Au vu des déclarations consécutives au premier tour des primaires citoyennes, on pouvait craindre un débat qui dégénère en charges sabre au clair. On pouvait s’attendre à une confrontation animée par l’esprit d’une « campagne totale » au dire de Manuel Valls, reprenant en cela les termes des candidats de la liste Gironde Positive aux élections départementales de 2015. En définitive, le débat se joua plutôt à fleurets mouchetés devant 5,5 millions de téléspectateurs sur France 2 et TF1.
On se souvient du très pacifique Chirac-Jospin en 1995 et des très récents débats policés des primaires citoyennes, mais aussi du violent Fabius-Chirac en 1985 où le premier, traité de « roquet », avait rappelé à son interlocuteur qu’il parlait au premier ministre de la France.
Incontestablement c’est plutôt au genre « courtois » qu’appartient le débat Valls-Hamon du 25 janvier 2017, qui fut de bonne tenue et d’excellente qualité. Certes, il ne fut pas marqué par un assaut interpersonnel (façon Chirac-Fabius) qui l’aurait assimilé à un affrontement de cervidés en prologue à la saison des amours. Mais c’est sur le fond que l’affrontement attendu c’est bien produit.
Une opposition presque totale
Tout, ou presque, opposait dans leur programme les deux candidats à la sélection pour représenter le Parti socialiste et ses apparentés à l’élection présidentielle à venir, et en cela deux stratégies de saillance d’enjeux stratégiques distincts plus que de confrontation d’enjeux similaires. D’où l’importance de l’agenda préfixé du débat avec les organisateurs.
Par ailleurs, on sait que la position de challenger impose un discours plus agressif à l’égard du candidat en position de favori et que ceci pousse à des attaques frontales ou implicites (c’est-à-dire celles qui correspondent aux propositions du candidat qui les émet). Au titre des convergences programmatiques, qui ne furent pas toutes évoquées au cours du débat et que l’on peut compter sur les doigts d’une main, notons la durée légale inchangée des 35 heures, l’hostilité à la GPA, le recrutement de 5 000 policiers, la limitation à trois mandats consécutifs maximum, et la limitation du recours au 49.3. Sur tout le reste, c’est une opposition presque totale des prises de position qu’il faut enregistrer (hormis les accords concédés par Benoît Hamon signalés plus loin).
Comme Alain Juppé au lendemain du premier tour de la primaire accusant François Fillon pour son « programme brutal » de suppression d’emplois publics, de menacer l’IVG et l’assurance maladie ou de prolonger l’expérience Sarkozy, Manuel Valls a testé ses attaques directes à l’encontre de son rival accusé d’être « un marchand de sable et d’illusion » à propos du revenu universel impraticable car infinançable ou une source d’« ambiguïté sur le communautarisme ».
Certes, ces deux enjeux étaient particulièrement attendus au cours du débat et ils ont bien été abordés assez vite pour le premier, compte tenu de l’agenda préfixé où successivement étaient prévus les thèmes suivants : le travail et le revenu universel, puis l’environnement, la sécurité, le terrorisme et les questions internationales. A priori, donc un agenda qui paraît plus propice au développement du programme de Benoît Hamon sur les deux premiers points avant de l’être pour Manuel Valls sur les deux derniers si tant est que l’expérience gouvernementale lui donne ici un avantage.
Benoît Hamon impose l’agenda
S’agissant du travail, il ne fallait pas s’attendre à voir aborder les questions du contrat de travail ou de la réforme du Code du travail qui ont été fort débattues lors de la primaire de la droite et du centre. C’est bien plutôt la valeur Travail qui est au centre des échanges dans la mesure où le principe d’un revenu universel défendu par Benoît Hamon la remet en cause. La critique d’irréalisme émanant de Manuel Valls est bien admise par l’opinion publique (enquête IFOP-Sud Radio du 18-20 janvier), même si le principe en paraît intéressant pour les électeurs de la gauche de la gauche qui dominent dans l’électorat de Benoît Hamon.
Et c’est toute l’audace de Benoît Hamon d’avoir porté ce thème à hauteur d’un débat électoral national et d’être apparu comme le candidat le plus innovant dans ses propositions, celui qui a porté « un imaginaire collectif puissant, un futur désirable ». Il a imposé son agenda concernant le travail et les conséquences de sa raréfaction, le revenu universel « nouveau pilier de la sécurité sociale », la protection de l’environnement, la transition écologique et au total une « gauche plus verte ».
