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François Fillon et la poule mouillée

François Fillon face à la presse, à Paris, le 1er mars 2017. Christophe Archambault / AFP

La décision annoncée ce 1er mars par François Fillon de maintenir sa candidature malgré sa mise en examen est dans la continuité de sa stratégie depuis les révélations du Canard Enchaîné. Cette stratégie s’est jouée sur deux scènes : la scène publique et médiatique, où il s’agit pour lui de répondre aux faits qui lui sont reprochés, et la scène plus secrète de son entourage politique. Dans les deux cas, évidemment, l’enjeu est son maintien comme candidat des Républicains pour l’élection présidentielle.

Les stratégies adoptées par François Fillon sont de nature très différentes selon la scène sur laquelle elle se joue. Après un temps de flottement, la stratégie publique s’est précisée pour aboutir à la conférence de presse du 6 février et à la « lettre » publiée le 8. Démentis, justifications, accusations en retour : le candidat, dans l’ensemble, réaffirme sa revendication d’intégrité, même s’il présente des excuses. Ses engagements à se retirer en cas de mise en examen apparaissent, rétrospectivement, comme des moyens d’étayer à peu de frais cette revendication d’intégrité.

Sur la scène interne de son parti, c’est une tout autre stratégie qui est développée. C’est celle-ci que je propose d’analyser plus en détail.

Le choix d’une stratégie violente

À l’intérieur de sa famille politique, l’enjeu immédiat pour François Fillon était d’éviter l’apparition d’un candidat de substitution (le fameux « plan B ») suffisamment légitime pour que son maintien apparaisse comme une aventure trop risquée. On pourrait penser que le travail consistait à persuader ses « amis » politiques que les dommages causés par les révélations étaient réparables et à mettre en valeur les résultats obtenus par la contre-attaque menée sur la scène publique et médiatique.

Ce n’est cependant pas l’approche que François Fillon a retenue et mise en œuvre depuis quelques jours, probablement parce qu’elle était trop incertaine et demandait trop de temps. La stratégie mise en place est beaucoup plus violente et rappelle fortement une figure bien connue analysée par la théorie des jeux : celle du jeu de la poule mouillée.

Le jeu de la poule mouillée (chicken game) peut être illustré par le défi que se lancent deux jeunes hommes pour faire la lumière sur qui « en a » ou pas. Il consiste à foncer l’un vers l’autre, en voiture, sur une route étroite. Celui qui donnera un coup de volant pour éviter le choc est une « poule mouillée », l’autre sera celui qui « en a ». Bien entendu, l’épreuve peut aussi produire deux perdants (deux poules mouillées qui auront chacune évité l’autre).

Ce qu’elle ne peut pas produire, sinon à titre posthume, ce sont deux gagnants. Ce « jeu », c’est-à-dire cette structure d’interaction décisionnelle, est évidemment extraordinairement risqué. C’est pourquoi, en général, un acteur rationnel cherche à éviter de se trouver dans une telle situation.

Au risque du crash

C’est là-dessus que François Fillon s’est appuyé vis-à-vis de son propre parti. Il a façonné la situation de sorte qu’elle s’apparente à un jeu de la poule mouillée. Son but n’était pas de s’engager lui-même dans une telle situation, mais de dissuader ses amis politiques de lui faire défection. Voici (si l’on en croit Le Canard enchaîné du 8 février) le dispositif qu’il a mis en place.

Tout d’abord, il a signalé sa capacité à décider seul de son comportement en rappelant qu’il est l’unique candidat juridiquement légitime, selon les statuts du parti Les Républicains. Lui seul peut décider de se retirer, aucune instance ne peut le destituer. Ensuite, il a manifesté sa détermination : il maintiendra sa candidature quoiqu’il arrive. Ces deux éléments combinés signifiaient qu’il est prêt à lancer sa voiture sur la route et qu’il ne dévierait pas.

Au Carnaval de Nice, le 11 février 2017. Valéry Hache/AFP

Ce faisant, il a placé ses amis politiques devant une alternative très simple : lancer une voiture en face de lui (s’engager dans le jeu) ou pas (refuser le jeu). Lancer une voiture contre lui signifiait ici lui opposer un candidat de remplacement. Mais cela va plus loin : tout acte de défiance (chercher un possible candidat de remplacement, ne pas affirmer son soutien, etc.) équivalait en pratique à lancer une voiture contre lui. Car tout ce qui aurait affaibli le candidat officiel, sans pour autant l’empêcher de se présenter, équivalait pour son parti à risquer un crash dont profiteront les autres candidats des autres partis, pour le moment spectateurs du défi.

Le tout pour le tout

La menace de François Fillon était crédible : après tout, il n’avait rien à perdre. Pour lui, ne pas être candidat ou perdre à l’élection, c’est dans les deux cas non seulement la fin de son ambition présidentielle, mais encore la fin de sa carrière politique nationale. Sa détermination à jouer le tout pour le tout, y compris contre son propre parti (ou une partie significative de son parti) pouvait donc être prise au sérieux.

Pour monter cette stratégie, François Fillon a bénéficié des divisions internes à sa famille politique. Beaucoup, dit-on, auraient été prêts à lui retirer leur soutien, mais ces opposants potentiels n’étaient pas d’accord sur la personne à lancer dans la course. Pour filer notre métaphore, ils n’avaient pas la voiture qu’ils pourraient lancer contre lui. François Fillon a su exploiter cet avantage : non seulement la manœuvre d’opposition était hautement risquée face à quelqu’un qui était crédible dans son engagement à ne pas se comporter en poule mouillée, mais encore elle était coûteuse et incertaine en elle-même, indépendamment des actions de François Fillon.

Une telle stratégie ne prend aucunement en compte les risques qu’elle fait courir à la famille politique de François Fillon en la contraignant à soutenir un candidat aux chances de victoire sans doute réduites. Elle néglige également la possibilité de favoriser la victoire d’un(e) candidat(e) particulièrement indésirable (selon François Fillon lui-même) et donc le risque de sacrifier les intérêts de la France (selon François Fillon lui-même) à une ambition personnelle, aussi légitime soit-elle.

Il y a deux semaines, cette stratégie n’apparaissait guère compatible avec la revendication d’intégrité et de dévotion à la République manifestée par le candidat Fillon sur la scène publique et médiatique. On sait aujourd’hui que, en fait, selon François Fillon, ce serait la République qui fonctionne mal.

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