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Fact check : L’OMS a-t-elle un « parti pris idéologique » ?

Jaïr Bolsonaro (3ème en partant de la g.) en avril 2020 à Brasilia. Evaristo Sa / AFP

Lors des épidémies, et plus encore lorsque celles-ci prennent une ampleur mondiale, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) se retrouve en première ligne. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, ses actions ont été particulièrement scrutées, non seulement en raison du caractère nouveau, imprévisible et mondial de la maladie due au coronavirus SARS-CoV-2, mais également parce que des controverses ont émergé sur son rôle.

Le président des États-Unis Donald Trump a ainsi annoncé, le 14 avril 2020, en pleine crise sanitaire, la suspension des financements américains, puis, le 29 mai 2020, la « rupture des relations » entre les États-Unis et l’organisation, en raison de manquements supposés. Le 5 juin 2020, le président brésilien Jair Bolsonaro a emboîté le pas au président américain, déclarant que :

« Soit l’OMS travaille sans parti pris idéologique, soit nous la quittons aussi […] Nous n’avons pas besoin de gens de l’extérieur pour donner leur sentiment sur la santé ici (au Brésil). »

À la différence de D. Trump, qui avait centré ses attaques sur la Chine à l’OMS, le président brésilien critique avant tout le rôle normatif et de conseil de l’OMS, qui émet des recommandations pour les gouvernements.

L’utilisation de l’expression « parti pris idéologique » par Jair Bolsonaro sous-entend que l’OMS mettrait en avant des actions destinées à servir des intérêts politiques sans qu’il ne soit précisé lesquels, dans un flou rhétorique servant à nourrir le soupçon, à suggérer le complot, caractéristique des dirigeants populistes.

Qu’en est-il ?

Une organisation normative

L’OMS est l’organisation spécialisée des Nations Unies pour la santé. C’est une organisation internationale intergouvernementale à vocation universelle, qui réunit aujourd’hui 194 États membres. Ceux-ci siègent au sein de l’Assemblée mondiale de la Santé et au Conseil Exécutif de l’organisation, deux organes qui approuvent les activités sanitaires menées par le Secrétariat de l’OMS.

D’après sa Constitution, adoptée par les États membres en 1948, l’OMS est l’autorité directrice et coordinatrice dans le domaine de la santé. L’une de ses missions porte sur la surveillance des maladies infectieuses et la coordination de la réponse internationale en cas d’épidémie, mais son mandat est bien plus large, puisqu’elle a pour but « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible ».

Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS depuis 2017. Fabrice COFFRINI / AFP

L’OMS est avant tout une organisation normative, c’est-à-dire qu’elle établit, grâce à ses capacités d’expertise, des normes, qui sont le plus souvent des recommandations que les États doivent ensuite implémenter. Par exemple, dans le cas de la pandémie de Covid-19, l’organisation émet des lignes directrices sur la manière de soigner les voyageurs malades, les traitements à utiliser, la continuité des programmes de vaccinations, etc.

Les normes établies par l’OMS se fondent sur la science. Les employés de l’OMS effectuent un travail de veille et de collecte de données scientifiques, l’organisation a noué des partenariats avec plus de 800 institutions de recherche dans le mondeet réunit des comités d’experts indépendants, qui doivent désormais remplir des déclarations de conflit d’intérêts, pour élaborer ses recommandations sanitaires. Celles-ci peuvent évoluer en fonction du développement des connaissances scientifiques - les directives sur le Covid-19 sont ainsi régulièrement mises à jour.

Le mandat normatif de l’OMS conduit souvent à présenter l’organisation comme une entité scientifique et technique mettant en œuvre des mesures sanitaires dépolitisées. Néanmoins, comme toute organisation internationale, l’OMS est soumise à des logiques de politisation, et ce d’autant plus que la santé est un domaine sensible au regard de la souveraineté de l’État.

La santé est aussi politique

L’OMS ne dispose que de l’autorité que ses États membres veulent bien lui conférer. Elle n’a notamment pas de pouvoir de sanction. Pour remplir son rôle, elle cherche donc à s’assurer de la coopération des gouvernements, à l’image d’un acteur diplomatique.

Si l’organisation est régulièrement critiquée– sa gestion de la pandémie de Covid-19 fera l’objet d’une évaluation indépendante – cela n’empêche pas le travail normatif de l’OMS sur la Covid-19 d’être guidé par la science, dans le cadre du mandat fixé dans sa Constitution et par les États membres, qui sont in fine les décideurs.

La deuxième partie de la citation de Jair Bolsonaro (« Nous n’avons pas besoin de gens de l’extérieur pour donner leur sentiment sur la santé ici [au Brésil] »), met clairement en évidence que le président brésilien est gêné avant tout par le fait que les recommandations de l’OMS vont à l’encontre de ses actions, controversées depuis le début de la crise sanitaire.

Aujourd’hui, le Brésil est le deuxième pays le plus touché par l’épidémie (en nombre de cas et de morts), derrière les États-Unis. Jair Bolsonaro a dû faire face à la démission de deux ministres de la santé à un mois d’intervalle, en raison de désaccords profonds sur sa manière de gérer l’épidémie. Le président brésilien a lui-même été testé positif au nouveau coronavirus début juillet.

En effet, à l’image du président des États-Unis, Jair Bolsonaro nie la gravité de l’épidémie, refuse de porter un masque, critique les restrictions de déplacements ou encore vante, sans preuve scientifique, les mérites d’un traitement à l’hydroxychloroquine. L’OMS apparaît ici comme un bouc émissaire, permettant à des dirigeants contestés d’essayer de se dédouaner.

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