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photo d’une soignante tenant les mains d’une personne assise sur une chaise.
La question de l’aide active à mourir figurera au centre des débats sur le futur texte de loi sur la fin de vie. Shutterstock / David Gyung

Fin de vie : pourquoi le « droit de provoquer délibérément la mort » bouleverserait l’éthique médicale et la relation de soin ?

En ce début de 2024, les contours ainsi que les règles d’application d’une législation favorable à l’aide à mourir semblent se préciser, en dépit d’un exercice politique difficile à décrypter. Le président de la République Emmanuel Macron devrait annoncer sa position définitive en février. Dans un premier temps, il semble acquis qu’elle concernera les soins palliatifs.

L’arbitrage législatif qui suivra le projet de loi sera notamment consacré aux conditions d’encadrement du caractère « exceptionnel » de l’aide à mourir ainsi qu’à ses conséquences sur la déontologie des pratiques soignantes.

J’évoquerai tout d’abord l’émergence du concept d’exception d’euthanasie il y a 24 ans (car la distinction entre suicide médicalement assisté et euthanasie semble l’un des points de tension éthique dont il sera débattu), avant d’anticiper l’impact d’une médecine du faire mourir dans la rédaction du prochain code de déontologie médicale.

« Une sorte d’exception d’euthanasie »

Rappelons que l’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide « médicalement assisté », en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort.

Dans son avis du 27 janvier 2000 intitulé « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) indiquait que l’euthanasie « consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable. »

Il me semble utile d’en reprendre ici quelques extraits, car cet avis préfigure le cadre législatif qui pourrait être proposé en 2024, au même titre que l’avis du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité ».

Lors de la publication du texte en 2000, le CCNE anticipait avec clairvoyance les risques d’une contractualisation de la relation de soin qui intégrerait le droit de disposer des compétences du soignant pour exécuter une demande de mort (ce à quoi s’opposent plusieurs sociétés savantes de professionnels de santé) :

« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. […] »

L’avis n° 63 s’avère pertinent lorsqu’il aborde les conditions d’une dépénalisation de l’euthanasie avant l’examen d’une juridiction au cas par cas. En cela, il se refuse à toute légalisation de l’aide à mourir ainsi qu’au seul recours à une procédure collégiale étayant la décision d’un médecin :

« Sur le plan du droit, ces constatations ne devraient pas conduire pour autant à la dépénalisation et les textes d’incrimination du Code pénal ne devraient pas subir de modification. Les juridictions, chargées de les appliquer, devraient recevoir les moyens de formuler leurs décisions sans avoir à user de subterfuges juridiques faute de trouver dans les textes les instruments techniques nécessaires pour asseoir leurs jugements ou leurs arrêts. La procédure pénale pourrait offrir des solutions dont il n’appartient toutefois pas au CCNE de définir les modalités. Tout au plus peut-il tenter de formuler l’une ou l’autre suggestion de nature à contribuer à la réflexion. L’acte d’euthanasie devrait continuer à être soumis à l’autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s’il était présenté comme tel par son auteur. »

C’est pour se conformer à de tels principes que le CCNE avance le concept « d’exception d’euthanasie ». Il suscite aujourd’hui encore des débats contradictoires. En effet, comment caractériser la nature d’une « circonstance exceptionnelle » dès lors que chaque fin de vie est en soi singulière ? Le risque n’est-il pas de qualifier ou de disqualifier les circonstances de maladies spécifiques qui apparaîtraient plus insupportables, voire indignes d’être vécues, que d’autres ?

Le CCNE évoque alors 3 « mobiles » susceptibles de justifier l’acte létal :

« Une sorte d’exception d’euthanasie, qui pourrait être prévue par la loi, permettrait d’apprécier tant les circonstances exceptionnelles pouvant conduire à des arrêts de vie que les conditions de leur réalisation. Elle devrait faire l’objet d’un examen en début d’instruction ou de débats par une commission interdisciplinaire chargée d’apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit, mais des mobiles qui les ont animés : souci d’abréger des souffrances, respect d’une demande formulée par le patient, compassion face à l’inéluctable. Le juge resterait bien entendu maître de la décision. »

Observons que dans sa résolution « Fin de vie, “assistance à mourir” » du 8 février 2013, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a intégré à sa réflexion déontologique les « situations cliniques exceptionnelles », tenant compte de manière implicite des préconisations du CCNE en 2000.

