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Une voiture est submergée par les eaux de crue, le mercredi 1er mai 2019, à Ste-Marthe-sur-le-Lac, au Québec. LA PRESSE CANADIANE/Ryan Remiorz

Inondations au Québec : qui paie pour quoi et comment

Comme tous les printemps, le temps doux est de retour et certaines rivières sont sous haute surveillance. Pour des dizaines de milliers de Québécois, cela signifie être à l’affût des inondations. Or il faut savoir que le débordement de cours d’eau est un risque assurable désormais… mais pas nécessairement pour tous.

Alors que le mécanisme d’indemnisation des sinistrés a beaucoup évolué au cours des dernières années au Québec, il est important de bien comprendre son fonctionnement pour les inondations qui pourraient survenir ce printemps.

Professeur en actuariat à l’Université du Québec à Montréal et Fellow de l’Institut canadien des actuaires, je m’intéresse à la modélisation et à l’évaluation des inondations et des changements climatiques en assurance et en réassurance.

L’assurance inondation

Il faut savoir que le refoulement d’égout ou le débordement de cours d’eau ne sont pas couverts par la police d’assurance habitation de base, malgré ce qu’une majorité de Québécois (et de Canadiens) peut croire. La plupart des assureurs offrent aujourd’hui une protection complète pour l’eau qui couvre ces deux aléas sous forme d’assurance facultative additionnelle (appelée avenant). Le coût de cet avenant étant basé sur le niveau de risque, il est donc possible que cette protection soit très dispendieuse ou que les couvertures offertes soient très limitées… ou que l’avenant ne soit tout simplement pas offert en raison d’un risque trop élevé.

Le programme d’aide financière québécois

L’assurance inondation ne vise pas les résidents à haut risque d’inondation. Au Québec, le Programme général d’indemnisation et d’aide financière (PGIAF) lors de sinistres réels ou imminents du ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) vient en aide aux sinistrés victimes, par exemple, d’un débordement de cours d’eau lorsque ce dernier n’est pas assurable.

Le programme prévoit une indemnisation pour la reconstruction (au maximum de 200 000 $) ou la relocalisation (pour un montant similaire, en plus d’une indemnité pour le terrain allant jusqu’à 50 000 $), en plus de couvrir les travaux d’urgence (pour protéger la propriété) et le remplacement des biens meubles essentiels. Il faut noter que les montants ont été indexés depuis 2019, mais pour simplifier la présentation, nous utiliserons les montants de 2019.

Alors qu’il était possible avant 2019 d’avoir droit aux montants maximums prévus pour la reconstruction lors de chacune des inondations (par exemple en 2011 et en 2017), la réforme du programme introduite en avril 2019 limite les indemnités versées dans le temps.


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En effet, les réclamations versées depuis avril 2019 sont désormais comptabilisées et soustraites dans le calcul des indemnités futures. Et lorsque les indemnités cumulatives atteignent une limite à vie de 100 000 $ (ou 50 % du coût de reconstruction), le sinistré se fait offrir le choix de rester ou de se relocaliser.

Dans les deux cas, le sinistré abandonne alors toute indemnité future et signe une entente avec le gouvernement. Mon collègue et moi avons d’ailleurs calculé les coûts très élevés engendrés par la décision de rester une fois la limite à vie dépassée.

Trois scénarios pour comprendre

Il convient d’expliquer le fonctionnement du PGIAF pour un ménage à l’aide de trois scénarios d’inondations successives. Supposons que les coûts pour une reconstruction complète d’une maison sont de 200 000 $ et que le terrain vaut 50 000 $.

Trois scénarios possibles pour illustrer le calcul des indemnisations. Indemnités reçues ou dommages admissibles, selon le scénario. Mathieu Boudreault

Dans le premier scénario, le sinistré reçoit 40 000 $ pour la réparation de sa maison en 2019 et 30 000 $ en 2021 (aucune réclamation en 2020). En 2022, les indemnités reçues (2019, 2021) et les dommages admissibles (2022) atteignent 105 000 $ ce qui dépasse la limite à vie de 100 000 $.

Avant d’effectuer la reconstruction en 2022, le sinistré se verra offrir deux options : rester et obtenir un dédommagement de 35 000 $ pour ensuite renoncer à toute aide financière future (car les indemnités totales versées pour la reconstruction seraient sous 200 000 $) ; ou obtenir une indemnité de relocalisation de 130 000 $ (200 000 $ moins les 70 000 $ déjà versés en 2019 et 2021) ainsi qu’une indemnité pour le terrain de 50 000 $.

