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Un surveillant pénitentiaire ferme une cellule dans la prison de "La Santé" à Paris en 2014. La prison a depuis été rénovée mais la France reste régulièrement condamnée pour ses conditions de détention.
Un surveillant pénitentiaire ferme une cellule dans la prison de la Santé à Paris en 2014. La prison a depuis été rénovée - mais la France reste régulièrement condamnée pour ses conditions de détention. Martin Bureau/AFP

Instaurer une « perpétuité réelle » ou l’art d’inventer ce qui existe déjà

« Instaurer une perpétuité réelle » : voilà la solution présentée par le Rassemblement national pour lutter contre la criminalité la plus violente et grave. Cette proposition n’est nouvelle ni dans sa forme ni dans son contenu et, surtout, elle existe déjà. Son intérêt interroge donc au regard de l’état du droit actuel. Que prévoit le code pénal ? Si elle existe déjà, pourquoi la proposer ? Derrière l’effet d’annonce politique, gageons d’y voir plus clair.

La perpétuité réelle est la sanction la plus forte que le droit pénal connaît depuis l’abolition de la peine de mort. Il s’agit d’une peine de réclusion criminelle, prévue pour les crimes les plus graves, à perpétuité, qui se double d’une période de sûreté, elle-même perpétuelle. Revenons sur les éléments de cette définition.

La peine de réclusion criminelle à perpétuité s’oppose à toutes les autres peines à temps en ce que celle-ci n’est pas quantifiée. Elle est, comme sa définition l’indique, « à perpétuité ».

Cela dit, en principe, toute peine de prison peut subir des modifications durant le cours de son exécution en fonction de sa durée. La peine à perpétuité n’ayant pas de durée, les textes prévoient une durée minimale à subir de 18 ans ou 22 ans pour les récidivistes avant de pouvoir obtenir une libération conditionnelle. Dans l’esprit du public, ces dispositions entraînent l’absence de « vraie perpétuité ». En réalité, ce délai fixe un terme théorique à partir duquel un condamné peut procéder à une demande d’aménagement de peine. Cela ne signifie pas qu’il l’obtient.

Pour les longues peines et les peines privatives de liberté perpétuelles, une période de sûreté s’ajoute. Celle-ci se définit comme une durée durant laquelle le condamné ne peut obtenir de modification de sa peine, comme une libération conditionnelle ou une suspension ou un fractionnement de sa peine. L’exécution de la peine est alors « figée » pour la durée prévue par la loi de plein droit ou modifiée par le juge. C’est ici que la perpétuité réelle apparaît.

Pour un nombre limité d’infractions pénales par exemple l’assassinat, les meurtres aggravés ou encore le terrorisme, il est prévu que les juges pénaux peuvent (et non doivent !) adosser à une peine de réclusion criminelle à perpétuité qu’ils prononcent une période de sûreté elle-même perpétuelle. Les deux se cumulent et forment la perpétuité réelle.

En France, un très petit nombre de condamnés la subit aujourd’hui. Il s’agit des cas les plus graves, mais aussi tristement célèbres : Pierre Bodein pour des meurtres précédés de viols, Nicolas Blondiau pour des faits similaires ou encore Salah Abdeslam, pour des faits de terrorisme.


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L’encadrement actuel de la perpétuité

Si certaines forces politiques considèrent que la perpétuité réelle n’existe pas en France, c’est également en raison de l’encadrement conventionnel de ces peines.

La Cour européenne des droits de l’Homme opère un contrôle de celles-ci sur la base de l’article 3 de la Convention. Cela signifie qu’une peine de perpétuité réelle ne sera pas considéré comme des traitements inhumains et dégradants si le condamné a un « espoir d’élargissement », selon la terminologie consacrée, c’est-à-dire, qu’il a la possibilité de peut-être ne pas finir ses jours en prison.

En effet, une peine perpétuelle, dénuée de durée, n’est pas contraire en soi à la Convention européenne pour la Cour européenne des droits de l’Homme. La jurisprudence européenne est constante :

« le prononcé d’une peine d’emprisonnement perpétuel à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé par l’article 3 ou toute autre disposition de la Convention et ne se heurte pas à celle-ci » (CEDH, 12/02/2008, Kafkaris c. Chypre, §97).

