguë : les bénéfices potentiels de la recherche sont-ils suffisamment importants pour justifier la non-observance des pratiques usuelles ? Et pose-t-on suffisamment de limites aux risques que l’on est prêt à faire prendre aux cobayes humains ?

Les limites du consentement

On a tendance à penser qu’il est trop risqué d’utiliser des sujets incapables de se protéger comme les enfants, les adultes souffrant de maladies mentales, ou d’autres encore marqués par des circonstances de la vie qui les ont rendus vulnérables.

Mais il y a des cas où les recherches ne peuvent être menées que sur des sujets vulnérables justement – par exemple, celles qui concernent les traitements des maladies mentales ou celles qui touchent des enfants atteints de troubles du comportement. Pour être efficaces, ces recherches impliquent la participation de ces populations sensibles.

Pour que de telles recherches soient acceptables, la méthodologie utilisée doit s’accompagner d’une série de garde-fous pour protéger ces sujets. Comme ils sont dans l’impossibilité de veiller à leurs intérêts, ces limites doivent impérativement être plus efficaces et avoir une portée la plus large possible par rapport à ce qui est mis en oeuvre pour des sujets moins vulnérables.

Même dans le cas d’études sur des maladies particulières, touchant les enfants par exemple, on considère seulement comme éthiquement corrects des essais qui ne présentent aucun risque réel ou danger, ou qui entraînent un bienfait thérapeutique direct. Mais l’inconvénient, estiment certains, c’est d’empêcher le développement de médicaments destinés à des populations spécifiques comme les enfants. Ce raisonnement a conduit à une modification de la loi sur les essais thérapeutiques concernant le cancer par exemple, en rendant plus facile la participation d’enfants.

En ce qui concerne les adultes bien informés et conscients, d’aucuns pensent qu’un degré de risque est acceptable dans la mesure où le sujet est d’accord. Pour d’autres, le degré de risque doit être compensé par des avantages dont l’intéressé profite. On l’a constaté par exemple en Afrique, lors de l’expérimentation récente d’un vaccin contre le virus Ebola, proposé au personnel médical exposé à la maladie.

Au final, il n’existe aucun consensus universel sur la façon de conduire les expérimentations sur l’homme. Les lois et les codes de procédure sont bien trop généraux pour le décider. C’est pourquoi les jugements éthiques, les comités et les échanges d’arguments divers interviennent afin de permettre une résolution. Cela peut retarder les recherches ou amoindrir les ressources disponibles pour une étude thérapeutique. Mais ces contraintes sont nécessaires si l’on veut maintenir un niveau de qualité élevé pour juger de situations souvent complexes et pour prévenir de nouveaux scandales.

This article was originally published in English

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