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Images de science : faire la lumière sur un ruban de Möbius

ruban de möbius microscopique
Microlaser en forme de. ruban de Möbius, fabriqué par Dominique Decanini et imagé par microscope électronique à balayage. Song et al., Fourni par l'auteur

Voici un laser microscopique, où la lumière voyage et s’amplifie sur une surface très inhabituelle : un « ruban de Möbius », qui est une surface, mais courbe, dans un espace à trois dimensions. Ce ruban nous permet d’explorer un nouveau champ de la physique qui s’appelle la « photonique non-euclidienne ».

La photonique est un domaine de la physique qui s’intéresse à l'étude de composants permettant la génération, le traitement et le contrôle de la lumière. Des composants photoniques comme les diodes électroluminescentes et les fibres optiques interviennent déjà dans la grande majorité des technologies qui nous entourent : smartphones, internet, équipements médicaux, automobiles…

C’est un domaine très innovant côté industrie, mais aussi en recherche. L’idée d’utiliser des surfaces à trois dimensions comme le ruban de Möbius est que le champ électromagnétique (c'est-à-dire la lumière) peut être plus complexe que dans les surfaces utilisées traditionnellement.

La photonique non-euclidienne réserve bien d’autres surprises, comme la « dualité onde-corpuscule » : suivant les situations, la lumière se comporte comme une particule – le photon – ou comme une onde. Cette dualité est bien comprise pour des surfaces planes, mais se révèle hautement non-triviale lorsque la lumière se propage dans l’épaisseur d’une surface non-euclidienne. En effet, la lumière se propage en ligne droite dans notre espace habituel, qui est dit euclidien, et on connaît les conditions de stabilité de ces trajectoires (c'est-à-dire leur sensibilité aux conditions initiales). Sur une surface courbe, la lumière va suivre des géodésiques dont on ne connaît pas encore les conditions de stabilité.

S’il s’agit ici réellement de recherche fondamentale, côté applications, notre équipe a déjà plusieurs idées, comme la réalisation de capteurs ou de micro-sources lasers à polarisation contrôlée – la polarisation caractérise l’état vectoriel de la lumière et pilote par exemple l’interaction de la lumière avec certaines biomolécules.

Pourquoi les rubans de Möbius sont-ils si spéciaux ?

Un ruban de Möbius est une bande dont les extrémités sont collées avec une vrille, de sorte que cette surface ne possède qu’un seul bord et une seule face. Ces propriétés topologiques fascinantes ont donné lieu à de nombreuses applications en sciences, mais aussi dans les arts comme la fameuse gravure d’Escher.

Ruban de Möbius en papier. David Benbennick, Wikipédia, CC BY-SA

Une bande de papier permet de se convaincre des propriétés curieuses du ruban de Möbius : en suivant la surface du ruban avec le doigt, après un tour, on se retrouve de l’autre côté, puis il faut un deuxième tour pour revenir à son point de départ, comme les fourmis d’Escher.

Cette surface n’existe pas en deux dimensions, et c’est pour démontrer le potentiel de la photonique non-euclidienne que nous l’avons utilisée.

Comment la lumière se comporte-t-elle dans un espace non-euclidien

Dans l’espace habituel, dit euclidien, les rayons lumineux se propagent en général en ligne droite, car ils suivent le chemin le plus court. Sur une surface courbe, donc non-euclidienne, le chemin le plus court entre deux points est appelé une géodésique.

Nous avons montré que la lumière se déplace effectivement le long de géodésiques dans le ruban de Möbius. Pour ce faire, il a d’abord fallu le fabriquer, ce qui nous a pris… plusieurs années de développement et d’optimisation.

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Pour ce microlaser de Möbius, nous utilisons une technique d’impression 3D par laser, et mélangeons des molécules de colorant laser à la résine qui durcit sous l’irradiation laser. Ces molécules sont capables de générer de la lumière laser à l’intérieur de la cavité, c’est-à-dire dans l’épaisseur du ruban de Möbius. La lumière est ensuite guidée dans l’épaisseur de la surface (la plus petite dimension, de l’ordre du micromètre) comme dans une fibre optique et suit des trajectoires courbes, les géodésiques du ruban de Möbius.

Ce résultat ouvre de nouvelles perspectives avec l’exploration d’autres surfaces non-euclidennes aux géodésiques bien contrôlées, comme par exemple les « polygones sphériques ».


Les travaux présentés dans cet article sont le fruit d’un travail d’équipe, avec des contributions de Yalei Song, Yann Monceaux, Stefan Bittner, Kimhong Chao, Héctor M. Reynoso de la Cruz, Clément Lafargue, Dominique Decanini, Barbara Dietz, Joseph Zyss, Alain Grigis et Xavier Checoury.

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