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Fermeture de plusieurs Instituts Goethe en France : une décision dommageable pour la relation franco-allemande

Emmanuel Macron et Olaf Scholz pendant une conférence de presse commune
La fermeture de plusieurs Instituts Goethe a été abordée lors de la rencontre d’Emmanuel Macron et Olaf Scholz à Hambourg le 10 octobre dernier. Ludovic Marin/AFP

Au terme d’un « dialogue stratégique » mené avec le ministère allemand des Affaires étrangères, la Direction centrale des Instituts Goethe, domiciliée à Munich, a fait part le 27 septembre 2023 de son intention de procéder à une « transformation globale » de son réseau dans le monde.

L’Institut Goethe, association de droit privé largement dépendante des subsides de l’État fédéral, compte aujourd’hui 158 centres culturels dans 98 pays.

Fin 2023, une dizaine de ses centres culturels seront fermés, dont trois en France – Bordeaux et Lille, ainsi que le bureau de liaison installé à Strasbourg –, trois en Italie (Gènes, Turin et Naples) et d’autres également à Osaka, Rotterdam et même à Washington, en raison des coûts particulièrement élevés engendrés par l’institut dans la capitale des États-Unis. Ces fermetures – qui entraîneraient la suppression de 110 emplois et permettraient à l’État fédéral allemand de vendre les bâtiments où les centres étaient installés – ont suscité de nombreuses protestations.

Une décision qui va à l’encontre de la mission fixée aux Instituts Goethe

La fermeture de ces dix centres est officiellement justifiée par la volonté des autorités allemandes de s’en remettre aux nouvelles technologies pour favoriser les échanges et, surtout, de s’adapter aux nouvelles conditions géopolitiques et climatiques que connaît le monde et de faire face aux contraintes financières engendrées par ce que le chancelier Scholz a appelé un « changement d’époque » (Zeitenwende) suite à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine.

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Les économies ainsi réalisées, de l’ordre de 24 millions d’euros par an, permettraient de financer l’installation de nouveaux centres culturels en Europe de l’Est et dans le Caucase, ainsi que dans le Pacifique Sud, région qui supporte le plus directement les effets du changement climatique.

Pour la France, le choix des instituts à fermer n’est pas sans rappeler la vague de fermetures envisagée au tournant du millénaire qui devait concerner Marseille, Toulouse, Bordeaux et Lille. La vigueur des protestations des municipalités comme de la société civile avait pourtant permis, à l’époque, de conclure des compromis, à vrai dire au prix de coupes sombres dans les budgets et de la vente de quelques bâtiments. À Lille, le premier Institut Goethe à avoir été ouvert en France (en 1957) avait dû fermer sa bibliothèque, dont l’essentiel des volumes avait été réparti entre les bibliothèques universitaire et municipales, et abandonner ses cours de langue. L’Institut Goethe de Lille, qui n’occupe plus, en location, que 15 % de son ancien bâtiment, était devenu une antenne de celui de Paris.

Avec une équipe réduite à 4 puis à 2 personnes, il a pourtant joué jusqu’à maintenant le rôle actif d’un relais linguistique et culturel allemand dans le Nord et le Pas-de-Calais – et au-delà – tout en conservant sa spécialisation comme filmothèque.

La situation du centre de Bordeaux est plus étonnante encore. L’Allemagne a acheté son bâtiment dans les années 1990 ; celui-ci a fait alors l’objet d’une importante rénovation. À l’occasion de l’installation dans ses locaux du Consulat général d’Allemagne en 2005, de nouveaux travaux y ont été réalisés. La bibliothèque a été sauvée en 2006 grâce au soutien des bibliothèques universitaires et municipales de la ville ainsi que de la Région et du Département. Le Goethe-Institut de Bordeaux a fêté cette année son 50e anniversaire ; son ancienne bibliothécaire lui a consacré un hommage riche et passionnant dans un livre qui vient de paraître.

Les arguments avancés pour justifier ces fermetures sont d’autant plus étonnants qu’ils entrent en contradiction avec les principes directeurs des Instituts Goethe et les valeurs qu’ils défendent. La mission des instituts Goethe est, en effet, de propager l’apprentissage de la langue et de la culture allemandes dans le monde et, est-il précisé en 2023, d’y conforter les valeurs de la démocratie et de combattre l’illibéralisme et les populismes et nationalismes naissants. Or ces phénomènes ne sont pas étrangers aux sociétés française et italienne…

Pour la France vient s’ajouter le fait que 2023 est l’année du 60e anniversaire du Traité de l’Élysée qui, de même que le traité d’Aix-la-Chapelle qui est venu le compléter en 2019, prône l’apprentissage de la langue du pays voisin et la connaissance de sa culture et de sa civilisation.

Or l’apprentissage de l’allemand est en net recul en France depuis une vingtaine d’années.

Levée de boucliers en France et en Allemagne

L’annonce de ces fermetures a provoqué de multiples protestations, en particulier en France où des pétitions ont en peu de temps recueilli des milliers de signatures.

Les médias ont pour leur part fait leur travail d’explication et d’analyse, répercutant l’incompréhension des autorités régionales et locales.

Brigitte Klinkert, coprésidente de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, créée en 2019 par un accord entre l’Assemblée nationale et le Bundestag, a cosigné avec son homologue allemand Nils Schmid une tribune dans Le Monde qui conclut :

« Ce n’est pas simplement la fidélité à notre histoire commune qui doit commander la sauvegarde de ces instituts, mais bien le signe que nous souhaitons continuer de construire l’avenir ensemble. »

Le monde politique et les médias allemands n’ont pas été en reste.