Le CNOM y apporte cependant quelques précisions :

« Sur des requêtes persistantes, lucides et réitérées de la personne, atteinte d’une affection pour laquelle les soins curatifs sont devenus inopérants et les soins palliatifs instaurés, une décision médicale légitime doit être prise devant des situations cliniques exceptionnelles, sous réserve qu’elles soient identifiées comme telles, non pas par un seul praticien, mais par une formation collégiale. »

Plutôt que de proposer l’euthanasie comme finalité explicite de la décision médicale et mentionnant, comme dans l’avis n° 63 du CCNE, le recours à « une commission interdisciplinaire » sous forme de « collège », le CNOM propose :

« une sédation, adaptée, profonde et terminale délivrée dans le respect de la dignité pourrait être envisagée, par devoir d’humanité, par un collège dont il conviendrait de fixer la composition et les modalités de saisine. Ce collège fonderait son avis sur l’évaluation de la situation médicale du patient, sur le caractère réitéré et autonome de sa demande, sur l’absence de toute entrave à sa liberté dans l’expression de cette demande. »

La position de l’Académie nationale de médecine

Quelques jours après la publication de cette résolution du CNOM, le 26 février 2013, L’Académie nationale de médecine prenait position, dans un communiqué, contre ce recours à la une « sédation, adaptée, profonde et terminale » assimilable à un « arrêt de vie », donc à une euthanasie. L’Académie rappelait sa volonté de « distinguer clairement “fin de vie” et “arrêt de vie” et [de] souligner que le terme “fin de vie” lui-même recouvre des situations bien distinctes ».

Selon cette instance, la loi Leonetti et les textes réglementaires qui l’accompagnent permettaient aux médecins « de répondre aux situations difficiles de fin de vie – en dépit de leur complexité ».

Dans un communiqué, l’Académie soulignait que

« “l’arrêt de vie” (aide à mourir en réponse à une demande volontaire à mourir, alors que la vie en elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme, ni immédiatement menacée) ne peut être assimilé à un acte médical. Au-delà de l’aspect sémantique, l’Académie de médecine invite à la rigueur dans l’emploi des mots et des formules, tout écart en ce domaine étant susceptible d’interprétations tendancieuses, au risque de dénaturer les termes d’une loi toujours en vigueur et qu’elle entend défendre. »

Dix ans plus tard, en 2023, les membres de l’Académie nationale de médecine préconiseront de « ne pas effacer les textes fondateurs par une loi nouvelle, mais reconnaître les situations de souffrance insoutenables et inhumaines qui n’entrent pas dans le champ de ces textes ». Des situations qui seraient donc de nature à être prises en compte si la législation évoluait.

L’enjeu actuel sera de tenter d’établir une définition rigoureuse de ce qui sera considéré comme une situation exceptionnelle pour justifier une aide à mourir, sans donner à penser que des « critères de minutie » établis à cet égard seraient de nature à se substituer à une approche au cas par cas, concertée et responsable.

Quel serait l’impact d’un « droit de provoquer délibérément la mort » ?

En pratique quelles seraient les conséquences d’une évolution législative sur la déontologie médicale, sur l’engagement et la relation dans l’accompagnement et le soin ?

Pour étayer cette anticipation, je me référerai au seul document officiel accessible en ce début 2024 : le projet de loi du 6 octobre 2023 relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie.

Ses rédacteurs affirment dans son article 11, qui « définit l’aide à mourir » que

« L’aide à mourir s’inscrit dans la continuité des droits des patients énoncés à l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, qui dispose que : “Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté.”, sans être elle-même qualifiée de droit. Cette aide ouvre à la personne en fin de vie la possibilité de bénéficier de l’administration d’une substance létale. L’administration de cette substance est par principe réalisée par la personne elle-même. »

Dans un premier temps, l’article concernerait le suicide médicalement assisté. Précisons cependant que l’article L. 1110-5 a été revu à la suite du vote de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Sa signification en est détournée dès lors que le texte est tronqué dans l’interprétation qui en est tirée.

