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Circulation d'un train du REM, à Brossard. Le projet de la CDPQ Infra peut être qualifié de succès à plusieurs égards, selon l'auteure, notamment grâce à leurs superpouvoirs légiférés et à leur approche modulaire, par tronçons. (La Presse images, via CP)

Explosion des coûts dans les mégaprojets : pire au Québec, vraiment ?

À en croire le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, il est tout simplement impossible de réaliser un grand projet sans que les coûts explosent. Certains croient par ailleurs que les Québécois sont pires que d’autres et ne savent pas gérer ces projets majeurs, aussi appelés mégaprojets.

À titre d’experte sur ces questions, je tiens à apporter certaines précisions afin que l’on comprenne mieux ce qu’il en est, et ce que l’on peut faire pour améliorer la gestion des grands projets.

Très peu de projets respectent les délais, les coûts et les exigences

Il y a beaucoup de recherche dans le monde en lien avec les mégaprojets et les dépassements de coûts.

Une des sommités dans ce domaine, le professeur d’Oxford Bent Flyvbjerg, vient de publier un ouvrage grand public qui vulgarise ses 30 dernières années de recherche sur la question. Il a établi au fil des ans une des bases de données les plus complètes au monde, provenant de plus de 16 000 mégaprojets.

Constat principal : à l’international, seulement 0,5 % des projets répertoriés ont respecté la triple contrainte, soit le respect des délais, des coûts et des exigences. Ce chiffre est très éloquent. Et nous sommes loin d’être les seuls à avoir des projets hautement problématiques. Bien que ces résultats soient remis en question par des chercheurs du domaine, et que la question de la valeur générée soit de plus en plus centrale, cela montre tout de même la tendance lourde.

Les projets les plus susceptibles de dépassements de coûts extrêmes sont ceux qui souffrent de manque de planification, qui sont hors norme et demandent des innovations, qui n’ont pas été éprouvées (par exemple, de faire construire le plus gros tunnelier du monde pour creuser un tunnel), ou ceux qui ne peuvent tabler sur la réplicabilité et modularité pour favoriser l’apprentissage en cours de route.

Le premier ministre François Legault annonce le nouveau réseau de transport en commun à Québec, comprenant un tramway et un tunnel pour relier Lévis à la ville de Québec, le 17 mai 2021. Le « plus gros tunnelier du monde » était un projet hautement risqué au plan financier, et les coûts du tramway viennent de connaître une hausse spectaculaire, menaçant sa réalisation. La Presse canadienne/Jacques Boissinot

À l’inverse, des projets modulaires, tels que l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes en y allant par section, sont plus faciles à contrôler, peuvent être mis en production plus rapidement et on peut en tirer des leçons pour ajuster le tir en cours de route. Les mégaprojets de centrales nucléaires ou de barrages hydroélectriques sont quant à eux très difficiles à évaluer en amont, et sont souvent associés à des dépassements de coûts plus importants.

Pour ce qui est des transports en commun, ce qui augmente la complexité, au-delà du volet technique, est leur intégration plus large dans leur environnement, générant de nombreux risques systémiques. Ici aussi, il est difficile de bien estimer les coûts en amont. Cependant, c’est possible.

un parc éolien en bordure de mer
Parc éolien à l’Île du Prince-Édouard. Leur installation est plus facile à contrôler et peut être mise en production plus rapidement.

Les Québécois, compétents

Contrairement aux discours ambiants, non seulement nous ne sommes pas en queue de peloton au Québec pour la gestion des grands projets, mais nous sommes au contraire très compétents. Notre expertise a été mainte fois reconnue à l’international. Avec Alejandro Romero-Torres, de l’ESG UQAM, à titre de co-directeur, nous avons documenté, avec plusieurs collaborateurs, ces grands projets à succès, québécois et méconnus.

Par exemple, le projet de revitalisation de la Tour de Montréal, l’illumination du pont Jacques-Cartier, l’agrandissement de l’aéroport de Québec, le développement du Quartier des spectacles, pour ne nommer que ceux-ci. Nous relevons également plusieurs bonnes pratiques intéressantes, que je résumerai ici.

En premier lieu, comme ces projets sont pour la majorité publics, il importe de bien clarifier la gouvernance, la prise de décision et l’imputabilité des principaux acteurs. Si le projet du REM de la CDPQ Infra peut être qualifié de succès à plusieurs égards, c’est notamment grâce à leurs superpouvoirs légiférés et à leur approche modulaire, par tronçons (le premier vient d’être livré et est déjà opérationnel).

Les dirigeants ont cependant minimisé la co-construction et le dialogue en amont avec les parties prenantes externes, les résidents du secteur, la société civile, et les autres sociétés de transports, ce qui est problématique, et va à l’encontre des tendances dans le domaine. En effet, bien que cela puisse paraître contre-productif d’impliquer plusieurs parties prenantes en amont, cela favorise l’acceptabilité sociale. Cela permet aussi de formuler un projet générant plus de bénéfices et d’inclure des réponses aux principales préoccupations. À cet effet, la transparence est primordiale.

L’utilisation de techniques innovantes, telles que la modélisation des données du bâtiment, permet d’estimer et de gérer avec précision l’explosion des coûts lors de la réalisation de projets. En ce sens, la proposition du maire de Québec d’agir à titre de maître d’œuvre pour son projet de tramway peut paraître risquée, mais elle me semble à priori intéressante. Je ne suis pas la seule à envisager que cette solution soit non seulement plausible, mais aussi qu’elle permette de générer une valeur sociétale intéressante.

Valoriser les compétences critiques des organisations publiques

Les organisations publiques ont perdu au fil du temps leurs compétences à l’interne pour gérer de grands projets (on peut citer ici le ministère des Transports du Québec, qui a été à plusieurs reprises visé par des rapports du Vérificateur général du Québec à ce sujet. Dans la foulée du courant du Nouveau Management public, initié il y a quelques décennies, les institutions publiques ont en effet coupé leurs ressources à l’interne pour se tourner davantage vers le secteur privé.

Il est cependant intéressant de considérer le développement interne de certaines expertises névralgiques, notamment l’estimation et la gestion de projets. On constate maintenant que certaines compétences sont critiques et doivent être développées et maintenues du côté public. Cela permet d’assurer des ententes contractuelles, des estimations et des suivis afin d’assurer la qualité de ce qui est livré et une gouvernance favorisant le succès.

Je tiens à souligner que nous avons, au Québec, l’expertise pour gérer de grands projets. Ce qui est primordial, c’est d’assurer que les acteurs politiques soient sensibilisés sur leurs enjeux fondamentaux, en termes de valeur générée, d’acceptabilité sociale, de contribution à la décarbonation et à la transition énergétique, de calendrier de réalisation allant au-delà des mandats des élus, et à leurs complexités inhérentes.

La transparence est de mise, tout comme l’implication en amont des parties prenantes externes, incluant la société civile et les chercheurs qui s’y connaissent sur ces questions.

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