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Face aux bouleversements numériques, à quand une évaluation systématisée de l’intelligence émotionnelle ?

Intelligence émotionnelle.

Pour beaucoup aujourd’hui, la transformation numérique et notamment l’intelligence artificielle représente une menace potentielle de colonisation des tâches voire des emplois au travail, même pour des postes hautement spécialisés.

Dans le futur, en matière de compétences et d’employabilité, quelles capacités humaines permettront de faire la différence face aux agents et autres robots dopés à l’IA ? La réponse pourrait se trouver dans un concept longtemps mis de côté : l’intelligence émotionnelle.

En effet, en matière de compréhension des mécanismes de la pensée humaine, l’expérience des derniers siècles a souvent été caractérisée par une focalisation sur la Raison et le rationalisme cher à Descartes. Ce mouvement a été particulièrement visible dans le domaine de la gestion des hommes au travail.

Au-delà de la raison… l’émotion

On s’est notamment basé sur le postulat de l’existence d’un homme rationnel qui posséderait une représentation du monde largement cognitive et froide et pour qui les émotions ne feraient qu’obscurcir le jugement. Pourtant, récemment, ce mythe a été ébranlé par certains travaux en neurologie et notamment ceux d’Antonio Damasio, qui montrèrent la nécessité de mobiliser certaines zones affectives du cerveau afin d’accomplir des actions logiques. Ainsi, l’accès à la vérité et à la réalité du monde serait en partie rendu possible grâce à nos émotions, n’en déplaise à Descartes !

De ce fait, il apparaît de plus en plus évident qu’au sein d’une organisation, la fixation des buts, la sélection et l’utilisation de l’information et toutes les décisions et actions humaines sont en fait étroitement liées à des émotions et des sentiments où la colère, la joie, la peur, ou bien encore la honte tiennent souvent un rôle prépondérant !

De ce fait, recruteurs et employeurs évaluent de mieux en mieux la nécessité de mesurer et former les collaborateurs à la maîtrise des composantes émotionnelles afin de mieux remplir leur rôle professionnel.

Ces aspects en lien avec la coopération et la collaboration ressortent majoritairement comme les aptitudes clés des leaders, managers et collaborateurs recherchées demain selon les derniers rapports du Forum économique mondial. Il est donc de plus en plus admis que ces compétences transversales et non techniques seront une plus-value face à des machines capables de tâches de plus en plus sophistiquées mais faibles en interaction.

Définir l’intelligence émotionnelle

Mais, comment définir l’intelligence émotionnelle ou IE ? Ce concept, qui a créé un grand engouement ces 20 dernières années, comprend plusieurs habiletés générales, notamment percevoir, évaluer et exprimer et réguler les émotions. Plusieurs auteurs scindent ces compétences en deux catégories séparées s’il s’agit de vos propres émotions ou bien des émotions des autres. En effet, certaines personnes semblent être très habiles pour comprendre et gérer leurs propres émotions mais assez perplexes devant les réactions des autres…

De manière générale, toutes ces compétences obligent à redéfinir la carte des compétences pour les métiers impliquant une forte composante de relation à autrui et notamment du management, de la gestion, et de la négociation. De plus, même les collaborateurs dont la réussite professionnelle semble moins dépendre des compétences sociales pourraient aussi bénéficier d’une meilleure connaissance de leurs émotions puisque ces dernières servent bien souvent d’avertisseurs qu’il faut apprendre à reconnaître et écouter.

Dans l’ensemble, investir sur l’IE pour une entreprise a des effets très positifs selon plusieurs études, notamment sur la fidélité du personnel, le développement des talents, le travail d’équipe, l’implication, le moral et la santé du personnel, l’innovation, la productivité, l’efficacité, les ventes, les résultats financiers, la qualité du service, la fidélité des clients, etc.

Néanmoins, un domaine reste encore aujourd’hui trop peu couvert par cet engouement : la mesure de l’IE dans le contexte du recrutement.

Construire un outil de mesure de l’IE

C’est pourquoi, la chaire « Talents de la transformation digitale » à Grenoble École de Management et l’entreprise MeetnMake se sont associés pour répondre à un objectif : construire un outil à même de mesurer toutes les facettes de l’IE pour mieux démontrer son potentiel dans le contexte du recrutement. Nous souhaitions pouvoir mesurer des compétences émotionnelles très variées comme la résilience, l’empathie, le contrôle émotionnel, la gestion de conflit, l’écoute, etc.

Une étude a donc été menée auprès d’un panel de plus de 140 participants anonymes de 20 à 59 ans. Ceux-ci, après nous avoir renseignés sur leur situation personnelle (âge, genre, secteur d’activité, etc.), ont accepté de répondre à un ensemble de plus d’une centaine de questions portants sur 14 des compétences émotionnelles pertinentes au travail.

Au moyen de tests statistiques, nous avons épuré et raffiné la liste des questions afin de fabriquer un outil fiable de mesure de l’IE. Celui-ci permet d’apprécier sous la forme de scores les capacités des participants à reconnaître et agir sur les émotions à la fois internes et en provenance des autres. Au total, 14 compétences-clés au travail sont ainsi mesurées par cet outil et permettent de maximiser le potentiel de recrutement.

De plus, en nous penchant sur les situations personnelles des participants, deux enseignements importants sont ressortis de cette recherche-action :

  • L’intelligence émotionnelle est le résultat d’un processus d’apprentissage « naturel » qui s’accumule avec l’âge : le score global d’IE est en effet jusqu’ 7,5 % plus élevé chez les participants les plus âgés ! Cela montre bien que, contrairement au quotient intellectuel, l’IE semble évoluer et grandir au fil de nos expériences. De plus, c’est surtout la capacité à contrôler ses propres émotions et à reconnaître celles des autres qui semblent bénéficier de notre expérience de vie. Ces données sont particulièrement pertinentes dans le contexte de la formation professionnelle car elles valident l’idée que rien n’est définitif dans ce domaine, même si toutes les habilités émotionnelles ne sont pas concernées.

  • Le deuxième résultat intéressant souligne une absence de différence entre hommes et femmes du point de vue des compétences émotionnelles. Ainsi, contrairement aux croyances populaires, même s’il peut exister de fortes disparités entre les individus, celles-ci ne semblent pas expliquées par ce facteur pourtant fréquemment invoqué. D’autres études semblent montrer un lien faible entre le genre et l’IE. Cela suggère bien qu’il est important de savoir évaluer ces habilités au moyen d’outil « neutres » comme celui-ci afin notamment de se prémunir des biais culturels de perception !

En conclusion, il est urgent de réinventer le recrutement et d’insérer une approche par l’évaluation des habilités émotionnelles qui soit complémentaire des dispositifs déjà existants. Ces compétences sont en effet un facteur important de réussite au travail, allant jusqu’à dépasser d’autres indicateurs comme le quotient intellectuel. De plus, à l’heure où plusieurs travaux sur l’Intelligence artificielle emotionnelle ont démarré, il semble urgent de mieux savoir comprendre et évaluer l’IE et de recentrer le travail sur cet aspect primordial de notre fonctionnement.

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