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Un homme brandit un drapeau. Fumée et incendies en arrière-plan.
Un manifestant brandit un drapeau haïtien lors de manifestations réclamant la démission du Premier ministre Ariel Henry à Port-au-Prince, le 1er mars 2024. La crise actuelle commande une nouvelle approche de la communauté internationale, et du temps. (AP Photo/Odelyn Joseph)

Haïti s’est enfoncé dans la crise. Voici quatre solutions pour l’aider à s’en sortir – et cela prendra du temps

L’état de crise est complet en Haïti. Une mission internationale conduite par le Kenya devait arriver début 2024, avant d’être suspendue en raison de la situation désastreuse dans le pays.

Dernier coup d’éclat : la démission du premier ministre nommé Ariel Henry, le 11 mars 2024. Cela a amené une certaine accalmie, mais en l’absence de solutions politiques concertées, cette dernière pourrait n’être que de courte durée.

Nombre de pays soutiennent actuellement la création d’un conseil présidentiel de transition. Les États-Unis ont débloqué 133 millions de dollars, et les Nations-Unies devraient initier « un pont aérien » entre Haïti et la République dominicaine afin de faciliter l’entrée de l’aide humanitaire.

Ces actions de la communauté internationale peuvent-elles mettre fin à l’instabilité politique et institutionnelle en Haïti ?

Un homme pousse un chariot devant un feu allumé dans la rue
Chaos dans les rues de Port-au-Prince, le 7 mars 2024. (AP Photo/Odelyn Joseph)

Ancien fonctionnaire de l’administration publique haïtienne, pour laquelle j’ai travaillé pendant huit ans, je suis aujourd’hui chercheur et chargé d’enseignement à l’École nationale d’administration publique. Mon co-auteur a enseigné la conception et la mise en œuvre des politiques publiques en Haïti. Les analyses et conclusions que nous présentons sont tirées de nos expériences professionnelles et de nos travaux de recherche.

Haïti au milieu du chaos

En juillet 2018, des vagues de violences ont secoué Haïti. La population protestait contre la montée des prix des carburants. Ces mouvements de contestations ont servi de précédents au développement d’un phénomène dénommé « peyi lock », ou blocage du pays, devenu récurrent depuis. Il entraîne une mise à l’arrêt de tous les secteurs prioritaires, comme les écoles ou les banques. Les prisons ont aussi été prises d’assaut.

Trois hommes armés gardent une porte semi-ouverte
La police nationale monte la garde devant le pénitencier national, le 14 mars 2024, pris d’assaut par des gangs armés deux semaines auparavant. Des centaines de détenus se sont échappés. (AP Photo/Odelyn Joseph)

La crise est multidimensionnelle : politique, économique, sécuritaire, humanitaire. Selon l’UNICEF, 80 % de la capitale, Port-au-Prince, seraient contrôlés par les gangs criminels, avec à leur tête le désormais célèbre Jimmy « Barbecue » Chérizier.

Les 8 et 9 mars 2024, la crise a atteint son apogée lorsque des bandes rivales ont cherché à prendre le contrôle d’infrastructures névralgiques, dont le principal aéroport international et le port.

Un homme en treillis militaire est entouré de personnes tenant micros et cellulaires
Le chef de gang Jimmy « Barbecue » Chérizier s’adresse à des journalistes dans le quartier de Delmas, à Port-au-Prince, le 5 mars 2024. (AP Photo/Odelyn Joseph)

Une crise politique qui s’inscrit dans le temps

L’ancien président Jovenel Moïse, élu en 2017, n’avait pas déclenché d’élections durant tout son quinquennat. Cela a fragilisé les institutions publiques, déjà chancelantes, et la stabilité sécuritaire du pays.

Son assassinat le 7 juillet 2021, qui s’inscrit dans l’histoire politique mouvementée du pays, n’a fait qu’accélérer cette débâcle. La présidence est vacante depuis.

La crise actuelle ne date pas d’hier. Ses racines remontent à l’indépendance d’Haïti, en 1804. Depuis cette date, le pays a connu de nombreuses crises politiques.

La MINUSTAH, mission des Nations-Unies arrivée en Haïti en juin 2004, après le renversement du Président Jean-Bertrand Aristide le 29 février de cette année-là, avait pour objectif notamment de contribuer au renforcement de la Police nationale d’Haïti (PNH) pour faire régner l’ordre public, alors que sévissait un climat de crise et d’instabilité.

Des femmes portant des sacs remplis sur leur tête marchent dans une rue
Des vendeuses de rue sont prises dans un affrontement entre les forces policières et des gangs à Port-au-Prince, le 6 mars 2024. (AP Photo/Odelyn Joseph)

Cinq ans après le départ définitif de la MINUSTAH en 2019, le climat sécuritaire est délétère, voire apocalyptique.

La composition de l’effectif de la MINUSTAH constitue un des facteurs expliquant l’échec de la mission. Elle mobilisait 8 756 militaires et 3 555 policiers provenant de plus de 63 pays ayant chacun leurs façons de faire et d’opérer. Dans de telles conditions, il était difficile, voire impossible, d’assurer une cohérence dans les actions de la mission internationale. Par ailleurs, l’effectif militaire et constabulaire de la MINUSTAH était composé majoritairement des membres de pays où le respect des droits humains est souvent bafoué.