Dès le 5 octobre, Armin Laschet – ancien ministre-président du Land de Rhénanie-Westphalie du Nord –, Volker Ulllrich et Andreas Jung, tous deux députés au Bundestag, tous trois du parti chrétien-démocrate (CDU, aujourd’hui dans l’opposition à Berlin), ont sur la radio Deutschlandfunk lancé un appel au chancelier Scholz pour qu’il revienne sur ces fermetures. Anke Rehlinger (SPD), dans ses fonctions de représentante plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne pour les relations culturelles entre la France et l’Allemagne, a vivement critiqué la fermeture d’Instituts Goethe en France tandis que le secrétaire général allemand de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), Tobias Bütow, estimait que ces fermetures « étaient contraires aux valeurs défendues par le traité de l’Élysée ».

Les grands journaux allemands se sont fait l’écho des protestations en France, l’article le plus retentissant étant celui de la Süddeutsche Zeitung (SZ) du 5 octobre 2023, sous la plume de Nils Minkmar, intitulé « Fuck you, Goethe », dans lequel l’auteur estime que ces fermetures en Europe représentent « une catastrophe stratégique en matière de politique culturelle » et que l’on a besoin de plus et non pas de moins d’Instituts Goethe dans le monde.

La SZ enfonce le clou quelques jours plus tard pour dénoncer ce qu’elle appelle « le mépris et l’ignorance crasse » de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock envers la culture, à un moment où les relations franco-allemandes sont au plus bas.

Quelles solutions possibles ?

L’affaire a été abordée lors du séminaire franco-allemand de Hambourg, le 10 octobre dernier, par le chancelier allemand et le président français. Olaf Scholz a habilement repris les arguments avancés par la présidente du Goethe-Institut, Carola Lentz, affirmant que cette transformation du réseau culturel allemand était orientée vers l’avenir et ne compromettait nullement l’amitié franco-allemande. Emmanuel Macron, pour sa part, a fait remarquer que la France, elle, ne fermait pas d’instituts culturels français en Allemagne.

Qu’en est-il au juste ? Il y aurait plus de vingt centres culturels français, mais leurs budgets sont, au total, inférieurs à celui de l’ensemble des Instituts Goethe aujourd’hui en France. La France compte en fait, en Allemagne, 13 instituts culturels de plein exercice (Berlin, Brème, Dresde, Düsseldorf, Francfort/Main, Hambourg, Cologne, Leipzig, Mayence, Munich, Saxe-Anhalt, Stuttgart, Thuringe) et 12 autres qui sont des centres culturels franco-allemands (Aix-la-Chapelle, Bonn, Erlangen, Essen, Fribourg, Hanovre, Karlsruhe, Kiel, Mannheim, Rostock, Sarrebruck et Tübingen). Ce sont ces centres franco-allemands qui méritent de retenir l’attention.

Le foisonnement des centres culturels français en Allemagne est le résultat de la politique culturelle qu’y a menée la France, principalement dans sa zone d’occupation après la Seconde Guerre mondiale, puis après l’unification de l’Allemagne en 1990.

Quand la France a repensé sa politique culturelle quelques années plus tard et cherché, dans un souci d’économies, à fermer un nombre non négligeable de ses centres culturels, les collectivités territoriales allemandes sont intervenues pour les sauvegarder. Ce fut le cas, notamment, à Essen, Erlangen, Fribourg et Tübingen.

L’exemple de Karlsruhe est particulièrement intéressant. Le Centre culturel franco-allemand de Karlsruhe (CCFA) est administré par une fondation présidée par le maire de Karlsruhe en charge des affaires culturelles de la ville. Le Conseiller culturel de l’ambassade de France à Berlin fait partie du conseil de la fondation, tout comme le Consul général de France de Stuttgart et la directrice du centre culturel, actuellement Marlène Rigler. Un représentant du ministère pour la Culture, la Jeunesse et le Sport du Land de Bade-Wurtemberg y siège également. Ouvert en 1952, le centre de Karslruhe doit sa survie en 2001 à un accord entre la France, la municipalité de Karlsruhe et du Land de Bade-Wurtemberg. Le côté allemand a su faire les démarches et mobiliser les moyens nécessaires pour préserver un acquis jugé essentiel de la relation franco-allemande.

Pourquoi la même chose ne serait-elle pas possible aujourd’hui en France pour sauvegarder les Instituts Goethe menacés de fermeture par une décision comptable et non pas stratégique de leur direction centrale ? Pour y parvenir, cela implique que l’Allemagne ne considère pas sa politique culturelle extérieure comme son affaire exclusive et qu’en France régions et municipalités surmontent l’idée que ce serait l’affaire de la seule Allemagne et pas la leur aussi, et inaugurent sur le modèle pratiqué en Allemagne une nouvelle forme de coopération culturelle franco-allemande.

D’autant que La France et l’Allemagne se sont déclarées prêtes en 2019 à pratiquer de nouvelles formes de coopération culturelle. Le 2e des 15 projets prioritaires identifiés par le Traité d’Aix-la-Chapelle prévoit la création d’instituts culturels franco-allemands intégrés à Rio de Janeiro, Palerme, Erbil et Bichkek, ainsi que la co-localisation de cinq instituts français et allemands à Cordoba, Atlanta, Glasgow, Minsk et Ramallah. Il est précisé que le premier Institut culturel franco-allemand, « Kultur Ensemble », a ouvert ses portes à Palerme en juin 2021. Pourquoi pas à Bordeaux, Lille et Strasbourg, pourquoi pas également une coopération semblable en Italie et aux Pays-Bas ? Plutôt que de fermer, il suffirait de rouvrir les dossiers pour entamer des négociations avec les partenaires français, italiens ou néerlandais.

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