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Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux

Des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au Mont Sion à Jérusalem, en Israël
Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël). Government Press Office/Flickr, CC BY-SA

Et si le report à l’automne de l’examen du projet de loi immigration était l’occasion d’en retravailler les incomplétudes à partir de ce qu’enseignent les chercheurs ? L’égalité entre hommes et femmes semble compter parmi les grands absents du texte présenté au mois de février en conseil des ministres et contre lequel des manifestations se sont tenues.

Il s’agissait, selon le gouvernement, de favoriser une immigration choisie, visant à régulariser des travailleurs sans papiers et à attirer des talents dans des secteurs en tension comme le bâtiment, la restauration, ou encore la santé, éléments qui font aujourd'hui débat. Silence néanmoins quant aux moyens qui pourront être mis en place pour garantir que la France accueillera, dans les années à venir, autant d’hommes que de femmes.

Or, il ne s’agit pas là que d’une question purement statistique. Des recherches suggèrent notamment que l’accueil disproportionné d’hommes serait lié à une moins bonne intégration de ces immigrés et à une tolérance moindre de la population d’accueil à leur égard. Les institutions internationales présentent, elles, les femmes comme des agents favorisant, dans les pays d’origine comme de destination, des évolutions sur les plans social et économique.

Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes étaient des femmes d’après les mesures de l’OCDE. De grandes disparités existent toutefois entre les pays. Dans certains pays d’origine, par exemple en Afrique subsaharienne, les hommes émigrent bien plus que les femmes. Pour le Brésil, Madagascar ou les Philippines, c’est l’inverse. Ces femmes partent souvent faire des ménages et garder des enfants dans les pays riches.

Nos travaux ont tenté d’identifier les politiques publiques qui pourraient aider à rétablir un équilibre. Ils mettent notamment l’accent sur l’importance des droits économiques et politiques des femmes dans les pays d’origine, suggérant pour les pays d’accueil des problématiques auxquelles répondre.

Les discriminations, un facteur ambivalent

L’effet des droits des femmes dans les pays d’origine sur la décision d’émigrer reste encore faiblement documenté. Des travaux existants montrent qu’elles souhaitent davantage émigrer lorsqu’elles estiment qu’elles ne sont pas traitées avec respect. D’autres, au contraire expliquent, dans le cas allemand, que c’est l’absence de droits économiques pour les femmes dans les pays d’origine qui explique les déséquilibres entre les sexes.

Pour une meilleure compréhension du rôle des discriminations subies par les femmes dans les pays d’origine sur les phénomènes migratoires, notre analyse, elle, couvre 158 pays d’origine et 37 pays de destination sur plus d’un demi-siècle, de 1961 à 2019. Les pays de destination sont principalement des pays développés à haut revenu.

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Deux types de discriminations ont été prises en compte : celles qui s’exercent dans la sphère économique, et celles qui concernent la vie politique. L’indicateur synthétisant les premières tient, par exemple, compte du droit de travailler ou de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Il est issu du « Varieties of Democracy project ». Dans le second cas, nous nous appuyons sur le « World Bank’s Women, Business and the Law report » qui intègre le droit de vote, les libertés civiles telles que le droit de se déplacer seule dans l’espace public ou encore l’égalité d’accès aux services publics.

D’après nos calculs économétriques, l’effet des discriminations envers les femmes sur les phénomènes migratoires dépend du niveau de richesse du pays d’origine. L’amélioration de la condition féminine dans les pays d’origine réduit en fait l’écart entre les flux migratoires des hommes et des femmes seulement pour les pays d’origine les plus pauvres. L’écart se creuse au contraire pour les pays d’origine plus riches. Nos calculs permettent ainsi de retrouver et de généraliser les résultats d’une littérature en apparence contradictoire.

Un enjeu de société

Dans les pays les plus pauvres, améliorer les droits des femmes semble, par exemple, leur permettre de payer le coût de leur migration, qui est sinon rédhibitoire. Quand l’Iran, par exemple, accorde le droit de vote aux femmes en 1963, l’écart migratoire entre homme et femme diminue ensuite durant une quinzaine d’années.

Certes, de jure, les droits économiques sont restés les mêmes, mais les femmes ont rejoint la population active en grand nombre. En 1979, cependant, avec la révolution islamique qui détériore fortement les conditions de vie des Iraniennes, la tendance s’inverse et l’écart se creuse à nouveau.

Dans les pays plus riches, les contraintes financières s’avèrent moins fortes : les femmes migrent alors encore moins que les hommes lorsqu’elles subissent moins de discriminations. L’Estonie, par exemple, a amélioré les droits économiques des femmes de façon spectaculaire au cours des années 2000.

En vue de son intégration à l’Union européenne, le pays lançait notamment en 2002 deux projets de législation pour promouvoir une forme d’égalité concernant les salaires, l’accès à l’emploi et l’accès aux prestations sociales. En 2021, il est le premier pays au monde à avoir à la fois une présidente et une première ministre. Au cours de cette période, l’écart migratoire entre hommes et femmes a augmenté avant de se stabiliser.

Rétablir un équilibre entre hommes et femmes dans les flux migratoires s’avère donc un enjeu de société. Dans les pays d’origine, notamment les plus pauvres, il s’agira de réduire les discriminations subies par les femmes et de promouvoir leurs droits. Les pays d’accueil, comme la France, ont cependant aussi moyen d’agir.

D’une part, l’aide publique au développement axée sur l’égalité entre les sexes peut permettre de réduire les discriminations. D’autre part, il semble pertinent de mettre en place des politiques d’immigration n’occultant pas l’importance de l’équilibre entre les genres au sein de la population. Quand ces politiques d’immigration s’avèrent avant tout un volet de la politique économique visant à réduire la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs à dominante masculine tels que le bâtiment, le regroupement familial pourrait, par exemple, être un outil de rééquilibrage clé. Les premiers travaux entrepris par le Sénat autour du projet de loi semblaient, au contraire, plutôt envisager d’en durcir les conditions.


Margherita Lazzeri, étudiante au sein du master recherche Development economics de l’Université Paris 1–Panthéon Sorbonne, a participé à la rédaction de cet article.

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