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« Halte au cafard ! » : En Biélorussie, un président bousculé mais en route vers la réélection

Une manifestante tient une pancarte représentant le président Alexandre Loukachenka, sur laquelle on peut lire « Pars », à Minsk le 14 juillet 2020. Au fond, des affiches invitent les citoyens à se rendre aux urnes lors de la présidentielle du 9 août prochain. Sergei Gapon/AFP

En 2005, Condoleezza Rice, secrétaire d’État de l’administration Bush, assène une sentence sans appel à propos de la Biélorussie, qu’elle qualifie de « dernière dictature au cœur de l’Europe ». C’est peu dire que, depuis, le pays n’est pas parvenu à se défaire de cette image.

Divers rapports ne cessent de pointer l’anti-démocratisme de ce très jeune État né de l’effondrement de l’URSS en 1991. Il est vrai que la gestion du pouvoir par son premier et unique à ce jour président de la République, Alexandre Loukachenka (c’est ainsi que son nom s’écrit dans la langue locale, même s’il est souvent translittéré « Loukachenko » à l’extérieur), n’aide pas à voir la Biélorussie autrement.

Aux commandes depuis plus d’un quart de siècle (élu en 1994 et réélu en 2001, 2006, 2010 et 2015, toujours avec plus de 77 % des suffrages), cet ancien directeur de sovkhoze aujourd’hui âgé de 65 ans a mis un terme au début de transition démocratique en grignotant toujours davantage les libertés individuelles. Lors d’un référendum en 1995, il rétablit les symboles soviétiques. Dès lors, les États de l’ancien bloc de l’Ouest sont formels : la Biélorussie est le dernier État communiste d’Europe. Une procédure d’ostracisme se met en marche, plaçant la Biélorussie au ban de la communauté internationale, ce qui laisse, à l’intérieur, les mains libres à son président.

Pourtant, la Biélorussie est-elle vraiment une dictature ? Le terme est aujourd’hui tellement dévoyé. Un régime autoritaire ? C’est certain. Une démocratie illibérale ? Oui, également. Loukachenka est-il plus anti-démocratique qu’Orban en Hongrie ou Vućić en Serbie ? La réponse est plus complexe et mérite réflexion. Justement, l’élection présidentielle prévue le 9 août prochain offre l’occasion de se rendre compte que la Biélorussie n’est pas si figée dans le passé.

Des opposants aux profils très différents

La Commission électorale centrale (CEC) a validé trois candidatures outre celle d’Alexandre Loukachenka. Pour pouvoir se porter candidat, il faut recueillir au moins 100 000 signatures de soutien auprès des citoyens. Cette quête, habituellement effectuée par le porte-à-porte, a été grandement contrariée par la crise du Covid-19. Quoi qu’il en soit, Loukachenka est pour le moment le seul candidat officiellement enregistré. Face à lui, des adversaires aux profils variés se présentent.

Le paysage politique biélorussien est à la fois simple et complexe. Alexandre Loukachenka monopolise l’ensemble du pouvoir, et l’opposition politique est absente des institutions depuis 1996. Toutefois, elle cherche par tous les moyens à exister, que ce soit sous la forme de partis politiques ou d’initiatives de la société civile.

D’abord, les partis de centre droit se sont entendus pour organiser des primaires afin de désigner un candidat commun. Toutefois, la crise sanitaire a fortement bouleversé le déroulement de celles-ci, empêchant la désignation d’un candidat.

Ensuite, deux personnalités publiques briguent le poste : Valéry Tsepkalo, ancien ambassadeur de la Biélorussie aux États-Unis et Viktor Babaryko, ancien directeur de la banque Belgazprombank. Ces deux hommes, non issus du système politique mais membres de l’élite financière, possèdent de nombreux points communs. Ils proposent une alternance politique, notamment en remettant les principes démocratiques au cœur du débat. Néanmoins, leur principal point commun réside sûrement dans leurs non-dits. Se voulant fédérateurs, ils préfèrent ne pas s’engager dans des sujets clivants tels que la question de l’identité biélorussienne ou l’intégration à l’Union européenne, les renvoyant à des débats publics ultérieurs.

Viktor Babaryko, ancien directeur de la Belgazprombank tient une conférence de presse à Minsk le 11 juin 2020. Sergei Gapon/AFP

Le candidat le plus iconoclaste est sans doute le blogueur Sergueï Tikhanovski. Sur sa chaîne YouTube, il publie des vidéos témoignant des dommages causés par le régime de Loukachenka aux Biélorussiens. Il devient rapidement le candidat des classes moyennes et populaires.