En effet, l’article L. 1110-5-3 n’évoque en rien une « aide » assimilée à « l’administration d’une substance létale » :

« Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. […] »

Or, en quelques lignes, levant tout obstacle à une interprétation extensive d’un texte qui n’a pas été rédigé à cette fin, les auteurs du projet de loi du 6 octobre 2023 en concluent (second temps de leurs projet) – toujours dans l’article 11 – que

« le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer : si la personne est en incapacité physique de s’autoadministrer la substance létale, un tiers peut la lui administrer ».

Il s’agit bien d’une légitimation de la notion « d’exception d’euthanasie » qui pensée, façonnée et en quelque sorte validée par les instances d’éthique ou de déontologie à travers un travail d’élaboration depuis 2000, ne peut pas aujourd’hui leur permettre d’émettre à son égard la moindre réserve, et ce même si elles estimaient que l’on a accordé une interprétation extensive à des positions exprimées avec nuance et prudence.

Dans l’hypothèse de l’évolution disruptive que provoquerait dans le champ de l’éthique médicale la légalisation de l’aide à mourir, l’article R. 4127-38 du code de la santé publique devrait être alors modifié, abolissant l’un des principes cardinaux de la déontologie médicale : « le (médecin) n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

Si la loi devait évoluer en ce sens, l’article 38 du code de déontologie, repris dans le code de la santé publique, devrait subir une modification sur un autre point, puisqu’il faudrait préciser que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, ainsi que les conditions de l’aide à mourir et réconforter son entourage. »

La nouvelle version de l’article R. 4127-38 du code de la santé publique confronterait les soignants à des dilemmes éthiques de nature à fragiliser leurs positions dans les circonstances les plus délicates. Ce dont témoignent des organisations de professionnels de santé, lorsqu’elles déclarent qu’« il est légitime que tout individu puisse exprimer son souhait de mourir, mais il est impératif que le dialogue qui doit alors s’engager ne soit pas faussé par le fait que celui qui entend ce cri de souffrance disposerait du droit de vie ou de mort, de la possibilité de dire oui ou non. »

Qu’en sera-t-il des critères de justification et de distinction permettant de circonscrire les limites entre « les soins et mesures appropriés à la qualité d’une vie qui prend fin » et l’aide à mourir ? In fine, sera-t-on encore fondé à se préoccuper de tels enjeux, dès lors que la loi fixera des normes et instituera des pratiques compatibles avec l’acceptabilité éthique du protocole de la mort donnée ?

L’article R.4127-37 du code de la santé publique devrait lui aussi, être révisé. Rappelons que ce texte dispose que :

« En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »

Or, dès lors que la souffrance est l’un des arguments susceptibles d’être invoqués pour justifier l’aide active à mourir, l’option devra être explicitement énoncée dans cet article. « Soulager les souffrances du malade » pourra en effet s’envisager jusque dans l’acte qui met un terme à ses souffrances.

Lorsque l’assistance médicale peut alternativement relever d’une médecine de l’accompagnement ou d’une médecine de la mort donnée, il semble délicat de fixer des lignes de conduite. Ce que la fin d’une vie a d’humain, d’exceptionnel et de singulier peut-il être reconnu et respecté dans une législation relative à l’aide à mourir forcément normative ?

À l’épreuve du renoncement à un principe cardinal de l’éthique médicale, qu’en sera-t-il demain de la déontologie et de la relation de confiance essentielle à l’humanisme du soin ?

Ces questions se posent aujourd’hui en des termes politiques qui ne peuvent s’exonérer d’une exigence éthique. Elles semblent mériter mieux que ce dont témoigne la version provisoire du projet de loi du 6 octobre 2023 relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, ainsi qu’une considération sociale à l’égard de la personne vulnérable dans la maladie où ne prévalent pas les seules conditions de son aide à mourir.


Pour aller plus loin :

- Hirsch, E. 2023 « Devoir mourir, digne et libre », Ed. du Cerf ;

- Hirsch, E. 2024 « Soigner par la mort est-il encore un soin ? », Ed. du Cerf (à paraître).

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