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Les cheminées hydrothermales dégagent des composés toxiques, mais ces crevettes se sont adaptées grâce à leur microbiote. Marie-Anne Cambon, Fourni par l'auteur

Images de science : Survivre à des fumerolles toxiques… grâce à son microbiote

Il faut à peine deux heures pour se rendre depuis l’arrière du navire océanographique d’Ifremer le Pourquoi pas ? jusqu’au « Snake pit », site caché sous 3 600 mètres d’eau, au beau milieu de l’Atlantique.

À bord du sous-marin jaune Nautile, nous descendons avec le pilote et le copilote explorer et observer les grands fonds marins afin d’y déceler les mystères de la vie, notamment près des dorsales océaniques. Après quelques minutes, nous arrivons un site grouillant littéralement de « crevettes à grosse tête ». C’est de là que le massif tient son nom, « Les Ruches », tant elles ont fait penser aux essaims d’abeilles lors de sa découverte en 1986.

Ces crevettes, de l’espèce Rimicaris exoculata, vivent et se reproduisent au plus près des sorties de fluides hydrothermaux. Ces fluides sont chauds et enrichis en composés normalement toxiques pour la vie. Mais les crevettes se sont adaptées : au stade adulte, elles renferment plusieurs communautés microbiennes qui les nourrissent et les protègent.

Les bactéries nourrissent et protègent « leur » crevette

Les jeunes sont rouges et les adultes blancs. Marie-Anne Cambon, Fourni par l'auteur

Sur la photo de droite, on voit les adultes de couleur claire avec une coloration blanche sur les deux côtés (ou flancs) de la tête : ce sont les bactéries symbiotiques qui sont recouvertes de composés soufrés. Ces bactéries utilisent les minéraux et composés chimiques des fluides hydrothermaux, tels les composés soufrés, le fer ou l’hydrogène, pour fixer le dioxyde de carbone. C’est ce que l’on appelle la « chimiosynthèse microbienne ».

Cela fonctionne comme la photosynthèse en surface… mais sans soleil. Ici, la chimie prend le relais de la lumière avec le dioxyde de carbone et des composés chimiques comme source d’énergie. Les bactéries se multiplient alors dans la cavité céphalothoracique de leur hôte et lui transfèrent des nutriments directement par la tête, sans que la crevette ait besoin de les avaler et de les digérer. Le rendement alimentaire est redoutable.

En plus de cette alimentation, le « métagénome » de la population bactérienne, c’est-à-dire l’ensemble des gènes contenus dans un biotope donné, ici la population bactérienne, a révélé le potentiel de ces bactéries pour détoxifier le milieu dans lequel elles vivent avec leurs hôtes. Elles purifient les métaux lourds et les substances toxiques tel l’arsenic.

Les bactéries communiquent entre elles via le « quorum sensing » – l’aptitude d’un micro-organisme à détecter et réagir à des signaux moléculaires environnementaux, ce qui leur permet de coordonner leur comportement collectif.

Enfin, elles communiquent aussi avec leur crevette-hôte. Celle-ci les attire et les sélectionne grâce à un peptide antimicrobien, une petite molécule synthétisée par l’hôte et habituellement utilisée pour se défendre des bactéries (d’où son nom). Mais dans ce cas, le peptide antimicrobien s’est adapté au système symbiotique hôte-bactérie.

La symbiose complexe de la crevette-hôte avec ses communautés bactériennes n’est cependant pas encore totalement encore résolue. Notamment, le rôle du système digestif des crevettes, qui a sa propre communauté microbienne, reste énigmatique : a-t-il un rôle nutritif, de protection ou une autre fonction encore ?

Vivre dans des fonds marins

Les crevettes de l’espèce Rimicaris exoculata sont un de nos modèles pour comprendre la vie dans les grands fonds marins, mais aussi les capacités d’adaptation, de dispersion et de colonisation dans un environnement obscur, instable et fragmenté.

En effet, les habitats liés à la dynamique des dorsales médio-océaniques peuvent s’éteindre et sont parfois très distants les uns des autres. Si l’on connaît relativement bien le mode de vie au stade adulte, le mystère est encore bien épais pour les stades juvéniles et leur mode de nutrition, et plus encore pour les stades larvaires, difficiles à capturer dans l’immensité des grands fonds marins.

Pour cela nous poursuivons nos expéditions océanographiques exploratoires et développons de nouveaux outils à la mer, comme le préleveur FISH par exemple, pour répondre à nos questions sur la vie dans les grands fonds et sa pérennité.

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