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Hausse de la taxe carbone : quels impacts sur le porte-monnaie ?

Le diesel est plus impacté que l’essence par l’augmentation de la fiscalité carbone. Jeff Pachoud/AFP

« Sévère hausse du prix du gaz » (Le Figaro), « Avalanches de taxes » (Auto-Plus) ou encore « Pourquoi ça flambe » (L’Humanité) : le renchérissement en cascade des prix énergétiques au premier janvier n’est pas passé inaperçu. Au banc des accusés : la fiscalité carbone. Retour sur un mécanisme qui reste souvent mal compris.

Une taxe « fantôme »

Introduite en 2014 à un taux de 7 euros la tonne de CO2, la taxe carbone a depuis progressé chaque année pour atteindre 30,5 euros en 2017. Elle s’applique aux combustibles et aux carburants que nous utilisons dans la vie quotidienne, au prorata des émissions de CO2 qu’ils génèrent.

Elle n’est ainsi pas directement « visible », car incorporée dans les droits d’accise énergétiques (et principalement dans la « taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ») prélevés chaque année par les Douanes.

Nous payons donc la taxe carbone depuis 2014, mais sans trop le savoir. Du fait de la forte baisse des cours du pétrole sur les marchés internationaux, cette imposition est en effet restée indolore pour les contribuables : le recul des prix hors taxe a été plus prononcé que la hausse de la taxe.

Dans ce contexte, les gouvernements du précédent quinquennat se sont gardés de communiquer sur un instrument que Ségolène Royal qualifiait en 2009 de « punitif » avant de le promouvoir quelques années plus tard dans le cadre de la loi de transition énergétique (2015).

L’arrivée de Nicolas Hulot au gouvernement a changé la donne. La première loi de finances du quinquennat prévoit en effet une accélération de la montée en régime de la taxe carbone et un alignement complet de la fiscalité du diesel sur l’essence d’ici 2022. Le ministre a par ailleurs annoncé publiquement qu’il assumait ce renchérissement.

28 % en plus pour le gaz naturel

Depuis le premier janvier 2018, les taxes sur les produits énergétiques sont calculées à partir d’un prix de la tonne de CO2 de 44,6 euros contre seulement 30,5 en 2017. La marche d’escalier se répercute différemment sur les différentes énergies que nous utilisons (voir le tableau ci-dessous).

Côté carburants, le diesel (+6,2 %) est plus impacté que l’essence (+2,8 %) car il subit en plus du relèvement de la taxe carbone un rattrapage de deux centimes sur la fiscalité de l’essence qui se prolongera pendant trois ans. La stratégie du gouvernement est désormais sans équivoque : les dommages sanitaires du diesel sont reconnus et son avantage fiscal est amené à disparaître.

Côté combustibles, le gaz naturel (+7,1 %) supporte le plus fort renchérissement alors même qu’il est souvent qualifié « d’énergie propre ». Ce combustible génère en effet très peu de polluants locaux mais émet du CO2, la plupart du temps en quantité moindre que les autres produits pétroliers. Le gaz naturel consommé par les particuliers a été exonéré des accises énergétiques jusqu’en 2014. Son prix est donc plus sensible à l’augmentation de la taxe carbone car il n’y a pas d’effet amortisseur des autres composantes fiscales. Le fioul domestique, un combustible souvent utilisé pour le chauffage en habitat individuel, supporte une hausse de 6,1 %, équivalente à celle du diesel.

Chaire économie du climat (janvier 2018), CC BY

La partie gauche du tableau donne les prix (hors taxe et TTC en moyenne annuelle pour 2014 et 2017) pour les quatre principaux produits énergétiques d’origine fossile consommés par les ménages. Les variations des taxes résultent de la taxation du CO2 et du rapprochement de la fiscalité de l’essence et du diesel. La partie droite du tableau donne l’effet des dispositions de la loi de finances 2018 sur les prix de ces énergies la première année.

La loi de finances 2018 détaille également les tarifs de la fiscalité énergétique jusqu’en 2022 : rattrapage total de la fiscalité diesel et montée de la taxe carbone à 86,2 euros par tonne la même année. La taxe carbone devrait dépasser en 2019 la valeur de référence du CO2 établie il y quelques années par la Commission Quinet.

Le gouvernement en ferait-il trop ? Ce serait lui faire un mauvais procès. La « valeur Quinet » a été estimée à une époque où l’objectif était de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre. Le plan climat a rehaussé cet objectif en visant la neutralité carbone en 2050. Il est cohérent d’actualiser la trajectoire de la taxe carbone en conséquence (voir le graphique ci-dessous).