À cela Manuel Valls a répondu par le refus du « message de découragement, d’abdication » que représente l’anticipation de la fin du travail. La société du travail se transforme et il faut accompagner cette mutation. Au revenu universel d’existence qui va se traduire par une augmentation de la pression fiscale, il préfère le « revenu décent, par fusion des minima sociaux ». Bref, il se veut « candidat de la feuille de paye » contre le « candidat de la feuille d’impôt ». Il se prononce, par ailleurs, sur le respect de la rigueur budgétaire et le respect de la règle européenne des 3 % de déficit. C’est l’impératif de la crédibilité qui commande ses choix même s’il « partage les rêves » de Benoît Hamon.
Sécurité et terrorisme, des préoccupations secondaires
La laïcité a constitué un point d’achoppement particulièrement sensible où Manuel Valls prône l’absence totale d’accommodement et de compromission avec l’islamisme radical tant au nom de la liberté religieuse qu’en vertu de la liberté des femmes, alors que Benoît Hamon défend le droit de « nos compatriotes musulmanes à porter le voile ». La laïcité est un « art de vivre ensemble et pas un dogme de plus ».
En matière d’environnement, les propositions très avancées de Benoît Hamon, en rupture complète avec la culture sociale-démocrate, lui ont permis au premier tour d’attirer une grande partie des électeurs écologistes participant à la primaire. Toutefois, le débat n’a pas accordé beaucoup de place à ce thème.
Certes, la sécurité et la menace terroriste ont permis à Manuel Valls d’apparaître comme le mieux à même de prendre en charge ces questions régaliennes, mais qui sont secondes dans la hiérarchie des préoccupations publiques, si on en croit l’enquête sondage sortie des urnes Elabe-BFMTV (22 janvier 2017). Sur ce thème Benoît Hamon a davantage concédé son accord avec les prises de position de son rival : à propos de la judiciarisation des djihadistes de retour en France, sur le renforcement du contrôle aux frontières et du renseignement territorial, sur la défense européenne qui doit se substituer à la protection américaine abandonnée par Donald Trump. La même enquête confirme cependant le faible poids des problèmes internationaux dans les motivations de vote des électeurs du premier tour.
Candidat de gauche versus candidat présidentiable
Globalement, les désaccords abondent tout au long du débat, en dehors des thèmes d’opposition emblématiques constitués par la valeur travail, le revenu universel, la laïcité et la sécurité. Parmi ces désaccords, on citera : la défiscalisation des actions gratuites autorisée par le gouvernement Valls (qui a satisfait les « rêves des bien portants », selon Hamon), l’épisode des boues rouges de Gardanne exemplaire du pouvoir des lobbies, le refus de l’aéroport de Notre Dame des Landes, l’abstention sur la prorogation de l’état d’urgence, le rejet de la loi travail, entre autres.
Si Benoit Hamon se sent plus proche de Jean-Luc Mélenchon (qui se dit de gauche), Manuel Valls se place « au cœur des progressistes, de Hamon à Macron ». L’antagonisme des projets était donc très perceptible comme l’opposition des personnalités « capable, robuste, sincère » pour Benoît Hamon versus Manuel Valls qui, par son « caractère, son expérience », veut incarner « l’espoir, la fierté » et nous invite à venir nombreux pour voter et choisir entre des différences claires.
Mais le résultat le plus intéressant des enquêtes menées lors du premier tour pour l’analyse du débat réside dans la motivation principale des électeurs. Le clivage est très net entre celui qui incarne le mieux les valeurs de la gauche (Hamon à hauteur de 52 % contre Valls à 22 %) et celui qui a les qualités pour être président (Valls à hauteur de 59 % contre Hamon à 9 %). Or les débats ne font que conforter les électeurs dans leurs intentions de vote et cela laisse bien peu de chances de victoire à Manuel Valls s’il ne parvient pas à déclencher une surmobilisation des électeurs et sympathisants socialistes.
À partir du moment où l’on sait la préférence des électorats Hamon et Montebourg pour le candidat qui représente le mieux la gauche au détriment du candidat le plus présidentiable (sondage sortie des urnes Ipsos–France 2, 22 janvier), il devient quasiment impossible pour Manuel Valls d’incarner le rassemblement de la gauche en contrôlant un enjeu secondaire (la sécurité) et un enjeu considéré comme marginal (l’international).
Car l’échec électoral de l’élection présidentielle déjà intériorisé par l’électorat des primaires citoyennes et le mécontentement à l’égard du quinquennat socialiste écoulé l’ont conduit à soutenir les valeurs en apparence les plus utopiques pour refonder la gauche de demain. Tant qu’à choisir un perdant, si la défaite est assurée et que la victoire est impossible, pour presque parler comme Manuel Valls, autant donner sa préférence à celui qui incarne le mieux son désir à défaut de la réalité.