Depuis le début du cycle des négociations climatiques internationales, la question des inégalités face aux changements climatiques et face aux efforts à fournir vis-à-vis de ces changements s’est posée de manière constante. La notion de justice climatique est issue de la volonté des pays émergents et en développement de faire admettre aux pays développés leur part plus grande de responsabilité et ainsi leur nécessaire contribution supérieure aux efforts dans la transition bas carbone.
Elle débouche sur le principe juridique de « responsabilité partagée mais différenciée », admis notamment au sein des instances onusiennes responsables de la négociation climatique. La COP24 a ainsi récemment encore essayé de transformer les promesses de l’Accord de Paris en engagements concrets et mesurables, notamment sur la question de la comptabilité des transferts financiers entre pays du Nord et pays du Sud, les fameux « 100 milliards de dollars » annuels à atteindre d’ici à 2020, afin d’aider les pays du Sud dans leurs actions d’atténuation des émissions et d’adaptation aux effets du changement climatique.
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Inégaux côté émissions de CO2
La complexité du lien entre inégalités et changement climatique tient également à la définition du périmètre d’analyse des interactions entre inégalités et climat. On peut parler, de manière très simplifiée, d’inégalités d’émissions d’un côté et d’inégalités d’impacts d’un autre côté.
Les inégalités d’émissions peuvent être mesurées à plusieurs niveaux.
Au niveau des pays, la Chine est récemment devenue le pays responsable de la part la plus importante des émissions de CO2 au niveau global, représentant à elle seule 26 % des émissions. L’Afrique reste le continent associé aux plus faibles émissions, même s’il existe une forte hétérogénéité au sein du continent, l’Afrique du Sud étant de loin le plus grand émetteur.
Au niveau des individus, l’organisation non gouvernementale Oxfam avait estimé en 2015 que les 10 % les plus riches sont responsables d’environ la moitié des émissions de CO2 liées à la consommation. Si l’on regarde les individus à l’échelle globale, les écarts s’avèrent encore plus saisissants car, toujours d’après l’étude Oxfam, les émissions-consommations liées au style de vie des plus riches Américains sont 10 fois plus importantes que celles des plus riches Chinois.
Aux États-Unis entre 1997 et 2012, l’accroissement de la part des revenus détenue par les 10 % les plus riches se serait traduite par une augmentation du niveau des émissions. Les inégalités de consommation représentent aussi un moteur de comportements de consommation intensifs en carbone. On sait en effet que le désir d’imiter un comportement social jugé supérieur constitue l’un des déterminants principaux des motifs de consommation, un phénomène de mimétisme qui accélère la dynamique d’émissions intensives quand la référence est celle du dernier percentile, c’est-à-dire des 1 % les plus riches.
Le tourisme, activité élitiste par excellence, représente aujourd’hui près de 8 % des émissions de CO2 mondiales, et l’accroissement du secteur dépasse largement tout effort éventuel pour en réduire les impacts. Dès lors, c’est bien une inégalité marquée par le pouvoir économique, culturel et politique des plus riches qui semble créer les conditions d’une trajectoire trop intense en carbone.
D’autres canaux sont encore à l’œuvre. Ainsi, les inégalités affaiblissent la cohésion sociale et diminuent la propension des individus à agir ensemble et à se sentir socialement responsables, un élément pourtant clé dans la volonté de mettre en place des politiques environnementales, comme on le voit à l’heure actuelle avec les mobilisations climatiques en Europe.
Sur le plan technologique, les économistes Francesco Vona et Fabrizio Patriarca montrent que des niveaux élevés d’inégalités empêchent le développement et la diffusion des nouvelles technologies environnementales, car moins d’individus y ont accès. Les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont quant à eux proposé une mesure des inégalités d’émissions « à la consommation » entre déciles de revenus au sein d’un pays, en passant d’évaluations nationales des flux d’émission à des évaluations individuelles. Ils estiment ainsi, à juste titre, que dans une économie mondialisée, il est plus pertinent de prendre en compte les émissions consommées (au travers des produits achetés ou des services utilisés) plutôt que les émissions produites.
Ce faisant, la carte des inégalités de consommation d’émissions qui apparaît met en évidence de très fortes inégalités entre pays du nord et pays du sud mais aussi entre le plus haut décile et les autres à l’échelle mondiale.
Inégaux face aux impacts climatiques
Les inégalités d’impacts, quant à elles, restent fortement liées à la structure des inégalités de richesse existantes. Les inégalités des individus et des sociétés face aux impacts du changement climatique existent non seulement entre pays développés et pays en développement – le fait est connu depuis longtemps –, mais également au sein de chacun des pays.
Ainsi, les effets du changement climatique étant davantage ressentis par les populations défavorisées, il devient alors un vecteur de renforcement des inégalités existantes aux États-Unis.
Un phénomène similaire et bien plus accentué encore peut s’observer dans un pays émergent comme le Vietnam, qui a la double caractéristique d’avoir une forte portion de la population active occupée par des activités agricoles et de présenter une vulnérabilité particulière aux effets du changement climatique. Nous l’avons mis en évidence dans le cadre plus large du projet AFD GEMMES Viet Nam portant sur une analyse systématiques des « impacts socio-économiques du changement climatique et des stratégies d’adaptation au Vietnam ».
Ainsi, l’effet d’une journée additionnelle au-dessus de 33 °C apparaît fortement négatif, que ce soit sur l’efficience technique de la riziculture ou sur le revenu des ménages vietnamiens et l’écart entre quartiles de revenus (la population est divisée en quatre tranches suivant le montant des revenus), toutes activités confondues. On parlera ici d’inégalités face aux impacts climatiques.
Le changement climatique non seulement accroît l’exposition des plus vulnérables aux aléas, mais de plus accroît leur susceptibilité aux dommages et baisse leur capacités d’adaptation et de récupération après des chocs.
Tous ces enseignements semblent indiquer qu’une certaine sobriété des comportements de consommation des classes les plus aisées doit ainsi être articulée à un principe plus général de réduction des inégalités pour rendre possible l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Sans cette réduction du niveau général des inégalités et notamment de l’intensité émissive des plus hauts percentiles de revenus, tenter d’atteindre les objectifs de Paris se traduirait par un délitement du lien social.
En d’autres termes, l’essentiel de l’effort de réduction d’émissions incombe bien aux pays développés les plus riches, et aux classes les plus aisées de certains pays émergents et en développement. Cet effort de réduction passe par une sobriété fortement accrue de leurs comportements de consommation. La réduction des inégalités et le renforcement du lien social constituent le chemin le plus sûr vers les objectifs de la COP21, et notamment son objectif le plus ambitieux de tendre vers un réchauffement global limité à 1,5 °C.