Mais c’est à la condition qu’il existe des chances pour le condamné d’être libéré. En ce sens, la perpétuité réelle doit être en fait et en droit compressible. À défaut, la perpétuité réelle peut alors être considérée comme un traitement inhumain et dégradant. Prévoir un « espoir d’élargissement » ne signifie pas que le condamné obtiendra, par exemple, une libération conditionnelle automatiquement. Il sera seulement en mesure d’en faire la demande.

En ce sens, le droit français prévoit un mécanisme de relèvement. Il permet au condamné à une perpétuité réelle, mais également à tous les condamnés subissant une période de sûreté, de demander à une juridiction de l’application des peines de le « relever » de cette période, c’est-à-dire, ne plus être limité par la période de sûreté et d’être en mesure de formuler des demandes d’aménagement. Ici aussi, ce recours juridique conduit les forces politiques à considérer que la perpétuité réelle n’existe pas vraiment.

Or, la demande en relèvement est loin d’être un long fleuve tranquille. D’abord, les conditions de relèvement sont strictes, encore plus en matière de terrorisme. Ensuite, la possibilité de formuler une demande de relèvement ne présage pas de son succès. Les juges peuvent s’y opposer. Enfin, ce n’est que si le relèvement est favorablement accueilli que le condamné pourra alors faire des demandes pour obtenir des aménagements de peine. Là encore, l’octroi n’est pas automatique. Il existe alors toute une série d’obstacles juridiques qui donnent au caractère réel de la perpétuité son effectivité.


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Instaurer une nouvelle peine ?

Toute nouvelle proposition de loi n’instaurerait pas une nouvelle peine dans notre arsenal répressif. Sans doute, elle ne ferait que modifier l’existant pour mieux coller à l’ambition politique. À notre avis, deux voies s’ouvrent.

D’une part, la loi pourrait forcer la main du juge. C’est l’automaticité du prononcé. Elle deviendrait de droit toutes les fois où une réclusion criminelle à perpétuité serait prononcée. Une période de sûreté sans limites de temps serait automatiquement adossée à cette peine, là où aujourd’hui elle joue de plein droit pour une durée limitée seulement.

Sans doute, il reviendrait aux juges de motiver spécialement toutes les fois où ils voudraient y déroger. Cependant, à l’instar des peines planchers en leur temps, cette automaticité de la période de sûreté pourrait aboutir à une situation dans laquelle la juridiction de jugement contournerait l’automaticité. Elle ferait échouer le caractère automatique de la période de sûreté perpétuelle en prononçant une peine à temps, et non plus à perpétuité. La situation ne serait donc pas si différente de celle en vigueur actuellement.

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D’autre part, la loi pourrait supprimer la faculté du relèvement. C’est le durcissement du régime. Cependant, cette modification poserait des difficultés eu égard aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l’Homme. La perpétuité réelle ne pourrait plus être modifiée et s’exécuterait jusqu’au décès du condamné, sous le régime de l’incarcération. La loi française se retrouverait en contrariété avec la Convention européenne et l’État français, probablement condamné pour violation de l’article 3 de la Convention. Si cela devait arriver, ce dernier serait condamné à une satisfaction équitable, c’est-à-dire, à verser une indemnité financière au requérant.

L’avenir de la perpétuité réelle, au sens où elle semble entendue par ceux qui la plébiscitent, réside dans la modification des dispositifs qui l’encadrent. Cela ne nous apparaît pas entraîner des modifications sensibles, voire utiles.

Derrière l’effet politique, l’objectif poursuivi de durcissement de la réponse pénale pourrait passer par bien d’autres moyens qui auraient, quant à eux, un effet réel et non « d’annonce » à des fins électoralistes. L’augmentation des moyens de la justice et du service public pénitentiaire apparaîtraient sans doute plus utile dans l’immédiat que d’imaginer une peine qui existe déjà.

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