Des contestations et des répressions

Contrairement à une idée préconçue sur la Biélorussie, elle est parfois secouée par des mouvements de contestation populaire à l’encontre d’Alexandre Loukachenka. Ceux-ci ont généralement lieu lors des présidentielles. En effet, selon la Constitution, un président ne peut se présenter à plus de deux mandats consécutifs. Loukachenka n’a donc légalement plus le droit de se porter candidat depuis la fin de son deuxième mandat… en 2006. Sa nouvelle candidature cette année-là a déclenché dès 2005 la « révolte en jeans » qui s’est soldée par de sévères répressions et une nouvelle élection aisément remportée par le sortant.

Les Femen tentent régulièrement des actions à son encontre, au péril de leur vie. Dès lors, les Biélorussiens, s’inspirant des préceptes du Serbe Srđa Popović], imaginent des moyens de contestation détournés visant à ridiculiser le régime. Ainsi l’un des slogans de ralliement des anti-Loukachenka, « Stop Tarakan » (Halte au cafard) a-t-il fait florès.

La contestation est bien différente aujourd’hui, et l’opposition, absente du pouvoir depuis la dissolution de 1996, souhaite se faire entendre. Les répressions, visibles mais non violentes, sont nombreuses. En effet, depuis 2013, Loukachenka souhaite revenir au sein de la communauté internationale. Conséquence : ses opposants ne disparaissent plus mais sont « seulement » légalement empêchés de participer au scrutin.

Ainsi, début juin, alors qu’ils déposent leurs signatures auprès de la CEC, deux potentiels candidats sont arrêtés par la police. Mikola Stratkevitch, un des plus fervents opposants à Loukachenka, est lui aussi arrêté alors qu’il est légalement inéligible en raison de son casier judiciaire.

De son côté, Sergueï Tikhanoski est arrêté le 29 mai à Hrodna. Il est interpellé pour « usage de la violence à l’égard de représentants des forces de l’ordre ». Il semblerait qu’il répondait à des provocations de celles-ci. Pour ne pas perdre le bénéfice des signatures, sa femme se présente finalement à sa place. Cette substitution de candidature ne semble pas poser de problème. Loukachenka lui-même n’ayant pas réagi sur la question de la légalité mais sur celle du genre : selon le quotidien russe Kommersant, il aurait alors déclaré que la « Constitution n’est pas taillée pour une femme ».

Le 18 juin, Viktor Babaryko est arrêté en compagnie de son fils. Le candidat est soupçonné de malversations financières. Déjà le 19 mai, le siège de la Belgazprombank avait été perquisitionné et des employés avaient désigné leur ancien patron comme « l’organisateur d’une machination financière ». Des manifestations éclatent le lendemain à Minsk, réclamant la libération du père et du fils. 140 personnes sont interpellées, ainsi que des journalistes étrangers.

La France réagit par un communiqué et le Royaume-Uni par un tweet.

La CEC a examiné les signatures et les conditions d’éligibilité pour chaque candidat. Elle a exclu deux prétendants : Babaryko et Tsepkalo. Cette annonce a déclenché des manifestations à Minsk.

Une élection sans suspense… en attendant la suivante

Si le scrutin du 9 août ne laisse planer aucun suspense quant à son issue, il n’en demeure pas moins inédit en Biélorussie. C’est en effet la première fois qu’Alexandre Loukachenka traverse une telle crise de légitimité. Certes, les Biélorussiens sont depuis longtemps en rupture avec leur président, comme l’attestent les ombreuses histoires drôles le dépeignant comme un homme stupide et imbu de sa personne. Toutefois, c’est la première fois que la rupture est aussi franche.

La négation de la crise du Covid-19 et le délitement des conditions de vie sont deux des principaux griefs de la population à l’encontre du chef de l’État. Ses opposants, notamment ceux ne venant pas du système politique, sont parvenus à créer un véritable mouvement de protestation.

Malgré tout, l’histoire récente des pays d’Europe centrale et orientale a montré que ce n’était pas suffisant. L’exemple de Slobodan Milošević en Serbie a montré que pour renverser un autocrate, il faut une opposition unie. Or ce n’est pas encore le cas en Biélorussie. Alexandre Loukachenka sera certainement élu le 9 août.

La Constitution prévoit deux tours de scrutin mais si un candidat obtient plus de 55 % au premier, il est élu. Loukachenka, on l’a dit, obtient généralement bien plus de 55 % dès le premier tour. Comme il n’y a que peu de doutes sur le trucage des élections, il ne devrait y avoir qu’un tour et des émeutes éclateront aussi sûrement. Il sera alors temps pour les oppositions de chercher un terrain d’entente, loin des guerres d’égos et des ambitions personnelles, pour mettre en place une stratégie conjointe en vue de la prochaine présidentielle, en 2025. Loukachenka se trouvera alors au pouvoir depuis plus de trente ans…

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