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Stimuler l'innovation peut par exemple reposer sur une certaine façon d'aménager les espaces de travail. Shutterstock

Innovation : et si vous faisiez le pari d’une organisation semi-formelle ?

De nombreuses entreprises misent sur la créativité et l’innovation pour s’adapter à un environnement en perpétuelle évolution. Ce serait d’ailleurs même le moteur de l’économie capitaliste si l’on se réfère à la théorie de la destruction créatrice forgée par Joseph Schumpeter. Choisir la forme organisationnelle la plus adaptée pour l’innovation s’avère alors un levier clé pour guider les entreprises vers davantage de compétitivité.

Historiquement, les discussions sur les structures et relations organisationnelles se limitaient principalement à deux catégories : formelles et informelles. L’organisation formelle repose sur une approche structurée, élaborée par les managers au sein d’une entreprise ou d’une administration, et est souvent représentée par l’organigramme. Elle sert de colonne vertébrale, offre un cadre défini pour l’allocation et la gestion des tâches ainsi que la répartition des responsabilités. Parallèlement, on retrouve une organisation informelle qui repose sur la confiance et des intérêts communs. Elle favorise ainsi l’intégration sociale spontanée et les relations interpersonnelles volontaires au sein de l’organisation. Elle peut se manifester sous la forme de groupes d’affinité qui déjeunent régulièrement ensemble.

Les organisations formelles et informelles sont indispensables pour la conduite des activités de toute entreprise ou administration. Cependant, toutes deux présentent certaines limitations, notamment pour soutenir et stimuler l’innovation. Les structures formelles peuvent devenir rigides, créer des barrières de communication et freiner l’innovation. Les structures informelles peuvent, elles, manquer de rôles et responsabilités clairement définis, aboutissant à un certain chaos.

On observe actuellement un développement d’organisations semi-formelles qui combinent les caractéristiques des structures formelles et informelles. Afin de mieux comprendre ces structures hybrides, nous avons mené une recherche de 2019 à 2023 au sein d’une entreprise européenne qui compte parmi les leaders de l’industrie spatiale. Cette société a explicitement mis en place une organisation semi-formelle qui vise à stimuler l’innovation. Nous avons eu l’opportunité d’analyser en détail plusieurs de ses projets d’innovation. Nos résultats mettent en avant trois pratiques managériales principales qui ont un impact significatif sur le succès des organisations semi-formelles.

Place aux volontaires

La première pratique que nous mettons en avant : cultiver une dynamique paradoxale dans la gestion du réseau des employés impliqués. Il s’agit, pour l’équipe en charge, de s’appuyer sur les atouts des organisations informelles, en encourageant la participation volontaire de ceux qui souhaitent s’engager dans une démarche d’innovation. En parallèle, l’équipe en charge va également développer des modes d’organisation formels, en centralisant la prise de décision pour mieux structurer le réseau des employés impliqués.

Par exemple, les responsables peuvent allouer un budget aux projets des salariés impliqués. Le développement et le succès des projets d’innovation semblent ainsi dépendre de ce maintien d’une gouvernance semi-centralisée et de la préservation de rôles semi-formalisés.

Cette combinaison d’aspects formels et informels pour la gestion du réseau des employés impliqués a été résumée comme suit par l’un des responsables de cette organisation :

« Nous avons mis en place un environnement propice, car nous croyons fermement en l’approche exploratoire pour ceux qui sont prêts à s’impliquer volontairement. Beaucoup ont des idées brillantes mais manquent de ressources financières et d’un cadre méthodologique… Ils sont les bienvenus ici. Il suffit simplement que leur idée soit innovante et qu’elle se démarque de ce que les équipes réalisent déjà. »

Agencer les lieux de travail

Exploiter la polyvalence des espaces est la deuxième pratique que notre analyse met en exergue. Elle consiste à utiliser à la fois des aspects structurés et non structurés des espaces comme c’est le cas dans les fab labs étudiés dans des recherches précédentes. Bien que régis par des règles claires telles que des horaires d’ouverture précis et un nombre maximal de personnes autorisées, ces espaces cherchent également à encourager les activités d’innovation. Ils le font en instaurant une atmosphère ouverte et informelle qui facilite les interactions sociales et stimule la créativité.

Il s’agit aussi d’équiper ces espaces avec des artefacts matériels liés au travail pour se connecter avec l’organisation formelle, ainsi que des artefacts non liés au travail qui renforcent l’innovation. Les artefacts matériels liés à l’organisation formelle proposés au sein des espaces créatifs comprennent à la fois des outils génériques et des outils spécifiques à l’industrie aérospatiale, faisant le lien avec le cœur de métier de l’entreprise. Du côté informel, les artefacts incluent par exemple des imprimantes 3D, des ordinateurs équipés de logiciels créatifs, un vaste tableau blanc à disposition de tous, ainsi qu’une découpeuse laser. Tout cet arsenal d’outils et de matériaux propices à la créativité et à la collaboration se trouve exclusivement dans ces espaces dédiés.

L’objectif : soutenir les initiatives d’innovation des employés. Ces espaces rassemblent des personnes partageant la même mentalité et qui s’inspirent mutuellement pour explorer de nouvelles idées, comme en témoigne un salarié actif :

« Un lieu comme celui-ci ouvre nos esprits, nous tirons plus de notre bureau maintenant. Nous rencontrons d’autres personnes de l’entreprise et démarrons ensemble de nouveaux projets. Cela me motive de voir que je ne suis pas le seul à essayer de changer les choses dans cette entreprise. »

Réintégrer les bonnes idées

La troisième pratique se réfère à la gestion de la relation entre les organisations formelles et semi-formelles pour promouvoir l’innovation : la médiation de l’influence. Ce n’est pas tout d’avoir parrainé les employés pour des activités exploratoires d’innovation, en profitant des avantages de l’organisation semi-formelle. Encore faut-il ensuite intégrer les bonnes idées et encourager les chefs de projet à identifier les liens avec l’organisation formelle.

Au fur et à mesure qu’un projet mûrit, l’équipe facilitatrice de l’Innovation Cluster incite de plus en plus les responsables de projet à établir des liens avec les équipes de l’organisation formelle pour faciliter le transfert, comme l’explique l’un d’entre eux :

« Au début, le comité de sélection se fonde beaucoup sur l’intuition, un peu comme dans les start-up. On regarde surtout le dynamisme et la passion de l’équipe. À ce stade, ils peuvent partir dans toutes les directions… Ensuite, on cherche à voir s’il y a un intérêt réel pour les Business Units, en cherchant des connexions ou des points à améliorer. Puis, on demande aux chefs de projet de se concentrer sur une direction précise et on leur donne un peu plus de budget pour y travailler. »

L’ensemble de ces nouvelles pratiques semblent favoriser le processus d’innovation et participer ainsi à la compétitivité et à la performance des organisations. En comblant le fossé entre la dualité formelle et informelle et en offrant des solutions exploitables, cette étude contribue à l’avancement de la compréhension de la gestion de l’innovation.


Le terrain de cette étude est l’Innovation Cluster de Thales Alenia Space.

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