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Fact check US : Joe Biden va-t-il « détruire » 10,3 millions d'emplois liés à l'industrie pétrolière et gazière ?

Des gens pêchent devant des plateformes de forage pétrolier désaffectées à Port Aransas, Texas, le 11 mars 2019. Loren Elliott/AFP

Le blog du compte de campagne de Donald Trump affirmait le 31 août que le plan pour une énergie propre de Joe Biden détruirait 10,3 millions d’emplois liés à l’industrie pétrolière et gazière, soit 6,5 % de l’emploi total américain en décembre 2019. L’extraction du pétrole de schiste a certes permis aux États-Unis d’être en 2019 le premier producteur du monde devant l’Arabie saoudite, l’importance de ce chiffre a de quoi surprendre. Il supposerait en effet la disparition de l’ensemble de la filière pétrogazière comme de la totalité de l’activité qui peut lui être associée. Cet argumentaire est révélateur des excès de langage de la campagne présidentielle américaine.

L’histoire de ce chiffre

Ce chiffre de 10,3 millions d’emplois repose sur une étude de l’API (American Petroleum Institute) qui évalue l’importance économique du secteur en 2015. Cette étude identifie près de 2,8 millions d’emplois directs dans la filière pétrogazière en incluant les travailleurs ayant statut d’autoentrepreneurs, nombreux dans le domaine de l’extraction. Le reste sont des emplois indirects et induits. Il s’agit de 5,3 millions d’emplois dans d’autres entreprises mais déterminés par les achats des entreprises pétrogazières (emplois indirects) ou par les dépenses réalisées par leurs travailleurs (emplois induits), ainsi que de 2,2 millions emplois permis par les investissements en capital des entreprises bénéficiant de ces activités.

Certains États seraient plus particulièrement affectés par la disparition de cette filière. Au Texas par exemple, près de 2 millions d’emplois y seraient liés de près ou de loin, soit 12,2 % de l’emploi total de cet État. En Oklahoma, c’est 16,6 % des emplois qui seraient concernés. Au terme de cette étude, chaque emploi dans le secteur pétrogazier serait à l’origine de 2,7 emplois dans le reste de l’économie. Ce ratio est cohérent avec les résultats obtenus par l’Economic Policy Institute qui évalue pour 2019 à 3,9 le nombre d’emplois supplémentaires pour chaque emploi dans les activités d’extraction.

Cela valide-t-il la prévision d’une destruction de 10,3 millions d’emplois liés à la filière pétrogazière en cas de victoire de Joe Biden ? En aucun cas, et ce pour au moins 2 raisons.

Des emplois qui continueraient d’exister

Le chiffre avancé suppose la disparition d’emplois qui continueront d’exister quelle que soit l’énergie du futur aux États-Unis. Parmi les 2,8 millions d’emplois directs, plus de 1 million sont liés à la seule distribution du gaz ou de l’essence, d’autres à la fabrication de mélanges de pavage et de blocs d’asphalte pour la construction de routes ou des lubrifiants. Or le passage aux énergies vertes ne signifie pas qu’il n’y aura plus de routes ni de stations d’énergie, mais que ces stations devront adapter leur offre aux besoins des consommateurs en proposant des bornes électriques ou de l’hydrogène. En considérant les activités associées, seuls 6 millions d’emplois sur les 10,3 évoqués seraient donc spécifiquement liés à la production pétrogazière.

Une économie à zéro émission à l’horizon 2050

Le programme de Joe Biden ne prévoit pas l’arrêt de l’extraction des énergies fossiles, ni de se passer immédiatement de la fracturation hydraulique, mais d’enclencher leur remplacement par des énergies renouvelables génératrices d’emploi. Ce programme pour une économie à zéro émission à l’horizon 2050 prévoit 2 000 milliards dollars de dépenses, avec pour objectifs une réorientation des choix technologiques de l’industrie automobile, un accroissement de la production électrique à partir d’énergies propres et la remise en état des écosystèmes abîmés par l’extraction des ressources, volet consacré notamment aux millions de puits de gaz et de pétrole abandonnés non bouchés. Selon le programme démocrate, la remise en état des écosystèmes se traduirait à elle seule par la création de 250 000 emplois directs. Cet objectif suppose un investissement fédéral important qu’il sera difficile de faire supporter entièrement aux entreprises responsables des dommages.

Les destructions d’emplois qui interviendraient inévitablement dans le secteur des énergies fossiles doivent être mis en balance avec ceux que créerait le développement des énergies renouvelables. On est donc très loin de la destruction de 10,3 ou même de 6 millions d’emplois.


La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthropies, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.

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