Dans le deuxième scénario, le sinistré reçoit 70 000 $ pour la réparation de sa maison en 2019 et n’a aucune réclamation en 2020 et 2021. Toutefois, en 2022 une inondation survient et les dommages admissibles sont de 120 000 $. Puisque l’indemnité reçue (2019) et les dommages admissibles (2022) dépassent 100 000 $, le sinistré a deux options : rester et obtenir un dédommagement de 120 000 $ pour ensuite renoncer à toute aide financière future (car au total, les indemnités de reconstruction ou de réparation sont en dessous de 200 000 $) ; ou obtenir une indemnité de relocalisation de 130 000 $ (200 000 $ moins les 70 000 $ déjà versés en 2019) ainsi qu’une indemnité pour le terrain de 50 000 $.

Finalement, dans le troisième et dernier scénario, les dommages admissibles dépassent 100 000 $ dès la première réclamation en 2021. Le sinistré a droit à une indemnité de reconstruction de 120 000 $ (car sous 200 000 $) ou la pleine indemnité de relocalisation de 250 000 $. Dans les deux cas, le sinistré doit renoncer à toute aide financière future.

Un transfert des coûts vers les sinistrés

Par conséquent, la somme des indemnités payées par le gouvernement en dessous de 100 000 $ est automatiquement déduite des indemnités de reconstruction et de relocalisation futures. Bien que le gouvernement limite les indemnités totales versées dans le futur, il est important de noter que l’écart de couverture se trouve à la charge entière des sinistrés dans cette refonte du PGIAF. Dans les deux premiers scénarios, le sinistré a accumulé 70 000 $ de pertes avant d’avoir droit à la relocalisation et l’indemnité de relocalisation est alors de 130 000 $ pour le bâtiment.

À l’aide de projections actuarielles, j’ai calculé qu’au moment où ce choix sera offert aux sinistrés, ils auront déjà perdu environ 30 % en moyenne de l’indemnité maximale.

Dans tous les cas, cette réforme transfère une partie importante des coûts vers les sinistrés. Alors que plusieurs auraient sûrement opté pour la relocalisation dès le premier sinistre en 2019, ils se retrouvent bien malgré eux à devoir attendre la ou les prochaines inondations pour avoir droit à une indemnité de relocalisation. Il est donc raisonnable de se demander si une telle application du programme encouragera réellement la relocalisation et donc la diminution du risque d’inondation.

Le rôle du gouvernement fédéral

Le gouvernement fédéral n’indemnise pas directement les sinistrés, mais il soutient financièrement les provinces pour les catastrophes naturelles de grande envergure en vertu des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC).

L’urbanisation croissante et les changements climatiques poussent les coûts des inondations à la hausse au Canada comme ailleurs, ce qui accentue la pression sur les gouvernements et l’industrie de l’assurance afin de trouver des solutions viables à long terme. Shutterstock

L’aide financière accordée est calculée selon le nombre d’habitants d’une province et le pourcentage d’aide financière augmente avec les coûts admissibles par habitant. Par exemple, s’il advenait que les coûts admissibles atteignent un milliard de dollars au Québec, ce dernier assumerait près de 16 % de la facture, alors que pour une catastrophe dont les coûts atteignent 100 millions de dollars, Québec en assumerait environ 60 % (selon les seuils en vigueur pour l’année 2020 en supposant 8,5 millions de personnes au Québec).

Le dossier chaud du partage des risques

Le partage des risques financiers désigne le mécanisme par lequel différentes parties prenantes comme les gouvernements (fédéral, provinciaux, municipaux), l’industrie de l’assurance de dommages et les propriétaires résidents se partagent les coûts des inondations : qui paie pour quoi et comment. Toutefois, l’urbanisation croissante et les changements climatiques poussent les coûts des inondations à la hausse au Canada comme ailleurs, ce qui accentue la pression sur les gouvernements et l’industrie de l’assurance afin de trouver des solutions viables à long terme.

Mis sur pied en décembre 2020 par le gouvernement fédéral, le Groupe de travail sur l’assurance contre les inondations et la réinstallation rassemble plusieurs acteurs importants des provinces et territoires, ainsi que de l’industrie de l’assurance.

Le Groupe de travail a comme mandat « d’examiner les options d’assurance contre les inondations résidentielles abordables pour les résidents dans les régions à risque élevé. Il considérera des options pour la réinstallation possible pour les résidents dans les régions avec le plus haut risque d’inondations récurrentes. »

Nous devons donc nous attendre à des développements importants dans ce dossier au pays à partir de 2022.

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