Il ne faut donc pas se surprendre que des ONG aient dénoncé tout au long de la présence de la MINUSTAH des cas de non-respect des droits humains. La MINUSTAH est une des missions les plus controversées de l’histoire de l’ONU. Elle a fait l’objet de plusieurs allégations d’exploitation et d’abus sexuels.


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Repenser la mobilisation de communauté internationale à Haïti

Une rencontre initiée par la CARICOM (Communauté caribéenne) s’est tenue le 11 mars en Jamaïque. Elle a réuni plusieurs acteurs internationaux pour discuter de la crise actuelle en Haïti et favoriser la création d’un Conseil présidentiel de transition, mandaté entre autres pour organiser les prochaines élections.

La société civile haïtienne a déjà nommé ses observateurs au sein de ce conseil présidentiel de transition. Mais le premier ministre démissionnaire, Ariel Henry, affirme toujours attendre de la CARICOM les noms des membres de ce conseil pour l’officialiser. Il semble donc que la crise soit, encore une fois, en voie de s’enliser.

Trois hommes assis, avec des drapeaux en arrière-plan
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken assiste, en compagnie du président de la Guyane, Irfaan Ali, et du premier ministre jamaïcain Andrew Holness, à une réunion d’urgence sur Haïti, lors de la conférence des chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), à Kingston, en Jamaïque, le 11 mars 2024. (AP Photo/Collin Reid)

Nous croyons que le désastre politique, sécuritaire et humanitaire que connaît Haïti requiert une mobilisation de la communauté internationale. Cette mobilisation doit cependant être repensée.


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Le pays étant affaibli sur le plan institutionnel, un accompagnement doit être planifié sur le long terme et viser une autonomie des institutions de manière progressive. Au cours des dernières décennies, les appuis apportés à Haïti ont privilégié le canal des ONG. Ce choix ne contribue malheureusement pas à renforcer les capacités institutionnelles des entités publiques. Ainsi, une fois que les ONG partent, il devient difficile pour les acteurs locaux de prendre le relais.

Notre connaissance du terrain nous invite plutôt à préconiser une démarche non imposée et respectueuse des intérêts et des besoins stratégiques d’Haïti. Nous pensons que le pays peut sortir de la crise à condition de compter sur une administration publique forte et sur une aide internationale coordonnée, menée par des pays dont les institutions respectent les droits humains.


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Cette aide doit sortir des sentiers battus et prioriser une approche participative, en intégrant les objectifs des Haïtiens pour leur pays. À la suite du séisme du 12 janvier 2010, la communauté internationale avait conduit des interventions non ordonnées, sans tenir compte des spécificités du contexte local. Le constat d’échec n’avait donc rien d’étonnant.

Le soutien à apporter à Haïti par la communauté internationale doit s’inscrire dans la durée. Le passage de la MINUSTAH confirme que des interventions ponctuelles de type humanitaire ou d’urgence ne peuvent être efficaces. Nous pensons que l’aide à apporter à Haïti doit être pensée non pas en années, mais en décennies.

Un homme assis devant une table mange tandis qu’un enfant assis sur la table se cache les yeux
De nombreuses familles ont été déplacées par la violence des gangs. Des refuges, comme celui-ci, à Port-au-Prince, le 14 mars 2024, les accueillent et leur donnent de la nourriture. (AP Photo/Odelyn Joseph)

On doit privilégier une approche multidimensionnelle pour solidifier, stabiliser et pérenniser les institutions publiques de l’État. Il ne suffit pas simplement d’appuyer la police nationale pour que l’ordre revienne. Ce sont toutes les institutions qui sont à rebâtir.

Les responsabilités des Haïtiens

En Haïti, les acteurs politiques et ceux de la société civile ont la responsabilité d’être proactifs dans la proposition de solutions viables. Nous croyons que le comportement attentiste souvent manifesté par l’élite intellectuelle haïtienne doit être révolu. Nous proposons ainsi qu’une concertation de toutes les forces vives de la nation, impliquant notamment la diaspora, est indispensable pour le renouveau du pays. C’est avec ces forces vives que doit composer l’aide internationale dans une démarche de soutien et d’autodétermination, plutôt que d’imposition comme le montre bien l’économiste américain, spécialiste de l’économie du développement, William Easterly, dans cet essai.

Il nous apparaît donc aujourd’hui qu’il faut adopter une démarche en quatre temps pour sortir Haïti de la crise qui la caractérise :

  1. Former une force internationale dont les pays membres sont respectueux des droits humains.

  2. Déployer cette force pour soutenir la police nationale et ramener l’ordre, la paix et la sécurité dans le pays, ce qui inclut traduire en justice les criminels qui orchestrent actuellement le désordre dans le pays.

  3. Organiser des États généraux pour concerter ces forces vives de la société civile et mettre sur pied un plan visant à rebâtir les institutions publiques du pays et à les pérenniser.

  4. Contribuer à la formation des agents de l’État et au développement des structures et processus qui seront nécessaires pour pérenniser les institutions publiques.

Ce plan est réalisable, à notre avis, à condition que les pays qui accepteront d’intervenir se résoudront à y demeurer quelques décennies.

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