Pour le porte-monnaie des ménages, ceci correspond à des hausses de 11 % sur les cinq ans à venir pour l’essence, de 24 % pour le fioul et le diesel et de 28 % pour le gaz. Une grande inconnue sera l’évolution des prix hors taxe qui dépend à titre principal du cours de baril de pétrole sur le marché mondial. Le choc pour le porte-monnaie sera plus marqué si les énergies fossiles se renchérissent dans le monde.

Un « chèque énergie » contre la précarité

Tous les foyers pourront-ils supporter la hausse du coût des énergies fossiles ? Le problème est que la taxe carbone est régressive : elle pèse plus en proportion sur les ménages à faible revenu. Ceux-ci consomment moins d’énergie que les riches, mais leurs dépenses énergétiques pèsent nettement plus sur leur budget. Aussi, la loi de finances prévoit un certain nombre de dispositifs d’accompagnement ciblant les ménages en situation de précarité, les plus exposés au renchérissement de l’énergie.

À moyen terme, l’objectif est de faciliter l’accession de ces ménages à des logements mieux isolés et à des moyens de transport moins gourmands en énergie. Dans cet esprit, la loi de finances élargit les subventions à l’achat de voitures moins polluantes et prolonge d’un an le crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite), qui doit être refondu en 2019 pour mieux cibler les ménages à faible revenu. Aucune de ces mesures n’apporte de matelas de sécurité à court terme pour les ménages en situation de précarité.

La véritable mesure d’accompagnement est la généralisation du « chèque énergie » qui vient se substituer aux « tarifs sociaux », pour un montant moyen comparable : 150 euros par foyer en 2018 et 200 euros en 2019, d’après les estimations gouvernementales. Le chèque énergie est un progrès par rapport aux tarifs sociaux qui ne couvraient pas les ménages se chauffant au fioul et incitait les bénéficiaires à rester prisonniers dans la trappe de consommations énergétiques trop élevées. Le progrès est néanmoins limité car le chèque énergie n’est pas un vrai chèque, mais une sorte de bon réservé à des usages énergétiques ou à l’amélioration thermique du logement. Il ajoute un guichet supplémentaire au maquis déjà complexe des soutiens ciblés à destination des ménages à faible revenu.

Une compensation monétaire versée chaque mois aux ménages, s’intégrant dans un dispositif plus général assurant un matelas de sécurité, serait une option plus simple et plus efficace. La grande majorité des personnes en situation de précarité énergétique le sont en effet aussi face aux autres besoins élémentaires : nourriture, logement, habillement…

Quels effets sur les émissions et l’économie ?

Au plan international, le niveau de la taxe carbone positionne dès 2018 la France dans le club très restreint des pays tarifant la tonne de CO2 au-dessus de 40 euros. Une prolongation après 2022 du rythme de hausse décidé jusqu’en 2022 conduirait notre pays à dépasser le niveau actuel de la taxe suédoise, le plus élevé au monde, au cours du prochain quinquennat. Pour quels résultats ?

En renchérissant le coût des fossiles, la taxe carbone accélère le basculement vers les sources décarbonées et élargit le gisement économiquement rentable des économies d’énergie. L’expérience suédoise a montré qu’une taxation ambitieuse du CO2 pouvait être mise en place dans une économie très ouverte à la compétition internationale. En Suède, le découplage entre la croissance (PIB en hausse de 75 % relativement à 1990) et les émissions de gaz à effet de serre (en baisse de 25 % depuis 1990) est une réalité.

Chaire économie du climat (janvier 2018), CC BY

La taxe carbone suédoise s’applique aux émissions de CO2 non couvertes par le système européen d’échange de quotas. La taxe carbone française figure en trait plein, le trait pointillé prolongeant la tendance 2017-2022 jusqu’en 2030. La valeur tutélaire, issue des travaux de la Commission Quinet, est le prix implicite du carbone requis pour diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre en 2050.

Avec la loi de finances 2018, le gouvernement a posé les jalons d’une tarification du carbone ambitieuse. Pour qu’ils puissent porter tous leurs effets sur les émissions et le bon fonctionnement de l’économie, il reste de nombreuses décisions à prendre : élargissement de l’assiette par élimination des exemptions sectorielles ; traitement correct des bioénergies ; articulation du dispositif fiscal avec le système européen d’échange de quotas de CO2 ; transparence de l’usage du produit de la taxe ; amélioration du dispositif de lutte contre la précarité.

Ces décisions présentent souvent une certaine technicité et la tentation est grande de les traiter entre experts en faisant l’économie du débat citoyen. Une condition essentielle de réussite de la taxe carbone est pourtant une information sans complaisance du public : la bonne stratégie climatique n’est pas celle du père Noël qui distribue les cadeaux en tous genres sous forme de subventions ou ristournes fiscales. C’est celle qui intègre dans les prix des énergies fossiles le coût des dommages climatiques résultant de leur utilisation. Au risque d’affronter à court terme une certaine impopularité.

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