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Instaurer un mécanisme de veto populaire : une solution pour prévenir les crises politiques ?

Des manifestants tiennent des pancartes portant l'inscription "RIC" pour "Référendum d'initiative citoyenne" alors qu'ils participent à une manifestation appelée par le mouvement des "Gilets Jaunes" à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 12 septembre 2020.
Depuis le mouvement des «gilets jaunes», le le débat autour de l’intérêt d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) revient régulièrement lors des crises politiques. Philippe Lopez / AFP

Les mobilisations massives contre la réforme des retraites et l’inflexibilité du gouvernement face à l’impopularité de certaines mesures ou projets (comme les mégabassines) permettent de s’interroger sur la nécessité d’introduire de nouveaux mécanismes d’intervention des citoyens.

Parmi eux, le veto populaire qui est un procédé référendaire à l’initiative des citoyens et dont l’objet est d’invalider des actes normatifs, notamment des lois. S’il avait été introduit en droit français, il aurait pu potentiellement permettre de bloquer la réforme des retraites.

En l’état, les seuls moyens juridiques qui permettraient de freiner la réforme reposent sur le Conseil Constitutionnel, incompétent pour se prononcer sur l’opportunité politique des lois soumises à son contrôle. Ce dernier a tranché le 14 avril en déclarant conforme à la Constitution l’essentiel du projet de réforme.

Outre la possibilité écartée d’une nouvelle délibération de la loi qui serait demandée par le président de la République sur le fondement de l’article 10.2 de la Constitution, il existe aussi la voie du référendum d’initiative partagée (RIP). Une première proposition de RIP a été rejetée par le Conseil Constitutionnel, qui statuera sur une seconde proposition en ce sens le 3 mai prochain.


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L’hypothèse du RIP semble tout de même peu probable à cause des seuils particulièrement élevés prévus pour le mettre en œuvre. Pour déclencher un tel référendum, il convient de requérir l’appui d’un cinquième des parlementaires, et celui d’un dixième d’électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,87 millions de signatures citoyennes. Cet outil demeure ainsi d’une efficacité relative, d’autant que si le Parlement se saisit de la loi il peut empêcher l’organisation d’un tel référendum.

Un RIC d’invalidation des lois

Ce contexte ravive donc à nouveau le débat autour de l’intérêt d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) et en particulier d’un procédé de veto populaire qui pourrait permettre de donner au peuple le dernier mot en ce qui concerne des réformes similaires à celle des retraites.

Ce type de RIC permettrait à l’ensemble des citoyens, dans un délai et selon des modalités déterminées par la Constitution, d’être directement consultés au sujet d’une loi votée par le Parlement, afin de savoir s’ils ne s’opposent pas à son application.

Le référendum d’initiative citoyenne : c’est quoi ?

Ce mécanisme existe en Suisse sous l’appellation « référendum facultatif ». Il est considéré comme facultatif dans la mesure où la consultation populaire n’est pas systématique (sauf en matière constitutionnelle). C’est une option dont le peuple dispose pour s’opposer à une loi notamment. Celle-ci, si le veto ne se produit pas, est alors juridiquement valide. Dans cette hypothèse, cette possibilité de donner au peuple un droit de veto s’utilise pour s’opposer à une loi adoptée, mais non encore entrée en vigueur.

Toutefois, dans certains pays comme l’Italie, une telle possibilité peut avoir lieu même pour des lois déjà en vigueur (sauf pour les lois fiscales et budgétaires, pour les lois d’amnistie et de remise de peine, et les lois autorisant la ratification de traités internationaux). Le procédé du veto populaire peut donc être suspensif ou abrogatif, selon les systèmes constitutionnels.


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La procédure se déroule en deux étapes et permet au peuple d’exercer ce que Montesquieu appelait la « faculté de statuer », qu’il a définie comme « le droit d’ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre », et celle de « faculté d’empêcher », qu’il détermine comme « le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ».

Lors de la première phase qui permet le déclenchement de ce procédé référendaire, une partie du peuple utilise la faculté de statuer en exerçant son droit d’initiative. Il faut pour cela remplir les conditions requises par les textes, notamment concernant le nombre de signatures citoyennes à atteindre, qui est fixé à 50 000 en Suisse et à 500 000 en Italie.

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Un renouveau du droit de pétition

Le droit d’initiative citoyenne se distingue du droit de pétition classique par son caractère contraignant. Le premier permet à un certain nombre de citoyens de soumettre une proposition au verdict du peuple ; celle-ci aura donc par la suite une force normative si la majorité des citoyens l’acceptent. Cet effet est donc plus important que celui du droit de pétition.

Ce dernier, qui existe déjà en droit français, implique simplement que les autorités publiques concernées prennent connaissance des pétitions émises par les citoyens. S’il a été abandonné pendant longtemps par une grande partie des citoyens, le pétitionnement a connu un regain d’intérêt ces dernières années.

Mais récemment, le classement sans suite de la pétition appelant à la dissolution de la BRAV-M a montré le peu de prise en considération par le pouvoir politique des pétitions qui lui sont adressées. De surcroît, les réformes visant la modernisation du droit de pétition en 2019 et 2021 ne l’ont pas fait évoluer vers un véritable droit d’initiative.

Même si elles sont peu suivies d’effets sur le plan juridique, des citoyens continuent par ailleurs à lancer régulièrement des pétitions sur les plates-formes numériques dédiées à cet effet afin d’exercer une pression médiatique sur les gouvernants.

Ce recours à la « voie pétitionnaire », en dehors de la procédure fixée par le droit de pétition, soulève des interrogations quant au sort de certaines pétitions lancées sur Internet et accompagnées par des mouvements de protestation citoyenne contre l’adoption de certaines lois, comme celles de « Nuit debout », des « gilets jaunes », et actuellement les opposants à la réforme des retraites. Si un droit d’initiative avait été conféré par le droit français, ces recours auraient eu sans aucun doute plus de poids.

Démocratiser le régime en évitant l’insurrection

Le veto populaire étant un RIC d’invalidation des lois, il apparaît donc comme un outil utile au perfectionnement du régime politique en vigueur.

D’une part, il se présente comme un compromis équilibré entre représentation et démocratie, donnant une véritable substance à la notion de « démocratie représentative ». En ce sens, le peuple préserve au moins la possibilité de contrôler que les actions prises en son nom soient réellement conformes à sa volonté. Autrement dit, il ne serait pas libre de faire tout ce qu’il veut, mais il serait au moins libre de ne pas faire ce qu’il ne veut pas. Cela nécessite la possibilité pour le peuple d’opposer un veto aux lois à l’égard desquelles il est hostile. D’autre part, cela implique également un pouvoir de limiter la domination des forces politiques majoritaires.

Un tel mécanisme contribue à prévenir les insurrections au profit d’un mécanisme pacifique encadré par le droit et indéniablement démocratique. Si les citoyens étaient en mesure de s’opposer à des lois à travers des procédés juridiques comme le veto populaire, ils ne seraient probablement pas obligés de recourir à d’autres alternatives plus rudes.

Cette idée en soi n’est ni nouvelle ni étrangère à la France. Elle trouve ses véritables racines conceptuelles dans la pensée révolutionnaire, notamment celle de Condorcet que l’on trouve dans le projet de Constitution girondine, ainsi que la Constitution Montagnarde de 1793. Cette idéologie a marqué les pratiques constitutionnelles de nombreux pays dans le monde, mais paradoxalement la France n’a pas suivi le mouvement.

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